Extrait du livre « Travailler avec les cinq obstacles », Ajahn Thiradhammo.
Pendant le processus méditatif, il nous arrive de rencontrer autre chose que les Cinq Obstacles. Par exemple, des souvenirs peuvent surgir de manière obsessionnelle et nous distraire de nos exercices de méditation. En apparence, ils ne sont peut-être pas directement liés à un des Cinq Obstacles, mais il peut tout de même s’agir d’un obstacle ou d’une pollution mentale déguisée que nous ne sommes pas encore en mesure de reconnaître. De manière générale, si quelque chose remonte sans cesse à l’esprit, cela signifie que le « moi » est investi ou que la chose revêt une grande signification pour nous. Lorsque l’environnement mental s’y prête, il peut être très utile d’analyser cela plus en profondeur et, si tout va bien, cette investigation révélera le véritable sens de l’expérience.
J’ai eu moi-même un souvenir récurrent de l’époque où je travaillais l’été dans une usine pour payer mes études. La plupart du temps on ne donnait aux étudiants que les emplois les plus modestes qui ne requerraient pratiquement aucune expérience. Pourtant, un jour, alors que j’avais été promu à un poste plus élevé sur la chaine de montage, il y a eu un problème à cause d’une erreur de ma part, de sorte que la chaîne a été momentanément bloquée. Cet incident relativement anodin réapparaissait pourtant fréquemment dans mes méditations en Thaïlande. J’ai finalement décidé de l’étudier de plus près et j’ai commencé à investiguer les différents aspects de cette histoire. Et puis un jour, quelque temps après, j’ai subitement compris que le vrai message tournait autour de mon arrogance. J’ai ressenti comme un coup de poing au niveau du cœur, un véritable choc physique accompagné de cette pensée : « Arrogance ? Non ! Pas moi ! Il n’y a pas plus humble que moi sur cette planète ! » Pourtant le message de la vision pénétrante en méditation était tout autre et je lui faisais davantage confiance. Le problème venait de mon arrogance : je m’étais cru tellement intelligent du fait de mon éducation universitaire alors que la plupart des ouvriers de l’usine n’avaient pas fait d’études. Lorsque j’ai été capable d’intégrer cette révélation douloureuse, le souvenir s’est dissipé et n’est plus apparu en méditation.
D’autres phénomènes peuvent faire surface au cours d’une méditation. Par exemple des images, des visions, des lumières ou des bruits étranges qui apparaissent soudainement et persistent quelque temps. Certains de ces phénomènes sont dus aux effets d’une concentration et d’une présence consciente accrues : nous sommes davantage conscients des impressions sensorielles et celles-ci sont amplifiées par la concentration. D’autres sont dus à des distorsions de nos perceptions dites « normales ». Lorsque nous sommes dans un environnement calme, les yeux fermés pendant de longues périodes, nos perceptions habituelles du quotidien ne sont pas renforcées de sorte que des formes de perception différentes se présentent. Si vous vous sentez désorienté ou sérieusement perturbé par de tels phénomènes, mieux vaut ouvrir les yeux, porter l’attention au corps et essayer de vous ancrer dans la réalité de l’ici et maintenant. Si l’expérience est extrême, il est bon de s’engager dans une activité physique qui ramène à la réalité comme ratisser des feuilles mortes, balayer, jardiner, parler à des gens, etc.
Lors de ma première année en Thaïlande, j’avais une petite cabane près d’une cascade. C’était parfait pendant la saison sèche mais quand la mousson est arrivée, la chute d’eau est devenue très bruyante puis elle s’est transformée en musique ! Elle était tellement présente que je ne pouvais littéralement pas m’entendre penser. J’ai fini par être très désorienté parce que je ne savais plus si la musique venait de la cascade ou de ma tête. Au bout du compte, j’ai dû déménager vers une cabane plus tranquille.
Les personnes qui pratiquent la méditation intensive ont souvent des sensations physiques inhabituelles. Certaines sont dues à des distorsions de perception comme plus haut ; d’autres sont liées à un inconfort physique ou à un problème de santé ; et d’autres encore sont psychosomatiques. Par conséquent, il est bon de les considérer attentivement. Le corps a besoin d’un certain temps pour s’habituer à une posture assise jambes croisées ainsi qu’à un changement de régime alimentaire et d’horaires. Si les symptômes persistent, il faudra peut- être consulter un professionnel de la santé car il pourrait s’agir d’un problème sous-jacent qui ne se manifesterait pas dans notre mode de vie actif habituel. Il se peut aussi qu’il s’agisse de processus naturels du corps pour s’adapter à un autre mode de vie. Il est bon d’avoir quelques connaissances d’anatomie pour mieux comprendre ce qui se passe dans le corps. Quand j’ai commencé à faire de longues assises, j’étais gêné par des fourmillements dans les jambes. Je pensais qu’ils étaient dus à une mauvaise circulation du sang et je craignais que cela ne me cause de sérieux dommages. J’imaginais qu’un jour je me lèverais et ma jambe se détacherait ! Le hasard a voulu qu’à ce moment-là un médecin vienne séjourner au monastère et j’ai pu lui en parler. Il m’a expliqué que le problème n’était pas dû à une constriction du flux sanguin mais plutôt au resserrement d’un nerf. Je lui ai demandé s’il y aurait des dommages sur le long terme et il a répondu : « Peut-être, si vous faites des assises de cinq ou six heures. »
Le meilleur conseil que j’aie reçu en réponse aux expériences de méditation inhabituelles m’a été donné par Ajahn Chah. Comme ces expériences sont surprenantes, nous avons envie de savoir ce qu’elles signifient et notamment de savoir si elles sont un signe de progrès ! Certains enseignants s’intéressent aux visions et essaient de les expliquer. Cependant cette attitude est une forme cachée de saisie qui va les prolonger et peut-être même les encourager jusqu’à ce qu’elles nous bloquent. Ajahn Chah m’a répondu : « Ce sont des sabhāva–dhamma (des phénomènes naturels) qui apparaissent normalement au cours de la méditation. Ne les prends pas trop au sérieux, observe-les objectivement et puis retourne à ton objet de méditation. » Si nous ne nous en préoccupons pas, nous les considérons avec moins d’intérêt et ils cessent d’attirer notre attention. Certains vont simplement s’effacer du fait de notre indifférence et d’autres vont commencer à se dénouer et à révéler leur véritable sens.
Source du texte Dhamma de la forêt