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Le corps en décomposition

Extrait du livre « Travailler avec les cinq obstacles », Ajahn Thiradhammo.

L’autre exercice de méditation sur l’aspect peu attirant du corps consiste à le voir dans ses différentes phases de décomposition après la mort. Il est rare, de nos jours, d’avoir l’occasion d’observer cela mais nous pouvons utiliser l’imagination et nous aider de lectures.

À l’époque du Bouddha, les cadavres étaient souvent simplement posés à l’extérieur du village, dans un lieu dédié à cet effet, de sorte qu’il était possible de les voir se décomposer naturellement peu à peu ou être dévorés par des charognards.

Aujourd’hui, en Thaïlande, on voit parfois un squelette dans la salle de méditation de certains monastères de forêt pour permettre de contempler la nature du corps. La plupart du temps, les gens ne veulent rien entendre à ce propos, mais c’est une question de culture.

En réalité, c’est bien ainsi que finira notre corps – peut-être pas dans un charnier mais il mourra et se désintégrera d’une manière ou d’une autre.

Il y a une autre façon, moins dramatique, de contempler le corps à différents stades de décomposition : en cherchant sur internet des images de différentes maladies possible. À un certain moment j’ai eu un problème de peau et j’ai essayé de trouver des informations et un remède sur internet. Un des sites que j’ai consultés avait des photos et des explications sur quarante maladies de peau différentes. Après avoir vu toutes les horribles lésions de la peau, j’ai réalisé que mon problème était insignifiant mais cette incursion m’a tout de même donné l’occasion de découvrir des images saisissantes sur les choses terribles qui peuvent arriver au corps.

Idéalement, le but de la méditation sur le corps est de nous aider à en avoir une perspective plus réaliste.

Souvent nous insistons pour voir le corps comme quelque chose qui sera toujours jeune et beau, et qui durera éternellement, de sorte que le moindre changement et la moindre petite douleur nous effraient.

Mais, avec une meilleure compréhension, nous sommes clairement conscients que le corps est sans cesse sur le déclin. Dès l’instant de la naissance, nous allons vers le déclin ; le corps ne cesse de vieillir. De mon côté, j’ai déjà perdu quelques dents, mes cheveux ont commencé à grisonner et j’ai remarqué quelques rides… mais qui veut s’y arrêter ?

Nous ne voulons pas voir la véritable nature du corps tandis qu’il se dégrade. La réalité c’est qu’il n’est pas seulement né, il est aussi en train d’aller vers la mort. En comprenant cela, nous avons une vision du corps plus paisible, plus harmonieuse et plus complète, ce qui nous permet d’obtenir une perception et une connaissance plus justes de notre propre corps.

Ainsi, quand le désir sexuel apparaît, cette compréhension des choses peut nous aider à avoir un regard plus sage sur le corps des autres aussi. Quand il y a excitation sexuelle, le corps de l’autre nous semble vraiment attirant et exceptionnellement beau. Mais au petit matin avant la douche, où est cette beauté ? C’est un autre aspect du corps.

Je voudrais ajouter ici une mise en garde quant à la pratique de ces deux méditations. Je connais des personnes qui les ont essayées mais qui, malheureusement, espéraient les utiliser comme antidote au désir sexuel. Il est vrai que parfois la traduction de ces techniques n’est pas « méditation sur l’aspect peu attirant du corps » mais sur l’aspect « répugnant » ou « dégoûtant » du corps.

Ainsi, une personne concupiscente ou envahie par le désir sexuel va se dire : « Il faut que j’apporte de la répugnance à cette pratique. » Puis elle va utiliser ces méditations non pas pour voir le corps avec plus de clarté et de vérité mais pour contrer sa luxure ou son désir.

En général, cela se termine par le refoulement ou la négation de ce qui est beau en imposant une image conceptuelle artificielle de quelque chose de dégoûtant ou de répugnant (ce que l’on appelle la « formation réactionnelle » en psychologie). Mais on n’arrive à rien de cette façon. C’est comme mettre un glaçage au chocolat sur un pâté de boue (ou vice versa). On dénature une pratique censée nous permettre de voir la vérité des choses pour arriver à une vision équilibrée.

La beauté existe mais la réalité n’est pas uniquement belle ; elle a deux faces et le non-beau existe aussi. Si nous utilisons ces méditations pour équilibrer notre perception, nous porterons un regard beaucoup plus complet, plus vrai et plus honnête sur la beauté et la laideur au lieu de les dénaturer avec des concepts.

Imposer une répulsion à ce que l’on trouve beau peut fonctionner pendant un temps mais ensuite le beau va refaire surface et nous ne saurons pas quoi en faire parce que notre approche aura été basée sur une conception erronée. Nous ne verrons pas la réalité plus clairement ; au contraire, nous ne ferons que déformer encore davantage le regard que nous portons sur elle.

Cependant, si l’approche est juste, ces méditations sont très utiles.

En Occident, on n’encourage pas trop ces pratiques et je n’en parle moi-même que rarement en public parce qu’il est important de donner une juste compréhension de leur utilité et d’avoir un bon contexte pour les pratiquer. Comme elles ont tendance à aller à l’encontre de notre façon habituelle de voir les choses, il est extrêmement important d’examiner ces thèmes à l’intérieur de son propre corps. Et si l’on veut poursuivre ce travail sérieusement, il faudra toujours chercher un enseignant expérimenté pour éviter le danger de distorsion des perceptions.

Notre société est tellement obsédée par la beauté et la séduction que la plupart des gens ne comprennent pas l’intérêt d’une méditation sur ce qui est déplaisant ou sur le vieillissement, la maladie, la mort et la décomposition du corps.

En Thaïlande, l’attitude envers la vieillesse et la mort est beaucoup plus réaliste et détendue. En Occident, lorsqu’une personne commence à vieillir : « Vite, expédiez-la dans une maison de retraite ! » Et dès que quelqu’un meurt : « Vite, mettez-le dans le cercueil qu’on ne le voie plus ! » On maquille même les cadavres pour qu’ils aient l’air vivant ou du moins pour qu’ils aient l’air beaux même morts. Mais, ce faisant, nous dissimulons la véritable nature du corps, la vie et la mort, le vieillissement et la maladie. Nous nous voilons la face devant ces vérités. Ensuite, lorsque la vieillesse, la maladie ou la mort nous arrive, nous sommes surpris et choqués parce que nous ne savons pas qu’en faire. Nous ne sommes pas familiarisés avec ces vérités parce qu’on nous les a cachées.

Ces méditations sur le corps aident à traiter le désir sexuel mais la sexualité est une question très complexe. Elle a aussi bien des aspects biologiques qu’émotionnels. Ainsi, lorsqu’apparaît le désir sexuel, il faudrait commencer par se demander s’il est principalement physique ou mental. Dans la plupart des cas, il est simplement hormonal. S’il s’agit d’un désir éminemment physique et que nous nous éloignons du stimulus et que nous sommes patients, les hormones finissent par refluer dans la circulation du sang. Si le désir est très fort, une activité physique aidera à faire passer les hormones dans le flux sanguin et nous permettra, par la même occasion, de centrer notre esprit sur quelque chose au lieu de fantasmer. Quand Ajahn Tongrat était perturbé par un fort désir sexuel, il sortait couper du bois.
Si le désir sexuel semble être davantage lié à un aspect mental/émotionnel, essayez de découvrir sa source. Est-ce l’ennui ou l’apathie ? Peut-être que ce désir apparaît pour nous apporter de l’énergie – même si ce n’est peut-être pas la meilleure sorte d’énergie. Avez-vous peur, êtes-vous anxieux et, dans ce cas, le désir sexuel vous apporte-t-il une sensation réconfortante ? S’il s’agit d’une vieille histoire que vous connaissez bien, où vous mène-t- elle ?

Ainsi donc, le désir sexuel peut être traité en développant des méditations sur les aspects peu attirants du corps. Cette pratique nécessite un certain effort car elle ne nous est pas très naturelle.

Comme je l’ai dit plus haut, soyez prudent dans votre manière de l’aborder : pas comme un moyen d’étouffer ce qui est beau ou de contrer le désir sexuel mais pour avoir une perception plus équilibrée de la réalité du corps.

Source du texte   Dhamma de la forêt