Extrait du livre « Travailler avec les cinq obstacles », Ajahn Thiradhammo.
La première étape de l’éveil est appelée « entrée dans le courant » (sotāpanna).
Il s’agit d’un pas important dans la vision profonde de la nature impermanente et conditionnée des phénomènes, comme illustré dans l’enseignement sur les Quatre Nobles Vérités.
En voici une description classique donnée dans les Écritures :
Quand le Bouddha sut que l’esprit de Yasa, le jeune homme de bonne famille, était prêt et réceptif, libre de toute obstruction, exultant, réjoui, il lui transmit l’enseignement condensé des bouddhas : dukkha, son apparition, sa cessation et la voie qui mène à cette cessation. Et de même qu’un vêtement propre sans tache absorbe aisément une teinture, Yasa assis là, vit surgir la vision pure et sans tache du Dhamma : « Quels que soient les phénomènes qui apparaissent, tout est sujet à cessation. » (Vin.I, 15)
Cette découverte significative provoque un changement majeur dans la compréhension que l’on peut avoir de la réalité et engendre un changement radical dans la conscience de la personne qui l’a vécue.
La vision profonde de l’impermanence et du lien de cause à effet révèle l’impersonnalité ou « non-soi » caractéristique des phénomènes, de sorte que l’entrave du « moi » auquel on s’identifie (sakkāya diṭṭhi) est abandonnée.
Après avoir compris la nature conditionnée de tous les phénomènes, l’entrave de l’attachement aux rites et rituels (sīlabbataparāmāsa) est abandonnée. Et pour avoir vérifié par soi-même la justesse de l’enseignement du Bouddha, l’entrave du doute est abandonnée et l’on acquiert une confiance totale dans le Bouddha, le Dhamma et le Sangha.
Il s’agit là d’une avancée considérable dans la compréhension de l’enseignement du Bouddha. Le terme « entrée dans le courant » signifie que l’on est maintenant dans le flux qui débouche sur le nibbāna, car la compréhension est telle qu’il n’y a plus de retour en arrière possible vers des états d’ignorance grave qui provoqueraient une renaissance dans les « états de chagrin » que sont les sphères infernales et animales et la sphère des fantômes affamés (A.II, 238).
On dit qu’il y a trois types de personnes qui « entrent dans le courant » :
. ceux qui renaissent parmi les humains ou les êtres célestes (deva) jusqu’à sept fois encore ;
. ceux qui ne renaissent plus que deux ou trois fois et toujours chez des humains « de bonne famille » ;
. et ceux qui ne renaissent plus qu’une seule fois parmi les humains (A.I, 233).
Les quatre bienfaits de l’entrée dans le courant sont une confiance totale dans le Bouddha, le Dhamma et le Sangha, et le maintien de l’observation des cinq préceptes :
Doté d’une moralité qui réjouit les nobles êtres, entier, sans faille, sans tache, libéré, loué par les sages, non terni, prêt à la concentration (A.V, 183).
À plusieurs reprises, le Bouddha a modifié cette liste de bienfaits en remplaçant les préceptes par la générosité.
À ces occasions, il s’adressait à des individus particuliers (40) dont il savait peut-être qu’ils suivaient déjà bien les préceptes, mais qu’ils pouvaient gagner à développer de la générosité.
Une autre modification a été apportée dans le cas d’Anāthapindika : le Bouddha a ajouté un facteur, la « méthode noble », qui consiste à voir clairement et à comprendre parfaitement avec sagesse – cette formule étant celle de la causalité conditionnée (A.V, 184).
Il s’agissait peut-être là encore d’un enseignement spécifique pour ce mécène laïc déjà dévoué, vertueux et généreux, qui pouvait bénéficier d’une meilleure compréhension de ce point pour progresser sur la voie.
Les six bienfaits de l’entrée dans le courant sont les suivants :
1) la personne est certaine d’être dans le vrai Dhamma,
2) elle ne fera pas machine arrière,
3) sa souffrance est limitée,
4) elle possède un savoir hors du commun,
5) elle a clairement vu que tout a une cause
6) et les effets de ces causes (A.III, 441).
Le doute sceptique en tant qu’obstacle est surmonté à l’entrée dans le courant. Avec la vision profonde de la vérité du Dhamma, également appelée l’ouverture de l’œil du Dhamma (ou encore la « percée [abisamaya] du Dhamma », S.II, 133), celui qui entre dans le courant est libéré du doute à propos de l’enseignement (Dhamma) et il acquiert également une confiance totale dans le Bouddha et le Sangha.
Cependant, il y a encore de l’ignorance jusqu’au stade de l’arahant.
Il peut donc y avoir un résidu d’autres formes de doute.
Un passage des Écritures dit même que la libération ultime du fléau du doute et de l’incertitude arrive lorsque la vanité du « je suis » est éradiquée (A.III, 292).
Or comme cette vanité n’est totalement transcendée qu’au niveau de l’arahant, cela implique qu’un certain doute et des incertitudes subsistent jusqu’à la libération finale.
Ailleurs, il est également suggéré que seul l’arahant est parvenu à une totale confiance dans le Triple Joyau (M.I, 184) et a ainsi totalement transcendé le doute.
(40) Isidatta et Purāna dans S.V, 348 et Kāḷigodhā à S.V, 398.
Source du texte Dhamma de la forêt