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Le plaisir des sens

Extrait du livre « Travailler avec les cinq obstacles », Ajahn Thiradhammo.

Le plaisir des sens est mentionné dans de nombreux contextes dans l’enseignement du Bouddha.

Il est listé en premier dans les quatre objets d’attachement (upādāna), les trois « soifs du désir » (tanhā), les quatre « débordements » (ogha), les quatre « effluents » (āsava), les quatre « liens » (yoga) et les trois « envies » (esanā). C’est aussi l’une des trois formes de pensées erronées (micchā vitakka) et, en tant que pratique, c’est l’un des extrêmes à éviter pour suivre la Voie du Milieu.

Le plaisir sexuel est toujours inclus dans ces aspects du plaisir des sens et parfois la relation sexuelle est clairement spécifiée. Par exemple, le troisième des cinq préceptes laïcs est presque toujours traduit par « s’abstenir d’inconduite sexuelle » (kāmesu micchācāra), ce qui est expliqué par s’abstenir de relations sexuelles inappropriées (par exemple dans M.I,286 ; III,46).

La référence la plus habituelle aux plaisirs des sens est liée aux cinq objets sensoriels physiques – les cinq « axes du plaisir des sens » (kāmagunā) : les objets visuels, les sons, les odeurs, les saveurs et les sensations tactiles qui sont « agréables, appréciables, plaisantes, adorables, engendrant du plaisir et de l’attirance. »

Dans différents endroits du Canon pāli (par exemple dans M.I,181 ; 274 ; 347), on utilise le mot « convoitise » (abhijjhā) au lieu de « désir des sens » en référence aux Cinq Obstacles. La convoitise, qui est synonyme d’avidité (lobha), implique alors un élargissement du sujet pour qu’il englobe également les objets mentaux. Cela inclut l’avidité pour des idées, des concepts et des images de soi (célébrité, richesse, santé, etc.) qui donnent lieu à des notions et des opinions sur soi (plaisir égotique), lesquelles constituent un sérieux obstacle pour certaines personnes (cf. S.IV,22 ; 65).

Le Bouddha avait une façon très particulière de considérer les plaisirs des sens. Tout en reconnaissant qu’ils apportent la satisfaction du bonheur et du bien-être (sukha somanassa), il a donné de nombreux enseignements où il explique les limites de ces bienfaits et les dangers que nous encourrons en recherchant inlassablement ce type de plaisirs (M.A,186), notamment en proposant des images très fortes pour illustrer ses dires (par exemple M.I,132).

La raison principale est que « tout ce à quoi on pense ou on réfléchit souvent devient la tendance de l’esprit » (M.I,116). Ainsi, beaucoup penser aux plaisirs des sens finit par créer des habitudes mentales dans ce sens.

Par ailleurs, quand on s’adonne aux plaisirs des sens, il est inévitable d’avoir « une jouissance sensuelle, des perceptions de plaisir sensoriel et des pensées de désir » – autrement dit, le plaisir des sens tend à submerger l’esprit (M.I,133).

D’un autre côté, le Bouddha, conscient peut-être que les êtres humains ont instinctivement besoin de plaisir, a loué et encouragé l’expérience du bonheur spirituel. Par exemple, deux des exercices pour développer la méditation sur le souffle mentionnent spécifiquement la joie et le bonheur que l’on ressent quand on entraîne l’esprit à suivre la respiration (pīti sukha ; M.III,82).

Avant son éveil, lorsque le futur Bouddha poursuivait sa quête spirituelle, il a noté que les pensées de plaisir sensoriel entraînent des problèmes pour soi et pour les autres : « Elles font obstacle à la sagesse, engendrent la tristesse et ne mènent pas au nibbāna » (M.I,115). Il a comparé cela au renoncement (nekkhamma) qui produit des effets diamétralement opposés et « qui mène au nibbāna ».

Il a eu une révélation similaire à propos des pensées de négativité et d’agressivité et de leurs contraires. En s’appuyant sur les trois sortes de pensées saines (17), il a pu développer des états de concentration de plus en plus fins (jhāna) qui engendrent un bonheur bien plus grand que le plaisir des sens (S.IV,226). Il a appelé cela « la félicité du renoncement, la félicité de la solitude, la félicité de l’apaisement et la félicité de l’éveil » (M.III,233 ; I,454) qu’il faut poursuivre et dont nous n’avons rien à craindre. Une fois que l’on a expérimenté la félicité et le bonheur des jhāna, l’engouement pour les plaisirs sensoriels qu’offre le monde disparaît (M.I,91).

Cependant, les états de jhāna ne sont qu’un répit temporaire ; dès que l’on en sort, on redevient sujet à l’attrait des plaisirs sensoriels. Mais le Bouddha a trouvé une échappatoire absolue – « résoudre et abandonner le désir et la passion pour le désir des sens » (M.I,87) – qui se produit au troisième des quatre degrés d’éveil.

Pour résumer, il déclare que pour faire l’expérience de la cessation des désirs sensoriels, il faut comprendre « selon la réalité » (yathabuta) leur origine et leur cessation ainsi que la gratification qu’ils procurent, le danger qu’ils représentent et la façon d’y échapper. C’est ce que l’on appelle « en finir avec le joug de la sensualité » (A.II,11). C’est donc quand on comprend vraiment à quel point les plaisirs des sens sont finalement aléatoires et insatisfaisants que le désir et la soif de la passion cessent définitivement.

La clé qui permet de se libérer une fois pour toutes de la sensualité est de la comprendre « telle qu’elle est réellement », c’est-à-dire au niveau de la vérité ultime. Cependant il y a des degrés pour y parvenir. Un début de compréhension apporte un certain répit par rapport au désir sensoriel ; ensuite, plus la compréhension s’approfondit plus la libération se confirme.

Mais « échapper » à la sensualité est plus facile à dire qu’à faire. L’étape ultime se situe à un degré d’éveil très avancé, il ne faut donc pas trop s’en préoccuper. Je dirais même que nous avons besoin d’un minimum de « plaisir sensoriel » en termes de confort pour pouvoir continuer à vivre et à poursuivre la pratique spirituelle.

Si le corps est mal à l’aise, nous avons le désir naturel de soulager son inconfort ou sa douleur, faute de quoi nous succomberons à la négativité et/ou à l’agitation, deux des autres obstacles.

L’esprit a besoin de se sentir suffisamment en sécurité pour ne pas être sur la défensive et pouvoir s’ouvrir à de nouvelles réflexions ou contemplations. Bien sûr, il est bon parfois de sortir un peu de notre zone de confort, bien qu’il soit difficile de faire la différence entre ce dont nous avons vraiment besoin et ce que nous désirons : est-ce que je pense toujours à la nourriture parce que mon corps est en manque ou parce que je m’ennuie ou je me sens seul ? Dans quelle mesure répondons-nous à nos besoins et dans quelle mesure nourrissons-nous des désirs insatisfaits ?

Il est important de souligner ici que les plaisirs sensoriels ne sont pas en eux-mêmes des obstacles, des entraves ni des tendances sous-jacentes. C’est le désir que nous en avons qui devient un obstacle, une entrave ou une tendance sous-jacente.

L’élément clé dans le plaisir des sens est le ressenti agréable, le « bonheur et le bien-être » (sukha somanassa) qu’il procure. Avec le ressenti agréable, le rapport à soi se détend ou même s’efface, ainsi que son cortège de stress et d’angoisse ; on dit que l’on « se perd » dans les ressentis agréables, tandis que les ressentis désagréables obligent le « moi » à chercher une compensation pour ce qu’il perçoit comme une menace pour sa survie.

Écoutez-le crier quand il souffre ; observez ce que vous faites quand vous vous sentez mal émotionnellement : vous allez écouter une musique qui vous plaît, regarder un film ou chercher quelque chose à manger.

Autrement dit, vous essayez de vous échapper dans une forme ou une autre de plaisir sensoriel.

Source du texte   Dhamma de la forêt