Troisième jour
Enseignement du matin
Cette puja matinale est une forme d’hommage que l’on rend, de louange, on offre son respect. C’est une expérience du cœur qui ne vient pas des pensées, un geste qui vient de l’intérieur de l’esprit. C’est pourquoi c’est accompagné de symboles comme les lumières, les bougies, les images et la mélodie, car ce sont là des impressions du cœur. L’intérieur de l’esprit correspond au cœur, alors que l’extérieur de l’esprit correspond aux pensées. La dimension de l’intérieur de l’esprit, du cœur, n’est pas séparée du corps ; ces deux dimensions sont connectées.
Avec le temps, les impressions des puja ont un effet calmant, qui est une forme d’affirmation, de détermination, qui laisse aussi des traces au niveau du corps qui s’éveille. En particulier, le chant a un effet de résonance dans la partie supérieure du corps, la poitrine, la gorge et la tête, donc on peut dire que cela a un effet somatique. En écoutant le son, cela aussi a un effet, d’autant que tout le groupe chante. Un effet d’harmonie peut être présent.
Et puis il y a les trois joyaux, Bouddha, Dhamma et Sangha, auxquels nous nous adressons et que nous gardons à l’esprit. Bouddha signifie se réveiller ou le fait d’être éveillé. C’est un titre, ce n’est pas vraiment une personne, c’est un titre et nous l’utilisons comme image de l’éveil.
Dhamma est encore un terme difficile à traduire en un mot. Ce sont les lois universelles, la vérité ou encore ce qui est réel, la réalité. Mais la racine du terme signifie ce qui soutient, ce qui contient la réalité. L’éveil est ce qui nous donne le soutien de faire face à toutes les formes et difficultés de souffrance.
Et puis la Sangha, c’est la communauté, l’assemblée de ceux qui pratiquent. Ce qui signifie que nous pouvons tous participer, l’éveil du Bouddha n’est pas quelque chose d’unique, c’est quelque chose que nous pouvons tous partager, disséminer.
Cela nous rappelle que tout être humain doit faire face à toutes sortes de difficultés, de douleurs, de souffrances, de doutes. Ce sont des expériences que nous devons traverser ; mais si nous nous appliquons au Dhamma il y a une possibilité que tout cela soit dissipé et qu’il y ait une clarification. Il est utile de commencer à y réfléchir et de penser à cette notion de Bouddha, d’Eveil ; de sentir comment l’on ressent cela, la notion d’Eveil, quelque chose qui s’illumine, qui s’éclaircit ; et en même temps la notion de Sangha et de communauté, de groupe.
Qu’est-ce que cela signifie que d’être éveillé, est-ce que c’est bon ? Et ça se trouve où ? Ce n’est pas ailleurs, n’est-ce pas, c’est simplement quelque chose qui bascule, qui change, qu’est-ce qu’il y a à faire pour être éveillé ?
En fait il n’y a rien à créer, il y a juste le fait que d’un seul coup nous pouvons voir plus clairement, sans être liés par les phénomènes ou bien attrapés dans ceux-ci, comme lorsque l’on est dans un rêve et que l’on est pris par les images et par l’histoire.
Lorsque l’on se réveille, on peut voir plus clairement. Lorsque l’on dort, on est emporté dans les impressions, les ressentis, les images qui défilent dans nos rêves. Lorsque l’on se réveille, on a le choix, on peut voir si l’on a envie de suivre cela ou de l’alimenter, ou au contraire de voir que cela n’a pas vraiment de sens. C’est assez simple. Cela signifie de ne pas donner trop d’énergie à tout cela, pour votre bien. La plupart d’entre nous font cela jusqu’à un certain point.
Nous remarquons qu’il peut y avoir une impression, une image, une émotion qui se manifeste. On est en train de lutter avec cela et lorsqu’on réalise ce qui se passe, elles rebondissent un petit peu et finissent par se dissiper. Ainsi, il faut développer la faculté de laisser les choses juste passer, comme un nuage. A partir du moment où notre intériorité ne traduit plus ces impressions comme étant la réalité, elles ne s’accrochent plus à nous. C’est la capacité de développer la qualité du Nibbana qui est celle de laisser les choses passer.
De ne pas générer les résonances qui font que lorsque l’on entend quelque chose cela nous donne une impression ; on va commenter, on va l’aimer ou ne pas l’aimer, créer toutes sortes d’émotions et de réactions par rapport à cela, alors que l’éveillé, simplement laisse cela passer et le traverser.
En même temps, c’est reconnu, car Bouddha signifie connaissance. Si vous regardez les représentations du Bouddha, la position des mains est quelque chose d’important. Il y a une des représentations qui le montre avec le bout de la main droite qui touche le sol. C’est le geste qui représente le moment où il a atteint l’éveil. C’est assez significatif et représentatif de ce qui se passe. C’est le moment où il a touché terre. Ce n’est pas quelque chose qui parle de jardinage. Qu’est-ce que cela signifie, toucher terre ? C’est un aspect de l’intériorité où peuvent se jouer toutes sortes d’impressions et d’émotions. Le sol, la terre, c’est l’immédiateté qui est stable, qui ne bouge pas.
En même temps cela peut être assez mystérieux, au départ. Nous savons que nos pensées déferlent, nous traversent, et nos émotions aussi nous traversent, ainsi que nos impressions, donc quel est cet aspect qui est stable, qui ne bouge pas ? Qu’est-ce que c’est ? C’est à cela que s’est éveillé le Bouddha. Parce que toutes les intériorités, les domaines intérieurs sont alignés, que ce soit l’intériorité du corps ou de l’esprit. Donc la stabilité peut être perçue au niveau du corps. Vous pouvez sentir des sensations comme des points de contact ou de pression, comme la chaleur, en même temps il y a la dimension de reconnaissance, de se dire que c’est ici, de sentir que c’est bien ici.
Le sentiment que c’est ici, cette présence, est l’aspect corporel de la base du sol. Ainsi, lorsque l’on prend l’assise, quelles que soient les sensations que nous ressentions, quelle que soit l’humeur dans laquelle nous nous trouvions, il y a le sentiment que c’est bien ici. Même lorsque nos pensées nous traversent et passent, eh bien il y a la reconnaissance des pensées qui traversent, et que nous sommes ici. Ceci se réfère à la qualité mentale de la conscience, la capacité d’être le témoin. Ainsi, vous allez vous ajuster à cela et effectuer également des louanges. C’est une façon d’honorer le Bouddha, en signifiant le respect, l’appréciation que l’on a pour ce qui nous touche le plus, qui est la capacité à être ici.
Parfois, on se réfère à cela comme étant le soi. Quelqu’un, l’autre jour, parlait de toutes les pensées qu’elle pouvait avoir et la capacité de les observer, et se demandait quel est le soi réel. Il y a les activités mentales et puis les réactions que nous avons par rapport à ces activités mentales, le fait d’apprécier, de ne pas apprécier. Et le fait d’être là, en se disant tiens, voilà, c’est en train de se déverser. C’est le potentiel d’éveil que nous avons là qui se manifeste, mais il demande à être nourri, à être entretenu. C’est pourquoi il est important aussi, pour le nourrir, d’en faire la louange et de l’apprécier pleinement.
Il y a les expériences que nous aimons, celles que nous n’aimons pas, et en même temps nous sommes ici avec ce qui se passe simplement. Lorsque vous respectez et honorez cela, eh bien cela procure énormément de force et de clarté. Même pour les expériences très difficiles à supporter, qui peuvent être traversées. Car en fait nous pouvons survivre à la mort de nos parents, à la mort de nos êtres chers, à toutes sortes de chocs et de traumatismes. Même si nous ne donnons pas beaucoup d’énergie, c’est là, disponible pour nous. Même si nous sommes complètement dans la spirale de nos lamentations, de nos plaintes, de nos formes d’excitation, de joie, eh bien malgré tout nous sommes ici.
Est-ce que cela a du sens pour vous ? Ce n’est pas un ressenti particulier, agréable ou désagréable, ce n’est pas non plus vraiment une sensation. Ce n’est pas une personne, il n’y a rien de personnel. C’est une expérience subjective à laquelle nous pouvons tous avoir accès dans notre expérience personnelle. C’est un point de référence qui ne dépend d’aucune condition, qui n’est pas conditionné par notre sexe, par notre race, nationalité, âge, par notre culture ou par quoi que ce soit d’autre. Cela ne dépend d’aucune condition, c’est simplement ici. Et cela agit comme un centre immobile qui peut donner à l’ensemble de notre vie une perspective. Cela a un effet naturel, ce centre immobile par rapport à tous les mouvements qui peuvent se passer dans notre vie.
C’est, pourrait-on dire, un centre de gravité qui fait que les choses ne s’éparpillent pas, ne s’envolent pas dans toutes les directions. Cela donne à l’esprit un lieu, une zone où il peut entrer en contact, mesurer ce dont il fait l’expérience, et voir de quoi il s’agit. En particulier, on peut commencer à reconnaître tout ce qui nous fait perdre le contact avec la terre. Probablement vous savez quelle est cette expérience. Lorsque vous êtes emportés dans de fortes passions, dans des peurs et dans toutes sortes d’émotions, que vous êtes submergés, c’est là que l’on perd sa stabilité. Nous pouvons voir à quel point cela peut devenir une expérience terrible, comme notamment lors de guerres, ou entre deux personnes complètement ivres, où il n’y a plus aucune stabilité, où on perd pied. Lorsque l’on a sa base, on a une forme de calme, de centrage qui s’ouvre naturellement de lui-même.
C’est exactement ce que fait le Bouddha ; lorsqu’il touche le sol, il touche terre. Donc il y a cette notion de centre qui n’a pas été touché, qui s’ouvre. Et avec des références passées différentes, car la base, la terre, est notre moyen d’accès à la stabilité, alors que le centre est vide de cela. Lorsque l’on parle d’avoir réalisé le Dhamma, il y a une étape qui est très importante, qui n’est pas une expérience mentale mais une expérience directe des phénomènes.
Le terme akaliko, signifie qu’il y a cette notion d’immédiateté. Cela ne se développe pas dans le temps, ça ne se perpétue pas dans le temps, cela n’est pas conditionné par la notion de temporalité, c’est immédiat. Et du fait que cela ne se développe pas dans le temps, nous n’avons pas à continuer à le créer, nous n’avons pas à nous y accrocher. Là, est-ce que ça concerne hier ou demain ? Qu’est-ce qui a toujours été là ? Vous ne pouvez pas le nommer, mais en même temps vous pouvez avoir ce ressenti, ce sentiment qu’il y a quelque chose qui est là, à travers toutes ces histoires de notre vie, d’être jeune, d’être vieux, quoi que ce soit que nous portions en nous.
Nous devons vraiment apporter notre respect, nos louanges à cet aspect ; tout le reste va simplement déferler, se déverser et passer. Nous donnons plus d’importance aux aspects qui attirent notre intérêt, donc à la notion de temps, alors que le temps est connecté avec la naissance, le maintien en vie et puis la mort. En même temps il y a cette autre possibilité qui est toujours là, qu’il n’y a pas à créer, ni à maintenir, et dans laquelle on peut venir s’établir, se détendre à tout moment. C’est un autre aspect du Dhamma, ehipassiko, qui signifie « viens expérimenter, viens voir ». C’est quelque chose d’immuable, qu’il n’y a pas à créer, qu’il n’y a pas à maintenir ou à détruire et qui est stable. Etonnement devant cela ; qu’est-ce que c’est ?
Je trouve cela très intéressant, très évocateur. Cela nous rappelle qu’une des caractéristiques-clés de l’engagement dans le Dhamma, c’est la capacité d’investigation que nous avons, celle de poser la question : « Que se passe-t-il, de quoi s’agit-il, qu’est-ce qu’il y a ? ». C’est une capacité naturelle que nous avons et que nous développons dans cette dimension appamado, le temps de pause où l’on prend le temps de prendre en compte, d’observer et dire : « Qu’est-ce qui se passe là, vraiment, qu’est- ce que ressent le corps à ce moment-là, qu’est-ce qui est en train de se passer ? ».
Il y a cette qualité particulière, nous ne sommes pas en train de nier l’expérience, nous ne sommes pas en train de la repousser, mais la prenons juste en compte. Ce n’est pas un désengagement avec une forme de rejet, simplement une prise en compte. Et opanayiko est la capacité à prendre une perspective qui va permettre un développement. Le fait de pouvoir prendre cette perspective est très important ; le fait de pouvoir être le témoin de la pensée, d’un événement, d’une situation désagréable ou d’émotions. C’était si important et cela vous prenait tellement, et maintenant vous pouvez avoir ce recul. Cela vous désidentifie et vous pouvez simplement le prendre en compte, l’observer.
Cela a été pour moi une de mes premières expériences méditatives. Je suivais les instructions que donnait le maître, qui nous invitait à suivre notre respiration. Je n’arrivais pas à le faire, mais dans ce processus de quinze minutes à peu près, d’un seul coup j’ai vu tout le déferlement de mes pensées. Ça m’a vraiment intrigué et je me suis dit : mais qu’est-ce qui se passe là, il y a toutes ces pensées qui me semblent être qui je suis, et voilà que je peux en être le témoin. Comment est-ce que c’est possible, qu’est-ce qui se passe ?
A partir de ce questionnement, eh bien quelque chose s’ouvre et conduit à aller plus loin. Ensuite, cela amène à un autre aspect du Dhamma qui est paccattam, l’expérience directe subjective. Ce n’est pas quelque chose qui vient de l’extérieur, qui est créé, qui est rajouté, mais qui se passe directement en vous. C’est quelque chose qui est vraiment étonnant, car pour la plupart d’entre nous, nous aimerions être différents de ce que nous sommes : il faudrait que je m’ajuste un peu pour être un petit peu plus quelque chose, ou un peu plus ceci, ou un peu moins cela… Que ce soit physiquement, émotionnellement, psychologiquement, si seulement je pouvais être un peu différent. Dans ce paccattam, vous pouvez vraiment y réfléchir, voir qu’il s’agit de ce que vous êtes vraiment, exactement comme vous êtes.
En fait, ce que cela dit, c’est que vous êtes déjà parfait pour l’éveil. Vous êtes déjà des Bouddha parfaits. Probablement est- ce que vous ne le croyez pas vraiment et ne le savez pas encore. Parce que nous n’avons pas encore pleinement pris en compte toutes nos impressions et toutes nos ombres. Nous avons des expériences dont nous nous tenons à distance, qui nous mettent au défi et pour lesquelles nous n’avons pas pu avoir une complète clarté.
Mais on peut déjà commencer, commencer avec ce qui est gérable pour nous. Oui, je peux sentir une émotion de colère, la sentir et la laisser passer et donc c’est très bien, c’est déjà cela. Nous commençons par reconnaître que nous avons cette capacité à contenir, à soutenir, à supporter les expériences auxquelles nous sommes confrontés.
Le dernier aspect du Dhamma est le fait de pouvoir ressentir, voir et penser, les trois aspects y sont associés, donc on peut les vivre en même temps. Mais c’est connaître, voir et ressentir avec clarté et pleinement, pas à moitié.
Parfois, on peut être témoin des choses avec nos mains plutôt que d’utiliser les yeux. On peut penser que la sagesse est une expérience intellectuelle, mais pour moi cela signifie avoir des « mains sages ». Vos mains contiennent énormément de sagesse. Elles sont sensibles, elles se répondent, elles ont une grande force, une grande tendresse. Ce sont toutes les qualités qui sont nécessaires pour développer la sagesse, qui a cette capacité de fermeté, à la fois de souplesse, de tendresse, de sensibilité, d’apaisement. Il y a la sensibilité du bout des doigts, qui est probablement d’ailleurs la partie la plus sensible de votre corps. Pour réaliser à quel point vous avez un toucher très délicat, vous pouvez toucher très très légèrement les choses, ce qui fait partie justement de la sagesse. Et de la même façon, vous pouvez attraper les choses de toute votre force, donc c’est une force douce.
La comparaison est de méditer comme vous pourriez tenir un oiseau. De suivre et d’être avec la respiration quand vous méditez, ce n’est pas juste de voir quelque chose d’un peu flou, à distance, mais c’est vraiment de soutenir le souffle, d’en sentir la chaleur, d’en sentir la nature vivante, les mouvements, exactement comme si vous teniez dans vos mains un oiseau.
De la même façon, un oiseau, si vous le tenez trop fermement vous allez le tuer, vous allez l’étrangler, mais si vous ne le tenez pas suffisamment fermement il va s’envoler. Donc, quelle est la façon juste de le tenir ? Il faut sentir, ajuster, c’est là que l’on voit l’intelligence des mains. Car elles savent exactement en fonction de l’objet qu’elles vont prendre, comment il faut se comporter, si l’objet est tranchant, s’il est lourd, s’il est léger, s’il est chaud, quelle pression il faut donner pour le tenir. La véritable sagesse est dans le corps, elle n’est pas au niveau des pensées. Lorsque vous touchez quelque chose, il y a une réponse immédiate qui s’effectue dans le corps, de savoir comment vous allez toucher ou tenir. C’est quelque chose que votre corps sait et que votre cerveau ne pourra jamais imaginer ou déterminer.
C’est pourquoi la conscience du corps est si importante dans cette démarche d’éveil, c’est pourquoi le Bouddha a dit aussi que tous les aspects viennent, comme des affluents d’une rivière, se résorber dans la pleine conscience du corps. Et j’encourage toujours à contempler l’intelligence du corps à travers cette capacité, à maintenir l’équilibre. Vous vous redressez, vous êtes droit, debout et parfaitement en équilibre, vous êtes sur un pied, votre corps trouve l’équilibre et de la même façon vous avancez et votre corps continue à rester droit, il ne va pas de gauche et de droite. Ce n’est pas votre esprit qui essaie de résoudre le problème, l’équilibre est un parfait exemple de l’intelligence du corps. Lorsque vous trouvez cet équilibre, vous savez ce que « ici » signifie.
Nous allons prendre quelques minutes pour une méditation debout.
Pour commencer très simplement, nous allons commencer par sentir le sol, la base. En cet instant, il s’agit de sentir simplement le sol qui est juste sous nous. De fléchir les genoux et aussi d’écarter la plante des pieds de façon à vraiment s’ancrer dans la terre, ne pas simplement être perché dessus, mais sentir qu’on s’y établit.
Sentez un écartement de vos genoux vers l’extérieur, de façon à ce qu’ils pointent en direction du centre de vos pieds, ce qui permet de s’ancrer encore mieux dans le sol. Si les genoux sont légèrement fléchis, cela implique qu’aussi bien les muscles de la cuisse que du mollet sont activés. En tournant le genou vers l’extérieur, vous sentez que le muscle interne de la cuisse est aussi activé.
Nous portons notre focalisation maintenant sur la zone des jambes. De la sorte, lorsque vous activez une certaine partie du corps et que vous lui donnez plus de force, eh bien les autres parties du corps qui étaient suractivées peuvent se débrancher, car elles peuvent sentir qu’il y a un support, une force qui est là.
La partie la plus sollicitée est sans doute celle des épaules et du cou, ce sont des zones que nous activons le plus. Donc sentir si nous pouvons les relâcher jusque dans le sol. Les sensations qui peuvent y être présentes deviennent plus liquides et puis s’écoulent jusque dans le sol. Lorsque l’on a cela à l’esprit, cela implique déjà que la colonne vertébrale trouve son équilibre. Car pour que les épaules puissent se relâcher au lieu d’être recourbées et fermées, naturellement elles se baissent, elles s’ouvrent, ce qui fait que votre colonne vertébrale retrouve son équilibre. Vos bras sont dans une position de repos, relâchés le long du corps, donc complètement libres.
Le fait de ressentir la capacité de débrancher toute la zone du cou, des épaules et des bras fait que la cage thoracique peut s’ouvrir, tandis que le dos s’aligne. Vous pouvez remarquer que si vous déconnectez ainsi dans votre corps toutes les zones qui sont suractivées, qui sont tendues, si vous les débranchez, eh bien votre corps trouve naturellement un équilibre plaisant.
L’une des zones où souvent nous sommes tendus et crispés est la zone abdominale, qui se trouve juste sous le nombril. Imaginez que vous ayez une queue comme les animaux et que vous laissiez votre queue venir se dérouler entre vos jambes. Ainsi, rentrez les fessiers, sentez que vous pouvez expirer pleinement, de façon à permettre que tout ce que vous reteniez à l’intérieur de votre région abdominale, de votre ventre, puisse se relâcher et s’adoucir.
Une autre zone où nous nous concentrons souvent est notre visage, car c’est la façon dont nous nous présentons au monde. Vous arrivez à la bouche, aux joues que vous détendez, en même temps la langue et l’intérieur de la bouche. Puis toute la sphère visuelle où vous pouvez sentir vos yeux, que vous faites légèrement flotter à l’intérieur de leur cavité. Si en déverrouillant ces zones qui peuvent être tendues, vous sentez de légers vertiges, de légers troubles, alors pensez à respirer profondément, à sentir vraiment une colonne du souffle qui vous traverse.
Vous expirez en sentant le flux de la respiration, et en même temps toutes les sensations qui peuvent s’écouler avec la respiration jusqu’au niveau du sol. Au lieu d’aspirer l’air par les narines, restez simplement à la fin de l’expiration, présents à la zone du ventre et du bas-ventre. Sentez toute cette zone qui va inspirer l’air, ce qui libère toute la zone thoracique.
Lorsque vous ne tirez plus l’air lors de l’inspir par les narines, à ce moment-là le ressenti que vous allez avoir de votre respiration dans votre tête va être différent ; il ne va plus être centré sur la zone des narines mais beaucoup plus au centre de votre tête, donc dans le prolongement de l’axe de la colonne vertébrale. C’est comme une vague douce qui monte et qui pénètre dans votre tête en clarifiant en même temps avec douceur toute cette zone. Soyez présents à cette sensation, où des zones peuvent se dénouer au niveau des tempes, de la mâchoire. En même temps, il y a une luminosité qui peut s’installer, soyez présents à cela.
Cette respiration subtile a un effet d’apaisement et de calme beaucoup plus efficace que la respiration grossière. Lorsqu’elles ne sont pas associées à un effort particulier, toutes les structures corporelles restent détendues et cette respiration peut avoir un effet thérapeutique.
Qi Gong.
Ce matin, avant de commencer, nous allons procéder à quelques exercices, des exercices physiques qui vont peut-être vous permettre de prendre conscience de certaines parties de votre corps dont vous n’avez pas conscience habituellement.
Bien sûr, on peut voir toutes ces parties et les nommer, mais pour autant on n’a pas forcément une véritable compréhension de la façon dont ces systèmes opèrent ensemble. Donc cela peut nous permettre d’acquérir cette compréhension, cette connaissance. Ce matin, on va travailler essentiellement sur les côtés, sur le dos, qui sont des zones dont nous ne sommes pas forcément conscients.
Pourquoi est-ce que ces zones sont particulièrement importantes ? Eh bien c’est parce que ce sont des systèmes principaux qui nous permettent de maintenir la position redressée, droite, ce qui peut d’ailleurs nous créer pas mal de douleurs et d’inconfort, si ces zones ne sont pas correctement activées. Souvenez-vous que le thème est celui d’une force fluide et non pas d’une force rigide. La force n’est pas une expérience crispée, rigide, c’est quelque chose qui circule.
Donc nous prenons la position debout, redressée, en se souvenant que ce n’est pas une position rigide et que les articulations des genoux sont souples. Car ce qu’il se passe lorsque l’on entre dans une forme de rigidité, c’est que certaines parties du corps sont suractivées, tandis que d’autres sont endormies. Mais quand vous assouplissez le tout, eh bien tout se met à coopérer, à devenir plus fluide, donc vous avez un ressenti beaucoup plus holistique de l’ensemble de votre corps. En plus, c’est une source de joie, on peut y prendre plaisir.
Méditation assise.
Sentir la terre, le sol qui est ce sur quoi le Bouddha s’est assis. A partir du moment où nous pouvons nous y ancrer et trouver notre centre, nous pouvons avoir plus de clarté et de discernement. La qualité intérieure du sol, de la terre, peut être stimulée justement en rentrant en contact avec le sol, mais ce n’est pas juste quelque chose qui se trouve là en bas. C’est la façon dont nous pouvons trouver notre stabilité, notre ancrage, et que nous pouvons sentir intérieurement.
En fait, cette base, ce fondement, peuvent être trouvés où que ce soit, car c’est la notion d’un ressenti du corps dans sa plénitude, complet, ni tendu ni éparpillé ni brisé, mais vécu dans son unité.
Lorsque nous commençons à faire l’expérience de cela pleinement, la conscience de la respiration devient un outil très puissant que nous pouvons suivre.
C’est très utile, mais beaucoup de personnes semblent lutter dans cette étape de la pleine conscience de la respiration. C’est parce qu’elles n’ont pas encore connecté avec le fondement ; la conscience de la respiration alors reste quelque chose de très extérieur, de très localisé, où nous semblons pointer des sensations spécifiques dans certaines parties du corps, au niveau des narines, au niveau de la poitrine. A ce moment-là, la respiration est très limitée.
Souvenons-nous que nous changeons le contact, donc nous changeons la façon dont nous traduisons le contact que nous établissons avec l’expérience, la façon dont nous sommes touchés par elle. D’une construction artificielle, nous allons créer un contact qui aura plus de sens et qui sera beaucoup plus profond. La pleine conscience de la respiration implique tout le corps, puisqu’effectivement c’est elle qui va donner de l’énergie au corps.
Pourquoi est-ce que nous respirons, en fait ? Parce que tout le corps va recevoir l’oxygène, cela ne se limite pas aux poumons et à votre nez et aux narines. Les effets de la respiration peuvent se faire sentir dans tout le corps, c’est bien ce pourquoi elle est présente. Cela peut rafraîchir tous les tissus, les cellules. Et puis on reconnaît ce qui respire, ce qui effectue la respiration : est-ce qu’il vous faut vous souvenir de cela, est-ce que vous avez à réfléchir, en disant : « Voilà, c’est le moment de l’inspiration, ah ! Maintenant il faut s’arrêter, reprendre, c’est l’expir », et ainsi de suite ? Est-ce qu’il y a qui que soit en train de respirer ? Certainement pas. Parce qu’à ce moment-là, on peut se demander ce qui se passe lorsque l’on s’endort : cela s’effectue grâce à une énergie autonome qui fonctionne tout le temps dans le corps.
C’est une sorte de marée, d’énergie qui conduit l’inspir à se faire, que le corps prend ce dont il a besoin et qu’ensuite, lorsque cela sera le moment, il y aura un relâchement dans l’expiration. La montée d’énergie est renforcée par la respiration.
Beaucoup de gens sont d’accord avec cela, mais très souvent lorsqu’on commence la pleine conscience de la respiration, ils sentent une sorte de tension, de stress.
Parce que l’on se dit alors : « Oui, là il faut que je fasse quelque chose, mais comment est-ce que je fais ? », et ça resserre tout. On verrouille un peu plus, en se concentrant sur la respiration, et soudain elle devient difficile. L’esprit aussi a des difficultés car il essaie de s’échapper, « laisse-moi sortir d’ici ! ».
Parfois, nous pouvons sentir un certain stress qui se manifeste au niveau de la poitrine parce que quelqu’un est en train d’effectuer cela. C’est quelqu’un qui fait quelque chose, c’est le résultat d’une sur-activation. Parce que nous avons tendance à associer la notion de faire quelque chose avec le fait d’être sur-actif. Mais les choses qui s’effectuent automatiquement comme l’inspir et l’expir, nous n’avons pas à les effectuer. Elles se font seules, nous n’avons rien à faire. Tous les efforts que l’on effectue vont provoquer une distorsion.
C’est comme quand on a suractivé le corps et que certaines zones sont extrêmement tendues, tandis que d’autres sont endormies. C’est dû à cette sur-activation de certaines zones que l’on se sent tendu et pas très bien. La sur-activation est un processus assez normal. Parce que très souvent dans la vie, on est poussé ainsi à faire quelque chose, à démarrer quelque chose, à ce qu’il y ait un résultat. Alors que la respiration, eh bien c’est quelque chose qui se fait naturellement. Nous réalisons que tout effort que l’on va effectuer au sein de cette pleine conscience de la respiration ne va pas être une aide, au contraire. C’est au détriment de la respiration, car cela va la restreindre et la contracter, au lieu d’être en contact avec sa capacité à se diffuser, sa douceur, sa plénitude.
Il est important de reconnaître que lorsque nous sommes encouragés à produire un effort, un certain type d’énergie, le niveau de qualité qui est présent dans cet effort. Où l’on essaie de dissoudre les influences négatives, au niveau psychologique comme au niveau physique et somatique.
Lorsque l’on reçoit les instructions, cela demande un certain effort d’ajuster ne serait-ce que la posture. Au début, ce peut être un peu difficile et il faut un temps d’ajustement pour qu’elle devienne confortable. Mais c’est un effort en douceur, qui aide, car c’est ce qui va nous permettre avec le temps de nous sentir plus détendus dans la posture, plus confortables.
Une autre façon de se connecter avec la notion de fondement dans le corps, c’est la façon dont certaines qualités spécifiques y deviennent plus apparentes. Ce sont des qualités intérieures plutôt que des événements qui peuvent se produire dans le corps. Par exemple le fait d’avoir un choc ; il y a un moment où on va le sentir puis ça va passer, se dissiper. Ce sont des sensations externes et si nous sommes focalisés au niveau extérieur, c’est le point central de notre attention, « j’ai mal au dos, j’ai mal aux jambes… » C’est difficile, la plupart du temps vous essayez de gérer cela, de voir comment le ressentir. Il s’agit de pouvoir s’établir de façon à entrer en contact avec une dimension plus intérieure où les sensations puissent se déposer plus profondément.
Les propriétés des aspects intérieurs du corps, des sensations physiques sont liées aux éléments, la terre, l’eau, le feu, l’air et l’espace. Les quatre premiers sont les éléments évidents, le cinquième est en quelque sorte l’absence des quatre premiers, c’est quelque chose de beaucoup plus subtil, l’absence de pression, de tension.
La terre est quelque chose qui permet de maintenir une stabilité, donc de maintenir une forme, une impression. Cela peut être le ressenti du corps qui s’éprouve comme quelque chose de solide. Si c’est trop activé, cela va devenir rigide et si ça n’est pas assez activé, ça va au contraire s’endormir, cela ne va plus avoir de vie. L’élément terre permet à la forme de se maintenir elle-même en tant que telle. C’est ce qui résiste à la pression, aussi ; on peut donc venir en appui sur elle.
Le feu, est ce que l’on peut le ressentir sous forme de chaleur ou de vitalité à l’intérieur du corps.
L’élément air est ce que l’on ressent en tant que mouvement dans le corps, donc ce qui va mettre en action, qui va pousser. Généralement, c’est senti à travers les mouvements respiratoires, l’inspir et l’expir. Lorsque l’on observe l’élément air en lien avec la respiration, on peut sentir une poussée qui s’effectue lors de l’inspiration et donc dans toute l’expansion, l’extension du corps et du souffle qui vient pousser sur le corps. Ensuite vient un mouvement de relâchement lors de l’expiration.
L’élément eau est représenté par sa nature de cohésion, du fait que tout peut rentrer en sympathie, exactement comme lorsque l’on envoie un caillou dans une mare, il y a un écho, des ondes qui vont se répercuter sur toute la surface de l’eau.
L’espace, comme je l’ai dit, c’est une absence de pression, donc on a ce sentiment d’espace où rien n’est en contraction. Et telle est la qualité de la base et lorsque l’on peut ressentir tous les éléments ensemble. C’est le moment où l’on peut sentir une certaine aise en même temps qu’une stabilité, où l’on ne sent plus de contraction, où l’on est dans sa plénitude, alors la qualité de l’esprit qui se manifeste est d’être très heureux.
Ce type de bonheur ou d’aise que l’on peut ressentir paraît tout à fait naturel, cela ne vient pas de quelque chose de particulier, ce n’est pas un événement qui l’a provoqué ; c’est la nature même de l’esprit d’être à l’aise et heureux. C’est quelque chose de vraiment formidable, car on a tendance à chercher le bonheur ailleurs, à l’extérieur, alors que lorsque l’on touche sa base, son fondement, on se rend compte que l’on est naturellement heureux. Cela devient un changement de perspective phénoménal qui fait que l’on va plutôt tourner son attention sur le fait de venir atteindre cette base, ce point de stabilité, permettre à une harmonie d’être retrouvée.
Pour cela nous allons mettre tous les efforts pour essayer de dissiper les obstacles, ce qui pourrait venir obstruer la connexion avec notre base. Et aussi prendre du temps pour s’en réjouir, pour y prendre plaisir, de sentir que toutes les parties de notre corps, de notre être, toutes nos cellules, sont en connexion avec cela. C’est l’image que nous pouvons voir du Bouddha qui a toujours ce léger sourire, disant oui, bien, c’est bien ainsi.
Pour en revenir aux éléments, il est important de réaliser qu’ils sont présents dans toutes les expériences corporelles et donc dans l’expérience de la respiration, si on l’effectue complètement. Il ne s’agit pas seulement de l’air, il s’agit de l’air qui est en mouvement tandis qu’il entre en contact avec la terre. Donc il y a ce sentiment de sentir que ça vient pousser en contact avec la terre, et que ce ne serait pas possible s’il n’y avait pas la terre. Si vous restez dans cela, si vous laissez votre corps recevoir cela, il va y avoir un ressenti de vitalité, de chaleur. Puis l’élément eau après l’élément feu va se manifester en laissant la vitalité se diffuser dans tout notre corps.
Commencez par sentir le corps que vous pouvez éprouver, même si vous ne pouvez pas sentir vos oreilles, vos cheveux ou d’autres parties ; eh bien vous sentez comment tout cela se diffuse dans la zone du corps où vous avez accès. Vous commencez à prendre note de ces éléments, de façon à pouvoir les activer, vous les amenez, vous les gardez, vous les manifestez dans votre esprit.
Puis vous pouvez commencer à élargir votre attention de façon à avoir une perception du corps qui, elle aussi s’élargit, encore et encore, qui est en expansion dans toutes les directions, et voir à quel point votre corps intérieur est très vaste. Lorsque vous sentez une limite dans votre ressenti corporel, que ce soit au niveau d’une tension qui peut se manifester ou encore d’une douleur, des limites physiques manifestées par votre peau, alors prenez un temps de pause. Sentez qu’il y a là effectivement une limite, un obstacle, une contraction, respirez à l’intérieur de cela, laissez se diffuser le souffle à l’intérieur, jusqu’à ce que finalement la contraction se dissolve.
A la limite de notre corps, de notre peau, nous pouvons sentir parfois des picotements, des fourmillements. A ce moment-là, nous traduisons ces limites par le fait que « moi je me situe là, à l’intérieur, et puis il y a l’espace à l’extérieur ». En fait, cette expérience détient la qualité du feu à travers ces picotements, ces fourmillements, la chaleur qu’on peut y sentir, elle détient la qualité de la terre. Il y a aussi des pulsations, des mouvements vibratoires qui se manifestent, c’est l’expérience de l’élément air qui est présente.
Nous commençons à reconnaître que la zone de la peau que nous ressentons en cet instant est connectée à tout le reste de la peau dans le corps. Nous pouvons inclure aussi le ressenti de l’espace qui est tout autour, de l’extérieur où l’on entre en contact avec la peau, et petit à petit procéder à un relâchement, laisser la peau s’assouplir, se dissoudre au sein de l’espace.
Ceci peut paraître mystérieux, mais en même temps vous avez sans doute fait l’expérience de moments où vous êtes sur la défensive, où vous essayez de vous défendre. A ce moment-là, vos limites corporelles deviennent beaucoup plus dures. Mais qu’est ce qui se passe lorsque nous nous sentons reconnus, touchés par quelque chose : il y a une forme de tendresse qui vient nous pénétrer; nous commençons à fondre et nos frontières, nos limites corporelles fondent également.
N’est-ce pas un ressenti très agréable, très joyeux que de sentir que lorsque l’on se sent en confiance, en sécurité, lorsque l’on sent un échange de tendresse avec quelqu’un ou avec la nature, il y a ce ressenti où l’on peut se fondre et où nos limites aussi sont beaucoup moins perceptibles ? Alors il y a un sentiment de liberté. Et cela s’accompagne d’un ressenti psychologique qui consiste à se sentir « chez soi », qui procure un soulagement et de la plénitude, de ne plus se sentir séparé.
Donc ce sont les éléments qui se manifestent. Là où ça peut être encore plus utile, au niveau immédiat, c’est lorsque nous ressentons une douleur, une tension, et que ça produit une rigidification d’une zone de notre corps. Quelque chose crée un dommage désagréable dont je veux me débarrasser.
Commençons à en traduire les effets, en nous rendant compte que nous ne pouvons pas nous débarrasser de cela, ou lutter contre cela. Ça revient, donc la première des choses que nous avons à faire est de l’inclure. Il y a, d’abord, une attitude psychologique qui consiste à s’ouvrir pour pouvoir inclure ; ça reste désagréable, mais bon, nous pouvons l’inclure… Ensuite, il y a le ressenti de pouvoir respirer au sein de la douleur. Vous ne pouvez peut-être toujours pas l’inclure émotionnellement, mais disons que vous pouvez l’inclure somatiquement, physiquement. Nous commençons à respirer au travers, au sein de cela, et en particulier d’expirer à l’intérieur. Cela signifie que l’on va relâcher la tension, l’adoucir, que l’on n’est plus en train de lutter contre la douleur. Vous commencez à vraiment connaître, à venir serrer la main de cette douleur. A quoi est-ce qu’elle ressemble, est-ce du feu, quelque chose qui grince comme des cailloux, est- ce que ça poignarde, est-ce de l’ordre d’une impulsion, d’une pulsation, de mouvements qui viennent pousser ? Est-ce qu’il y a des ondes de choc qui se répandent dans le corps ?
Véritablement, on peut voir qu’il s’agit des mêmes éléments, déguisés ; les éléments devenus sauvages. Donc il va nous falloir commencer à apprivoiser ces éléments devenus sauvages en y amenant la qualité propre de ces forces élémentaires. De façon qu’il y ait un contact avec les éléments dans leur nature sauvage et une reconnaissance, en sentant que, oui, nous sommes de la même famille, ce qui petit à petit va permettre d’adoucir. C’est la façon de travailler avec le contact.
L’attention est importante dans la façon dont nous localisons et nous focalisons uniquement sur la zone de douleur. Par exemple, si c’est une douleur au niveau du doigt, c’est la seule chose qui va compter, toute notre attention va être centrée dessus. Nous pouvons sentir cette douleur qui se situe au niveau de notre doigt, mais en même temps nous pouvons sentir la main, le bras, l’épaule, le thorax. Il se peut aussi qu’il y ait une certaine tension qui se manifeste au niveau de la cage thoracique, parce que la reconnaissance de la douleur dans le doigt et différentes parties du corps entrent en sympathie, sont en résonance avec cette douleur.
Vous commencez à travailler à partir des zones où la résonance est plus subtile, où la forme de résistance contre la douleur, contre la tension, est plus subtile. Vous pouvez toujours sentir la douleur dans le doigt, mais en même temps vous dire :
– je suis en mesure de détendre ma mâchoire et je peux détendre ma cage thoracique, je peux détendre mon plexus solaire, respirer plus profondément, plus régulièrement, je peux détendre également mon épaule, mon bras.
Donc vous partez de la zone où la résistance, où l’expérience, est la moins aiguë pour aller aborder doucement la zone où au contraire la douleur ou la résistance est la plus forte.
Pour pouvoir faire de la sorte, vous utilisez la respiration, qui permet de venir en douceur approcher cette zone ; en particulier, en sentant que dans l’expiration il y a une qualité d’adoucissement, de relâchement, de lâcher prise, tandis qu’avec l’inspiration, nous pouvons regagner de l’énergie. Cela donc avec un balayage très doux qui permet de partir de la zone extérieure la moins vive, la moins aiguë et d’approcher en douceur, d’effectuer un mouvement d’aller-et-retour, un peu comme au tennis.
La façon dont vous établissez le contact change votre mode d’attention, qui est aussi un sankhara. Vous allez pouvoir élargir votre localisation, votre attention, et à partir de là ça change aussi votre intention, qui va pouvoir accepter d’aller entrer en contact et d’élargir le prisme de votre expérience.
Lorsque ces trois formations du contact, de l’attention et de l’intention changent, eh bien elles ne vont plus se former, se cristalliser autour de la douleur de la même façon. Ça ne se produit plus sur un mode compulsif, qui est un mode assez naturel de contraction autour de la douleur, avec une lutte pour s’en débarrasser. Lorsque les sankhara s’ajustent différemment, on ne réagit plus de la même façon.
En ajustant ainsi notre conscience, cela diminue la douleur et cela ne vient plus nous agripper de la même façon ; mais ça prend du temps. On se rend compte aussi que tous les tissus vont s’assouplir et permettre d’amoindrir les ressentis physiques qui peuvent se manifester.
Si nous pouvons arriver à faire cela avec les douleurs physiques, vous pouvez imaginer ce que l’on arrive à faire au niveau des douleurs psychologiques ou émotionnelles, qui n’ont en fait aucune substance, si ce n’est ces trois aspects qui « collent » ensemble.
Donc c’est quelque chose que vous devez pouvoir vraiment complètement éclaircir, tout ce qui est de l’ordre de la douleur psychologique et émotionnelle. C’est le même processus d’aller respirer à l’intérieur et d’inclure une humeur désagréable que l’on peut avoir. La première des choses est de reconnaître que c’est là et que cela ne sert à rien de vouloir que ça disparaisse, que ça s’arrête, de ne pas accepter les choses telles qu’elles sont. Seulement à partir de là on pourra aller respirer dedans et l’inclure. Ça va commencer à s’adoucir, l’élément terre qui s’était rigidifié va pouvoir s’assouplir, une certaine chaleur va se manifester ; cela circule à nouveau librement et on va pouvoir introduire notre esprit dans ces zones, de façon à ce que cela retrouve son harmonie.
Nous allons prendre un temps pour la pratique. Tout d’abord, une marche méditative où vous allez vous concentrer sur le ressenti de la fluidité du corps, et puis un temps d’assise. Vous allez prendre une demi-heure pour la marche, et revenir dans l’assise jusqu’à midi.
Méditation
Nous portons notre attention sur l’instant présent, et sur le fait que vous avez un corps, comment vous faites l’expérience d’avoir ce corps. Nous utilisons l’esprit pensant comme un agent d’investigation, non pas pour donner la réponse, mais juste pour pointer.
Nous regardons en observant à partir de notre intériorité, à partir de notre cœur. Il se peut qu’il y ait des qualités de pression qui se fassent sentir, aussi des qualités de stabilité, des mouvements subtils, des ressentis agréables ou désagréables, légèrement agréables ou légèrement désagréables.
Une qualité de vitalité est en lien avec cela, qu’elle soit très ou peu forte, mais c’est une chose pour laquelle on ne peut pas se tromper. C’est une qualité de stabilité en lien avec cette vitalité, ce n’est pas comme du feu qui saute et qui danse, c’est au contraire quelque chose qui rassemble, avec stabilité.
Imaginez que vous sortiez d’un rêve, que vous soyez mort, comme un fantôme, désincarné, et que d’un seul coup vous arriviez en ce lieu et que vous vous retrouviez dans un corps, donc amené à ressentir ce que c’est d’avoir un corps. Ceci, c’est quelque chose de tellement familier que nous le tenons pour acquis et en sommes rarement conscients. Donc ce que nous essayons de faire maintenant, c’est de devenir de plus en plus conscients de cela. En particulier la qualité de vitalité, cette énergie présente dans le corps, kāya-sankhāra, qui se manifeste comme une vague, comme une marée.
Y a-t-il un inspir à l’intérieur, qui ensuite répand le souffle ? Lorsque vous expirez, cela diffuse le souffle dans toute la forme. Vous pouvez avoir l’expérience de quelque chose qui gonfle, qui enfle, ou bien de quelque chose qui picote, d’ordre vibratoire, qui vous traverse.
C’est ainsi que cela se répète, comme la marée qui monte et qui se retire. Il s’agit de votre vie, donc vous respectez cela. Avec l’attitude mentale de vous dire : « Comment est-ce que je peux m’ouvrir, comment soutenir cela, comment ne pas créer d’obstacle à cela. » Comment tenir votre corps de façon à ce que la respiration puisse faire son travail du mieux qu’elle peut ?
Parfois le mouvement de la marée peut être long, parfois raccourci, mais vous suivez cela avec émerveillement, avec étonnement. D’abord, à quoi ça tient d’être en vie !
Quand vous arrivez à la fin de l’expir, est-ce que vous pouvez sentir qu’il y a un temps de pause et de renforcement où toute la force est rassemblée dans la partie inférieure de la région abdominale ? Lorsque cela redémarre, on peut sentir que cela tire vers l’intérieur, de façon régulière.
Nous pensons que l’air est la respiration, alors qu’en fait la respiration, le souffle, c’est l’énergie qui tire vers l’intérieur. Tandis que cette énergie tire l’air à l’intérieur, elle s’étale ensuite, elle s’étend à travers la cage thoracique, et puis au sein de la tête.
Quand l’inspir s’accomplit, vous pouvez sentir une subtile diffusion qui s’effectue à l’arrière du nez, des yeux, dans votre tête. En remarquant le moment ou le lieu où ce mouvement se termine et reprend, en redescendant dans le bas du corps. Tandis que cela descend pendant l’expiration, vous pouvez avoir le ressenti de quelque chose qui balaie, qui nettoie tout le corps. Vous pouvez ressentir quelque chose qui s’assouplit dans la poitrine, peut-être une sensation de douceur ou de détente dans vos mains.
Quoi qu’il en soit, ressentez ce rythme lent et régulier. Vous l’accompagnez en quelque sorte, vous le chevauchez, c’est comme si vous nagiez avec lui en entrant vraiment en contact avec son effet. En même temps, ça a un effet calmant, mais vivace, qui procure une clarté pendant que vous respirez, car c’est vivant.
Au bout d’un moment, vous pouvez trouver la zone de votre corps où vous établir le plus confortablement possible. A partir de là, sentez le passage du souffle ; à l’arrière-plan des narines, au niveau du front, dans la tête ou toute autre zone où vous sentez que vous pouvez établir votre conscience, votre esprit et sentir le souffle traverser la zone.
Où que vous vous placiez dans le corps, quel que soit le lieu où vous sentez que vous pouvez vous établir, au fur et à mesure où vous allez vous maintenir en sentant la respiration, cette zone va être de plus en plus « énergisée », donc vivifiée. Il va s’y produire une clarté, une luminosité.
En vous établissant ainsi, comment est le corps maintenant ? Une série d’impressions, de la chaleur, des points de pression, des changements continus, quelles que soient les sensations…
Peut-être qu’au cours de votre observation, vous pouvez sentir une zone qui semble solide ou figée. Si vous restez en contact avec la vitalité, l’énergie de vie et que vous pouvez la diriger, eh bien vous pouvez aller vers les zones qui ont été exclues, qui sont dures, froides ou tendues, et commencer à vous en approcher.
Nous faisons l’expérience des limites physiques de notre corps en allant au-delà de ces limites, en sentant l’espace extérieur en même temps que l’espace intérieur, en laissant ces deux espaces se rencontrer, s’interpénétrer jusqu’à ce qu’ils soient indifférenciés, immergés l’un dans l’autre.
(Gong)
Lorsqu’il y a le son du gong qui signifie que nous arrivons à la fin d’un cycle, essayez de traverser cela en restant dans le même état de stabilité, de centrage, jusqu’au niveau où vous avez pu vous établir. Essayez de rester dans la continuité de cela tout en ouvrant les yeux et en voyant ce que vous apporte le fait d’être en contact avec le regard. Là aussi, vous pouvez considérer cette expérience en vous posant la question : de quoi s’agit-il, qu’est- ce qui se passe là au juste ? Est-ce que c’est source de familiarité, d’intérêt ou de désintérêt ? Est-ce que c’est le sentiment d’être quelqu’un ici séparé de ce qui est là-bas à l’extérieur ? Et entre ces deux zones, moi ici et le reste là dehors, il y a cette sorte de mouvement, cette incertitude.
Peut-être y a-t-il un esprit qui, avec avidité, commence à nommer chaque chose, « il s’agit de ceci, de cela, elle est ceci, lui est cela », et ainsi à figer les choses comme si elles étaient solides. Mais ce n’est pas solide, n’est-ce pas ?
Avoir aussi un mouvement d’aller vers…, de se connecter avec ce ressenti, de s’y établir, de pouvoir le maintenir. Là où notre cœur peut se connecter avec ce qui se trouve autour de nous, et avoir un sentiment de bienveillance, de soin, de se soucier de ce qui se trouve autour. Mais il peut arriver de ressentir une anxiété, une forme d’incertitude. Tout cela, ce sont des courants émotionnels qui s’élèvent lorsque nous faisons l’expérience du monde. C’est une qualité qui consiste à noter que c’est ainsi, sans pour autant condamner, sans se complaire non plus, c’est juste cette capacité à noter les choses telles qu’elles sont.
Comme il y a quelques questions, nous allons voir ce qu’on peut amener dans la réflexion de ce soir.
Questions-Réponses
Question : Est-ce que l’esprit est dans le cerveau ? Il y a bien une zone du cerveau qui s’occupe des émotions, et une de la mémoire. Donc, peut-on dire que l’esprit est indépendant du cerveau ?
Réponse : Si vous allumez votre téléviseur et que vous voyez des footballeurs qui courent sur l’écran, ils ne font que 10 cm, comment ont-ils pu entrer dans cette boîte ? Donc, dans quelle partie de la télévision résident-ils ? Et quand vous tournez le bouton pour éteindre, où vont-ils ? Si vous allez à l’intérieur de ce téléviseur, vous trouverez toutes sortes de connexions qui ont à voir avec la lumière, la couleur, vous allez pouvoir regarder cela.
A partir de là, peut-on dire que l’esprit est à l’intérieur du cerveau, ou est-ce que le cerveau reçoit l’esprit, est-ce que le cerveau génère l’esprit ou c’est l’esprit qui active le cerveau ? J’imagine que la réponse qu’on pourrait donner, c’est : « A cette question, le Bouddha n’a pas répondu ! » Et pourquoi n’a-t-il pas répondu ? Parce que ça ne va pas vous conduire à la libération. Cela nourrit simplement le processus de penser : est-ce que c’est ceci, ou cela ?
Le plus important à explorer, c’est de voir l’esprit contenu au sein de l’avidité, de la peur, de la colère. Peut-il être libéré de cela ?
Question : Dans la méditation, les yeux fermés, quelle est la part du sens de la vue ? Peut-il être utile de prendre appui sur la luminosité lorsqu’elle apparaît ? Est-ce que fixer son attention sur la luminosité peut remplacer ou s’ajouter à fixer son attention sur la respiration ? (Sensation de bien-être associée à une couleur).
Réponse : L’intériorité de l’esprit, qu’on appelle souvent le cœur ou la conscience, présente une luminosité qui lui est propre, comme l’intériorité du corps détient une énergie, une vitalité qui lui sont propres. En fait, ces deux formes d’intériorité ne sont pas vraiment séparées, elles s’immergent l’une dans l’autre. Une des formes d’expérience de ces énergies peut se produire sous la forme d’un rayonnement, d’une radiance, d’une luminosité. Ça peut aussi être l’expérience d’un son subtil, ou un sentiment de ressenti d’espace, une qualité de chaleur. Ce sont des signes subtils qui se manifestent lorsque l’intériorité de l’esprit se connecte à celle du corps, et c’est utile le temps que vous demeurez dans la conscience de cela, de le garder à l’esprit, de le considérer comme un objet avec lequel vous pouvez vous maintenir. Cela implique une stabilité, une présence régulière qui permette d’être avec cet objet.
A partir de la stabilité du cœur, vous faites l’expérience de cette luminosité ou de ce son subtil, ou quel que soit le mode de manifestation de cette énergie. Si vous le tenez de façon régulière, ça peut être une façon pour que les obstacles se dissolvent, comme la fatigue, la torpeur, la tristesse, ou la dureté, la rigidité, les types d’obstacles que nous pouvons rencontrer qui font que nous nous sentons confinés, contraints. Il s’agit de vous laisser baigner, inonder de façon subtile, en douceur, par cette énergie qui est alors rendue disponible pour vous, de pouvoir aller toucher les zones fragiles, endurcies.
L’aspect négatif, c’est si cela procure à l’esprit une sorte d’excitation, et qu’au lieu de nous maintenir dans la stabilité, nous soyons attirés, entraînés dans cette expérience. C’est quelque chose qui va procurer une sorte d’excitation mais qui ne sera pas très ancré. C’est dans ce type d’expérience que les gens commencent à se dire : « Eh bien, je suis là dans un état très spécial, je suis à moitié éveillé, ou peut-être éveillé, ou peut-être doublement éveillé », parce que l’énergie c’est attirant.
Ainsi, vous pouvez vous retrouver avec votre conscience ou votre présence entraînée dans toutes sortes de domaines tout à fait excitants, d’accord, mais ça ne va pas vous procurer beaucoup de sagesse. Une des raisons pour lesquelles nous essayons de toujours garder à l’esprit la présence du corps, c’est qu’il y a une dimension en lien avec le corps. Si vous sentez que vous êtes en train de perdre pied, de perdre le contact avec le sol et que vous êtes entraînés dans cette luminosité ou cette expérience, alors il est bon de faire demi-tour et de retrouver le fondement, la base.
Si l’on sait utiliser à bon escient la luminosité, elle peut être utile pour dissiper un certain nombre d’obstacles de l’esprit, comme l’agitation, les doutes, de la nervosité qui peut être présente, une forme d’anxiété, toutes sortes d’obstacles qui peuvent être apaisés grâce à cette luminosité, si elle est bien utilisée.
Question : A part continuer à pratiquer, avez-vous un conseil pour s’ouvrir et se préparer à la mort ?
Réponse : Se préparer à la mort, c’est la pratique, ce n’est pas en dehors de la pratique. Lorsqu’on parle de pratique, on peut se référer à différentes choses. On peut parler de méditation comme étant la pratique, et bien sûr ça l’est, mais c’est plutôt un accès, je dirais, à la véritable pratique. C’est pourquoi j’ai pris comme thème de cette retraite le fait de pénétrer et d’approfondir, d’aviver notre intériorité. Parce que c’est ce qu’on peut faire grâce à la méditation qui permet de stabiliser l’esprit et de pénétrer au sein de l’intériorité.
Mais il y a de nombreuses portes d’accès, par exemple la pratique de la bienveillance et de la compassion de façon continue dans notre vie. C’est une porte d’accès, parce que cela signifie que nous cultivons cette bienveillance et cette compassion non seulement pour les êtres qui comptent pour nous, nos êtres chers, mais pour tous les êtres, y compris ceux avec lesquels vous n’êtes pas en accord. Mais vous les incluez.
Peut-être est-ce qu’on peut résumer la pratique d’Ajahn Chah en un mot : il disait que tout ce qu’il a enseigné est tourné autour de la patience. Ça semble simple ? C’est la patience qui consiste à supporter les choses, heure après heure, jusqu’au point où finalement vous avez beau essayer de tenir, eh bien vous vous effondrez, vous craquez. C’est là où quelque chose peut s’ouvrir.
Pour la plupart, nous avons une certaine dose de patience, mais à un moment donné elle est mise au défi ; on dit : « Non allez ça suffit, j’en ai assez ! », ou « C’est moi qui sors ou c’est toi ! », ou alors on éteint tout, on ne peut pas aller plus loin. Vous arrivez à la limite où « je ne peux pas supporter une minute de plus », et puis finalement vous supportez encore une minute. Graduellement s’installe la qualité intérieure qui a la capacité d’inclure, car c’est vraiment ce qui est propre à l’intériorité, de pouvoir inclure.
Petit à petit, vous sentez que vous pouvez le faire de plus en plus.
Inclure signifie que vous ne rejetez pas ce qui est en train de se passer, vous ne le fuyez pas, vous en prenez conscience, le prenez en compte, mais vous ne jugez pas. Ce qui se passe, c’est que toutes les zones obscures, les zones difficiles, les zones que l’on ne veut pas voir ou que l’on voudrait différentes, eh bien d’un seul coup nous nous ouvrons à elles et y restons présents. C’est la pleine conscience ; le fait de rester présents avec les choses signifie que vous ne considérez pas que c’est bon ou mauvais, que vous approuvez ou désapprouvez : vous les incluez. Il est difficile de dire à quel point c’est puissant ; ce que cela fait, c’est que cela diminue petit à petit le sentiment du soi.
Le sentiment de soi est celui qui nous dit : « Non, pas toi, pas de ça, je veux plutôt ça ! », c’est ce qui se resserre sur quelque chose. Quand vous incluez de plus en plus, les mains qui étaient resserrées sur quelque chose s’ouvrent, s’élargissent. Ce qui peut se produire alors, c’est un énorme approfondissement, un sentiment de vastitude. Nous y arrivons par le biais de la compassion, par le biais du service, de la méditation. Cela fait entrer en contact et en amitié avec toutes nos difficultés, nos obstacles, nous pouvons petit à petit entrer de plus en plus profondément en lien avec notre intériorité.
Tout cela, c’est une préparation : pouvoir voir cela, c’est une préparation à la mort. Ce sera un moment où pénétrer complètement dans cela, laisser derrière nous le sentiment de séparation. Lorsque nous sommes nés et que nous avons pris cette forme, nous sommes nés dans la séparation. Le soi est contenu dans cette position très limitée : moi ici, le reste à l’extérieur. Cela nous donne un sentiment de responsabilité, car cette chose-là peut décider, peut agir. En même temps, cela nous donne le sentiment qu’il y a toujours l’autre. C’est ce qui fait que parfois on éprouve un sentiment de solitude ou d’anxiété, c’est comme cela que nous sommes nés, que nous avons pris naissance.
Nous préparer à la mort, c’est nous préparer à quitter tout cela. D’une certaine façon, cela peut paraître attristant ou perturbant ; beaucoup de gens n’aiment pas considérer la mort, parce que c’est la fin de ce que nous pouvons voir, penser, goûter et toucher, c’est la fin de l’extériorité. Si vous vous êtes identifiés à cela, que vous prenez beaucoup de plaisir à cette extériorité, cela peut être très pénible, mais c’est la façon dont cela doit se passer, le contrat que nous avons. Le fait d’en prendre conscience n’implique pas de sombrer dans la dépression, c’est simplement de voir la vérité ; à partir de là, de se demander ce que vous allez en faire.
Si nous utilisons ce temps, cette forme pour gérer nos difficultés, l’anxiété qui peuvent se manifester au sein de notre intériorité sous la forme d’émotions, nous aurons utilisé ce temps et cette forme, de façon très sage. C’est ce que l’on appelle la pratique. C’est une pratique, donc, de reconnaissance et de compréhension de tous ces mécanismes, qu’il s’agisse d’aversion, de saisie, envers nous-mêmes, envers les autres, et il faut travailler avec cela.
Puis, au fur et à mesure que vous entrez en contact avec l’intériorité, puisqu’il faut bien donner un nom à cela, eh bien vous vous rendez compte à quel point c’est libre et vivant, vaste et ouvert, et spacieux. Vous vous rendez compte aussi que cela n’est pas mort, ne meurt pas; c’est ce que l’on appelle l’immortalité. Ce n’est pas affecté de la même façon que l’extériorité.
Bien sûr, la méditation c’est la pratique, mais la compassion et l’amour bienveillant sont aussi la pratique, comme la patience. Etre au service d’autrui c’est aussi la pratique. C’est une belle façon de terminer, n’est-ce pas ?
Une bonne chose est de se souvenir que le Bouddha nous encourage à nous rappeler au moins une fois par jour la mort inéluctable, et comment nous le ressentons. Cela ne s’est pas produit pour l’instant, vous n’êtes pas morts encore, vous ne savez donc pas de quoi il s’agit et comment cela va se passer. Il y a une sorte de mouvement qui restreint, qui se resserre, on continue à se poser la question : « Comment ça va se passer, qu’est-ce qu’il va m’arriver ? ». Comme un petit enfant qui n’a pas envie d’aller à l’école: «Allez, allez, maintenant c’est l’heure d’y aller, allez, faut y aller ». Il continue à tenir la main de sa mère et à dire « non ! ». « Mais maintenant c’est le moment pour toi de grandir, allez ! » et il finit par dire « bon, d’accord ».
Lorsqu’on commence à accepter de pénétrer dans l’inconnu et de laisser derrière soi le connu, ce peut être quelque chose que nous pourrons faire avec grâce, avec bonne volonté, en l’accueillant. Peut-être est-ce qu’on peut aussi avoir un sentiment de gratitude envers cette vie. Peut-être va-t-on penser aux personnes qui nous ont créé des soucis, qui étaient dures ou difficiles avec nous, et nous dire « ça va, lâche prise ». Les choses erronées que nous avons pu faire, les actes erronés que nous avons pu effectuer, aussi, lâcher prise en disant : « Ça n’a pas d’importance ». Si l’on utilise cela avec sagesse, ça nous aide à nettoyer, à clarifier les choses, à dissiper tous les aspects qui sont finalement assez mesquins alors qu’ils semblaient avoir de l’importance.
Le moment de la mort, c’est le moment d’être vaste.
Nous pouvons entrer en contact avec cela, cette qualité vaste, nous pouvons la rencontrer à l’intérieur de nous-mêmes. Faisons cela régulièrement, nous pourrons acquérir une forme d’assurance par rapport à notre propre mort.
Donc lorsque vous passez la porte, ne vous agrippez pas à la poignée de la porte, continuez.
Ça suffit pour ce soir.