Le don du Dhamma surpasse tous les autres dons

Etre éveillé et conscient

Etre éveillé et conscient, Ayya Khema
Troisième partie de la transcription de la Retraite intitulée Here and Now

Traduction de Jeanne Schut
Dhamma de la forêt

Il est important d’avoir une expérience vécue des choses plutôt que de se contenter de croire aveuglément. Pour cela, nous devons développer notre capacité d’attention. Dans le Kalama Sutta, célèbre enseignement maintes fois cité, le Bouddha mentionne dix points qui ne sont pas des critères de choix valables pour suivre un maître ou une voie spirituelle. Ces dix points sont tous liés à un système de croyance fondé sur une lignée traditionnelle ou sur des livres «sacrés ». Ne pas croire mais découvrir la vérité par nous-mêmes : telle est l’injonction répétée du Bouddha. Sans cela, nous ne pourrons pas développer le regard intérieur qui est la première étape sur la voie spirituelle. Développer le regard intérieur, revient à comprendre ce que nous vivons, à faire un premier pas vers la vision pénétrante. C’est vrai pour les petites choses du quotidien de même que pour la plus profonde et la plus fine compréhension de l’enseignement du Bouddha. Si, par exemple, quelqu’un est fâché contre nous et que nous ne savons pas pourquoi, cette sorte de mésentente risque de se reproduire encore et encore. Il est important que nous comprenions que nous avons peut-être dit ou fait quelque chose qui a causé de la négativité. C’est une situation banale mais qui montre l’importance de bien comprendre notre vécu. Si nous croyons que les événements sont extérieurs à nous, nous ne pourrons pas changer d’attitude.

Pratiquer le Dhamma signifie nous adapter sans cesse, pour tendre toujours plus vers le sublime. Si le changement était impossible, le Bouddha aurait passé sa vie à enseigner pour rien. Mais nous n’évoluerons jamais en direction du sublime si nous n’accordons pas une attention parfaite à chaque détail. L’attention aux détails est le cœur de la pleine conscience. La plupart des gens manquent de pratique mais aussi des instructions nécessaires pour être vraiment attentifs. Lire à propos de la pleine conscience est une chose mais la pratiquer vraiment en est une autre. La parfaite attention est l’essence de la compréhension car, sans elle, il est impossible de voir au cœur de tous les phénomènes qui se présentent à nous.
Observer la respiration signifie «connaître avec précision». L’attention n’est ni un jugement ni une critique, pas plus que des histoires que l’on se raconte. Quand on est attentif, on sait quand on est dans un état de concentration et quand on ne l’est pas, quand l’esprit s’évade et quand l’esprit s’apaise. L’attention parfaite sait, à chaque instant, ce qui se passe.

Quand nous sommes attentifs à nos sensations et que nous nous contentons de les observer, sans réagir, nous utilisons le second fondement de l’attention, vedananupassana (l’attention aux sensations).

Quand nous avons conscience d’être en train de penser, il s’agit de cittanupassana (l’attention aux pensées) et quand nous avons conscience du contenu de nos pensées, il s’agit de dhammanupassana (l’attention aux objets de l’esprit).

Si nous ne prêtons pas attention à cela, nous ne sommes pas vraiment réveillés. Nous devons pratiquer pour porter un regard lucide sur tout, à tout moment. Il est possible qu’en méditation l’esprit se concentre. S’il y a un sentiment de paix, il faut en être clairement conscient. Si on n’a pas conscience de ce qui arrive, on ne peut plus avancer parce qu’on ne sait pas où on en est. C’est un détail important de la méditation : savoir exactement ce qui se passe et ensuite être capable de l’exprimer avec des mots. La verbalisation, c’est l’expérience bien comprise et elle se produit tout naturellement après l’expérience. C’est vrai pour tous les états d’esprit et toutes les sensations. Le Dhamma est la verbalisation de l’expérience du Bouddha. Si nous sommes incapables de verbaliser ce que nous avons vécu en méditation, nous en restons à un système de croyance qui risque de saper l’acuité de notre esprit, alors que le but de la méditation est, au contraire, d’aiguiser l’esprit. L’esprit attentif est une hache affûtée dont la lame finement aiguisée peut trancher tous les concepts erronés.

Quand nous sommes assis en méditation, nous pouvons apprendre à reconnaître ce qui perturbe l’esprit : est-il apathique, sans conscience de ce qui se passe ? Est- il endormi, distrait ? Ou bien est-ce qu’il résiste et refuse d’obéir ? Etre conscient de cela, c’est pratiquer l’attention aux objets de l’esprit.

Comme la plupart des êtres humains, nous avons un esprit distrait et tellement conçu pour essayer de résister à ce qui est désagréable et désirer avidement ce qui est agréable, que ce schéma de fonctionnement est très difficile à changer. Si nous nous trouvons dans une situation où nous résistons à quelque chose de déplaisant ou recherchons quelque chose de plaisant, nous pouvons être sûrs qu’il s’agit d’un schéma habituel normal. C’est ainsi que cette petite planète terre fonctionne, que notre économie fonctionne.

Connaissez-vous quelqu’un qui soit parfaitement heureux en vivant ainsi ? C’est une entreprise impossible, un échec garanti et pourtant tout le monde essaie encore de trouver cette sorte de bonheur. Nous essayons tous depuis assez longtemps ; il est temps d’arrêter, au moins pendant que nous méditons. Il est possible de se débarrasser de dukkha mais pas en éliminant les sensations désagréables, simplement en cessant de réagir à ces sensations. C’est le pas le plus important à franchir pour commencer à avancer sur la voie spirituelle. Si vous ne comprenez pas cela parfaitement, le reste ne pourra pas se mettre en place. Vous ne pourrez pas vous débarrasser des désagréments liés à la posture assise, aux moustiques ou à toutes les difficultés que vous risquez de rencontrer. Tout est fabriqué par l’esprit; par conséquent, tout est réaction de l’esprit.

Dukkha disparaît quand nos réactions disparaissent. Si nous ne savons pas que nous créons nous-mêmes notre souffrance, le Dhamma reste un mystère pour nous. La pratique commence quand nous cessons de blâmer notre environnement, les autres, la situation politique ou économique, ou le temps qu’il fait; quand nous sommes uniquement attentifs à nos propres réactions. Bien sûr, nos réactions ne vont pas devenir aussitôt positives et saines – cela prend du temps – mais nous pourrons au moins commencer à travailler sur nous-mêmes. L’attention ne doit pas seulement être utilisée pour pratiquer la méditation mais aussi dans notre vie quotidienne, à chaque fois que nous bougeons, que nous ressentons quelque chose ou que nous pensons. Tant que nous sommes éveillés, notre objectif premier doit être de demeurer attentifs. Il faut arriver à s’assumer ; c’est seulement alors que, un jour, le monde prendra tout son sens pour nous.

L’univers se résume à cet esprit et à ce corps. Si nous trouvons le sens de cet esprit et de ce corps, nous connaîtrons l’univers tout entier et la vérité qui le sous-tend. Tout est pareil, d’une certaine manière, mais nous devons savoir en quoi cela consiste. Quand nous sortons d’une méditation assise, nous devons être conscients d’ouvrir les yeux, de bouger, de tout ce que nous faisons.
Pourquoi ? D’abord, parce que cela nous empêchera d’avoir des pensées inutiles ou négatives, ce qui facilite la méditation. L’esprit a besoin d’être maîtrisé et non d’être autorisé à s’échapper où il veut.

L’esprit ordinaire, non entraîné, est comme un taureau sauvage qui court dans un jardin : il fait de gros dégâts en peu de temps. C’est exactement ce qui arrive avec notre esprit : il fait de gros dégâts dans ce monde dans lequel nous vivons. Nous n’avons pas besoin de lire les journaux pour le savoir ; c’est visible partout. Et ces dégâts viennent de nous, de nous tous, excepté les êtres éveillés. Un esprit sauvage ne peut pas méditer. Il faut le capturer, le maîtriser et lui mettre un licou. Chaque fois qu’il s’échappe, nous devons veiller à le ramener. C’est comme entraîner un cheval sauvage : tant qu’il est sauvage, il ne peut servir à personne mais, une fois dompté et entraîné, il peut être très utile. C’est d’autant plus vrai pour l’esprit ! Porter l’attention sur le corps signifie que nous sommes conscients des mouvements de toutes les parties du corps. Tandis que nous sommes attentifs à nous-mêmes, nous constatons qu’il y a l’esprit et qu’il y a le corps. L’esprit donne des ordres et le corps obéit. Nous constatons aussi que, parfois, le corps ne peut pas obéir parce qu’il est trop faible. C’est notre premier pas vers la vision pénétrante : voir que l’esprit et le corps font deux, et que l’esprit est le plus important.

La différence entre une personne entraînée et une qui ne l’est pas, se situe au niveau de la compréhension de l’expérience vécue.

L’attention dirigée vers les mouvements du corps peut aussi s’étendre aux autres fondements de l’attention. Si, par exemple, nous pensons à l’avenir, nous ne faisons plus attention au corps ; par contre, nous devenons conscients du processus de la pensée : nous savons que nous sommes en train de penser et que nous créons du karma. Les pensées sont les formations mentales ainsi que les formations karmiques. Nous possédons notre karma : tout ce à quoi nous pensons, nous le deviendrons. Il s’agit là d’un processus impersonnel qui n’a rien à voir avec une quelconque entité particulière. Ensuite, nous pouvons prendre conscience du contenu de nos pensées, ce qui signifie que nous savons si elles sont salutaires ou pas. Nous pouvons apprendre à lâcher les pensées négatives et à les remplacer par d’autres. C’est là que notre entraînement à la méditation entre en jeu – car il n’est pas séparé de nos activités extérieures. Quand, en méditation, nous sommes attentifs à notre respiration et qu’une pensée interfère, nous apprenons à lâcher la pensée et à revenir au souffle. Nous utilisons la même méthode de substitution dans la vie ordinaire pour abandonner les pensées malsaines : nous les remplaçons par une pensée saine. L’attention au processus de la pensée est ce que le Bouddha a appelé « les quatre efforts suprêmes ». C’est le cœur du processus de purification. La voie spirituelle est la voie de la purification et elle repose sur l’attention.

Le Bouddha lui-même a déclaré: « Il n’y a qu’une seule voie pour purifier les êtres, pour surmonter dukkha, pour éliminer définitivement la douleur, le chagrin et les lamentations, pour avancer sur le noble sentier et pour réaliser le nibbāna : c’est la voie de l’attention ».

Les quatre efforts suprêmes sont :

1/ Ne pas permettre à une pensée négative de voir le jour.
2/ Ne pas entretenir une pensée négative déjà apparue.
3/ Encourager l’apparition d’une pensée positive.
4/ Entretenir une pensée positive déjà apparue. (Aṅguttara Nikāya 4.14)

Pratiquer le processus de purification est nécessaire, non seulement pour la paix de l’esprit et pour apporter de la paix au monde, mais aussi pour être en mesure de méditer. Espérer que l’on puisse s’asseoir sur un coussin, observer sa respiration et entrer aussitôt en concentration est un mythe. Il faut d’abord que l’esprit y soit préparé. Voilà pourquoi nous devons pratiquer ces quatre efforts suprêmes, non seulement quand nous méditons, mais aussi tout au long de la journée. Nous obtiendrons une paix intérieure, chose que tout le monde recherche mais que très peu de gens trouvent.

Le premier effort consiste à ne pas laisser apparaître une pensée malsaine non encore apparue – ce qui exige une attention aiguisée. Une pensée qui n’est pas encore apparue crée des remous avant de se présenter.
Prendre conscience que ces remous ne présagent rien de bon nécessite beaucoup d’attention et de pratique.

Le second effort consiste à ne pas poursuivre une pensée malsaine déjà apparue. Chacun peut y parvenir, pourvu qu’il y mette de la bonne volonté et qu’il se souvienne de n’accuser personne. Les pensées malsaines ne sont pas déclenchées par des facteurs extérieurs ; elles sont uniquement le fruit de nos pollutions mentales.

La troisième étape consiste à faire apparaître une pensée saine non encore apparue. Cela implique que nous observons constamment notre esprit et encourageons les pensées positives et saines à apparaître, même dans les circonstances les plus pénibles.

Dernier effort : poursuivre une pensée saine déjà apparue. Dans le cadre de la pratique méditative, cela concerne notre objet de méditation ; dans la vie de tous les jours, il s’agit de travailler sur les réactions de notre esprit.

Si nous sommes à l’écoute de nous-mêmes, quand une pensée malsaine apparaît, nous sentons un certain malaise, une certaine résistance. Nous avons eu tellement de pensées malsaines pendant tellement d’années qu’elles se sont intégrées à notre processus de pensée. Il faut beaucoup d’attention et de détermination pour les abandonner. En méditation, nous devenons conscients du fait que nos pensées malsaines ne sont pas causées par une personne ou une situation extérieure à nous.
Ensuite, notre esprit trouve la force de lâcher ce que nous ne voulons pas, de le substituer par ce que nous voulons, et de maintenir cela en place.

Ces quatre efforts suprêmes correspondent au quatrième fondement de l’attention qui concerne le contenu de nos pensées. Si tout le monde pratiquait ainsi, le monde serait bien plus agréable à vivre!

Notre être intérieur se manifeste par des sensations qui apparaissent suite à des contacts sensoriels. La pensée est également considérée comme un contact sensoriel. Des pensées négatives produisent des sensations négatives – comme se sentir mal à l’aise ou malheureux. Les cinq sens externes sont la vue, l’ouïe, le goût, le toucher et l’odorat ; la pensée est le sens interne. Tous ces sens reçoivent des contacts et produisent des sensations. Par exemple, il y a les yeux et un objet tangible. Quand les yeux sont sains et l’objet bien visible, la conscience visuelle apparaît et il en résulte la vision. L’organe sensoriel, l’objet tangible et la conscience sensorielle se rencontrent. Quand nous savons comment fonctionne cet être que nous appelons « moi », nous pouvons arrêter nos éternelles réactions préprogrammées. Il est tout à fait possible de prédire comment une personne va réagir à une stimulation donnée parce que la programmation que nous avons reçue n’a encore jamais été interrompue. Pour l’arrêter, nous devons d’abord savoir qu’il y a une programmation en cours et en quoi elle consiste. Par exemple, à la base de l’ouïe nous avons le tympan ; ensuite vient le son. Quand la conscience sensorielle apparaît, du fait de la présence simultanée de l’organe sensoriel et de l’objet, nous pouvons « entendre » et à partir de là, un ressenti apparaît. L’oreille peut seulement entendre les sons ; les yeux ne peuvent voir que les formes et les couleurs – c’est l’esprit qui donne toutes les explications. Or, chacun a une explication légèrement différente, de sorte que personne ne voit ou n’entend les choses de la même façon. Quand un certain homme voit une certaine femme, avec ses formes et ses couleurs, son esprit dit : « Comme elle est belle ! Il faut que je l’épouse ». Quand je vois cette même femme, je n’ai pas du tout les mêmes pensées. Pourtant, les gens essaient toujours de convaincre les autres que ce qu’ils voient et entendent est la seule vérité. Et, comme il arrive souvent qu’ils n’arrivent pas à les convaincre, ils commencent à leur tirer dessus ou à les persécuter… La pensée est aussi un contact sensoriel. Il y a l’organe – le cerveau – et il y a les idées. Alors apparaît la conscience mentale, elle entre en contact avec l’idée, et la pensée commence. Cette pensée fait alors naître un ressenti.

Si, par exemple, nous croyons que nous aimons tous les êtres – que nous en soyons capables ou pas – cette pensée nous apporte certainement un ressenti agréable. De la même manière, si nous pensons que nous détestons une certaine personne, nous aurons un ressenti de froideur et d’éloignement. Ensuite arrive la réaction à ce ressenti : soit nous voulons obtenir soit nous rejetons.

En étant attentifs, nous pouvons voir ces processus se dérouler très clairement en nous. La réaction aux ressentis est notre entrée, sans cesse renouvelée, dans la dualité et dans dukkha. Mais c’est aussi, en même temps, une porte ouverte qui peut nous permettre de chasser toutes nos difficultés. En effet si, par exception, nous ne réagissons pas à notre ressenti mais nous l’observons simplement comme un ressenti, nous constatons aussitôt que c’est parce que notre attention est en éveil. Cette attitude nous donne aussi confiance pour l’avenir : nous savons que nous pouvons renouveler l’expérience et que nous sommes en train de nous purifier spirituellement. C’est une conviction intérieure majeure.

Le Bouddha a dit que nous avions besoin à la fois de l’étude et de la pratique. L’étude nous apprend à connaître un peu de ce que le Bouddha a enseigné mais, si nous ne pratiquons pas, nous ne sommes que des perroquets ou des hypocrites quand nous proclamons des choses dont nous n’avons pas fait directement l’expérience.

Grâce à notre pratique de l’attention, nous devenons conscients des sentiments qui apparaissent quand des contacts sensoriels se produisent. Des sentiments et des sensations apparaissent tout le temps et il faut que nous les identifiions pour pouvoir changer notre façon de vivre instinctive et la remplacer par une façon de vivre consciente. Instinctivement, nous sommes constamment dans la réaction tandis que, consciemment, nous devenons acteurs de notre vie. La leçon la plus importante que nous puissions apprendre consiste à maintenir notre attention éveillée dans toutes nos activités de la journée. Nous pouvons pratiquer l’attention où que nous soyons : chez nous, en faisant des courses, au bureau, en écrivant des lettres, en téléphonant – à n’importe quel moment. La méditation à proprement parler nous donne l’élan nécessaire ; elle nous montre comment l’attention repousse les obstacles inhérents au fait que nous ayons des idées arrêtées sur tout. Nous comprenons que nous sommes incapables d’avoir une vue d’ensemble, que nous voyons ce qui est autour de nous mais pas au-delà. Avec l’attention, une ouverture se produit et tout semble trouver sa place et être relié au reste ; nous perdons le sentiment exagéré de notre importance et nous sommes capables de nous unir davantage à toutes les autres manifestations de la vie, lesquelles sont elles-mêmes des questions secondaires.

L’attention, c’est la connaissance. Quand nous savons ce qui est et que nous en faisons réellement l’expérience, nous avons la preuve des Quatre Nobles Vérités. A ce moment-là, notre tâche est accomplie.

L’un des facteurs de l’attention est la capacité de se focaliser sur un seul point. Notre esprit ne devient pas flou ou distrait mais reste fermement posé. Nous devons prendre conscience que les obstructions du mental sont une calamité qui touche tous les êtres humains, qu’elles n’ont rien de personnel. Cette compréhension nous aide à supporter patiemment les choses et à changer petit à petit.

dhammadelaforet.org