Selon le Bouddha, les quatre bases de la force spirituelle sont des outils essentiels pour parvenir à la libération. Il a dit : « Les moines et les nonnes qui ont négligé les quatre bases de la force spirituelle sont passés à côté du chemin de la libération. S’ils pratiquent les quatre bases de la force spirituelle, c’est qu’ils pratiquent correctement ».
Au départ, ces quatre outils relèvent de la vie dans le monde, ce qui signifie qu’ils représentent un effort que nous sommes tous capables d’accomplir. C’est seulement lorsqu’ils sont devenus une force qu’ils sont « supra-mondains » et constituent quatre des trente-sept facteurs d’Eveil.
Comme ils sont tellement essentiels à la pratique, tellement incontournables, il est important que nous les connaissions bien en détail, que nous les comprenions de manière analytique, pour pouvoir vérifier leurs effets sur nous-mêmes – car tel est toujours le critère qui fait qu’une connaissance devient sagesse.
Nous pouvons apprendre par cœur n’importe quel enseignement du Bouddha, ce n’est pas si difficile mais, au final, nous devons considérer ces enseignements à la lumière de notre effort personnel. C’est ainsi que nous pouvons vérifier si notre pratique a porté ses fruits ou pas. Si c’est le cas, nous continuons sur la même voie ; sinon, nous devons changer d’approche.
En vérifiant en nous-mêmes si nous appliquons ce que le Bouddha a enseigné et si cet enseignement fait désormais partie de nous, nous apprenons à connaître plus profondément les capacités de notre esprit.
Quand nous voyons que, grâce à la pratique, nous avons pu élargir les possibilités de notre esprit, nous ne tombons pas dans l’autosatisfaction mais prenons, au contraire, la résolution d’avancer ainsi toujours plus loin.
Les quatre bases de la force spirituelle commencent par chandha– samadhi. Chandha, c’est l’intention ; elle peut être saine, malsaine ou neutre. Ce mot signifie également « désir » ou « direction ». Pour en faire une force, nous devons l’utiliser comme l’intention d’obtenir une parfaite vision pénétrante. La partie samadhi de ce mot signifie que l’intention doit être pleinement concentrée et non dispersée. Cela correspond à la différence entre mener une vie dans le monde et mener une vie entièrement dédiée à la quête spirituelle.
Dans la vie en société, nous sommes obligés de disperser nos intentions dans des directions différentes ; c’est la nature de la vie dans le monde.
La nécessité d’obtenir et de protéger de nombreuses choses – même si nous pouvons la minimiser – prend du temps. Il y a toujours des gens ou des situations matérielles qui réclament notre attention et nous devons y répondre. Nos ambitions et nos désirs sont encouragés par le monde ; ils sont considérés comme utiles et louables. Par conséquent, pour cultiver « la concentration de l’intention » qui mène à la libération totale, nous avons besoin de circonstances où aucun obstacle ne surgira.
Ces quatre outils ont besoin du soutien de la volonté. La concentration de l’intention inclut la concentration sur un point unique. Elle ne devient véritablement une voie de libération que lorsque notre intention est dirigée vers la plus grande force de toutes : la force qui naît du lâcher-prise de toute forme de désir.
La seconde base de la force spirituelle est la « concentration de l’énergie» (viriya–samadhi). Tout le monde a une certaine quantité d’énergie physique : parfois, nous en avons trop et cette énergie devient agitation, ce qui fait obstacle à nos efforts pour entraîner l’esprit ; d’autres fois, nous en avons trop peu et cela ne nous aide pas non plus.
Mais nous disposons également d’une énergie mentale et celle-ci peut être multipliée, notamment en concentrant notre attention sur un point unique, en utilisant notre énergie dans une seule direction – en n’ayant pas plusieurs choses sur le feu ! Pour ce faire, nous devons savoir clairement ce qui compte le plus pour nous, dans cette vie.
Nous devons donc nous poser tranquillement la question pendant notre méditation : « Qu’est-ce que je souhaite le plus ? Dans quelle direction est-ce que je veux diriger mon énergie ? Quelle est ma principale intention ? »
La réponse ne sera peut-être pas d’en finir avec la souffrance – mais pourquoi pas ? De toute façon, quel que soit notre but, nous pouvons grandement bénéficier de la concentration de notre énergie et de notre intention, car elle nous permet d’éviter de perdre notre temps dans des actions inutiles.
La force de volonté que nous pouvons mobiliser dépend beaucoup de la profondeur de notre compréhension. Si nous avons conscience de l’urgence de progresser sur la voie spirituelle, il nous est plus facile d’avoir la volonté de pratiquer. Nous sommes tous sujets à des actions et des réactions instinctives fondées sur le désir et la convoitise. La volonté nous aide à lâcher ces tendances et à diriger notre énergie vers d’autres directions. Le sentiment d’urgence (samvega) joue un rôle déterminant dans le succès de la pratique.
Quand notre vision profonde nous amène à voir que la convoitise a engendré un véritable incendie dans le monde et que nous sommes nous-mêmes au cœur de cet incendie, le sentiment d’urgence fait naturellement partie de nous et il fait grandir la force de la volonté. Celle-ci est donc proportionnelle à notre sentiment d’urgence, lequel dépend de la profondeur du regard que nous posons sur le monde qui nous entoure. Et le monde ne s’arrête pas au seuil de notre maison : il vit aussi dans notre cœur et dans notre esprit.
La troisième base de la force spirituelle est « la concentration de l’esprit » (citta–samadhi), autrement dit la concentration focalisée sur un point unique. Quand la puissance de l’intention et l’énergie se mêlent et qu’elles sont associées à la volonté, la concentration méditative peut apparaître. Les deux premiers éléments créent la cause qui permet au troisième d’apparaître et d’engendrer l’absorption méditative.
Une profonde paix en méditation est le facteur sous-jacent nécessaire pour qu’apparaissent la vision et la compréhension profondes qui pourront transformer une personne ordinaire en un être noble. C’est le but de notre pratique.
Aujourd’hui, la plupart des gens ne sont pas vraiment conscients de cela. Ils s’intéressent à la méditation pour soulager leur stress – et pourquoi pas, c’est très bien aussi. Mais le but de l’enseignement du Bouddha est de nous soulager de la souffrance et de nous en libérer définitivement pour qu’elle ne puisse plus jamais réapparaître. Si nous traduisons le mot dukkha par « stress », ce qui est une possibilité, nous pourrions dire : « Oui, la méditation libère du stress ».
Mais la sorte de libération que le Bouddha propose est basée sur la profondeur du regard que nous posons sur la réalité. A un certain moment, nous prenons conscience – et nous sentons directement dans notre corps – que ce n’est pas dukkha qui disparaît : c’est le « moi » qui ressentait la souffrance qui disparaît.
Quand l’intention et l’effort sont focalisés sur un point unique, la conscience se concentre sur un point unique. L’esprit se retrouve dans un état de présence claire, sans aucun des obstacles que les pensées auraient pu créer.
La vision profonde ne vient pas de la pensée mais d’une connaissance intérieure, intuitive, tout à fait différente de la pensée discursive et logique ; elle est le produit d’un esprit clair et paisible.
Ce nouveau regard conduit la conscience dans les profondeurs de la vérité qui a toujours été là mais qui ne remontait pas à la surface, de sorte que l’esprit ne pouvait pas la saisir auparavant. Ce que le Bouddha a vécu au pied de l’arbre Bodhi, ce qui lui a permis de formuler les quatre Nobles Vérités et le Noble Octuple Sentier, n’est pas le résultat d’une pensée discursive ni d’une compréhension logique ou savante.
C’est un vécu intérieur profond, né d’un esprit parfaitement calme, sans la moindre obstruction.
Ce qui nous sauve, c’est que l’esprit ne peut faire qu’une seule chose à la fois. Quand nous sommes calmes et concentrés, tous nos obstacles mentaux se trouvent momentanément au repos. C’est le grand avantage de la méditation. Quand l’esprit n’est pas obstrué, il a la capacité de percevoir une profondeur entièrement différente de ce qu’il perçoit dans des circonstances ordinaires où il court toujours le risque d’être obscurci par des sentiments d’avidité ou d’aversion ou une interprétation erronée de la réalité.
Quand nous utilisons les outils qui développent la force spirituelle, nous créons une dimension différente dans l’esprit. C’est une étape essentielle, faute de quoi, bien que confiants dans le Bouddha et son enseignement, nous ne pouvons pas en témoigner dans notre vie. C’est à chacun de nous qu’il revient de vivre le Dhamma dans le cœur et l’esprit.
Le quatrième outil est « la concentration de l’investigation ». Après l’expérience du calme et de la tranquillité avec l’expansion de conscience qui leur est inhérente, vient l’investigation qui permet obtenir la vision profonde.
Le calme méditatif devient une condition indispensable à la vision profonde grâce à l’investigation concentrée, quand nous réalisons l’impermanence de toute chose, même des meilleurs états méditatifs. Cependant les quatre bases de la force spirituelle ne s’appliquent pas uniquement à la méditation. Bien qu’elles soient d’une aide considérable dans le contexte de la méditation, elles sont utiles et praticables dans toutes les situations de la vie.
Il est certain que nous avons besoin d’une intention concentrée dans notre quotidien. Nous ne pouvons pas avoir, un jour, l’intention d’être gentil, le jour suivant, l’intention d’être égoïste, et puis à nouveau gentil, et espérer trouver la paix et le bonheur. Nous devons également savoir ce que nous espérons de la vie dans le monde. Si, par exemple, nous voulons obtenir un diplôme universitaire, nous devons nous concentrer sur cette intention – nous ne pouvons pas aller un jour à l’université, rester à la maison le jour suivant, et espérer réussir nos examens.
Concentrer notre énergie est donc également indispensable au quotidien. Si nous conservons notre énergie pour l’utiliser là où elle portera les meilleurs fruits, nos entreprises dans le monde fleuriront et seront faciles à accomplir. Si nous développons et cultivons l’intention juste, l’énergie, la volonté et la concentration, nous pouvons multiplier notre potentiel dans de nombreuses directions.
En dépit des résultats que nous pouvons constater en nous-mêmes, nous ne devons jamais nous attendre à être totalement parfaits ou totalement imparfaits. Nous devons nous considérer comme des pratiquants, des apprenants.
A l’époque du Bouddha on disait savaka, ce qui signifie « celui qui entend ». Si nous nous considérons ainsi, nous n’avons pas besoin de rechercher la perfection ni l’imperfection. Nous cherchons plutôt à nous rapprocher de l’abandon de toute idée de « moi » et « mien ».
L’investigation concentrée des phénomènes est un aspect de l’attention d’instant en instant qui nous permet de voir anicca (l’impermanence), dukkha (l’insatisfaction) ou anatta (l’impersonnalité) partout où nous posons les yeux. Tout ce qui existe proclame ces trois caractéristiques, de sorte que nous pouvons avoir conscience du Dhamma à tout moment.
Généralement, l’un des trois aspects devient plus riche de sens pour nous et notre esprit s’oriente alors dans cette direction pour étudier de près la vérité qui se cache sous la réalité dans laquelle nous vivons.
Nous ne manquons pas d’objets d’investigation. Nos pensées et nos sentiments regorgent de ces trois caractéristiques. Quand nous avons un ressenti agréable, pouvons-nous le garder ? Sommes-nous tristes quand il disparaît? Commençons-nous à voir cette petite personne qui nous préoccupe tant comme un simple flux de phénomènes en continu, sans la moindre substance ? Si nous nous observons de près, encore et encore, nous finirons par réaliser qu’il n’y a en nous aucune substance permanente.
La profondeur de notre vision naît du processus de la méditation.
Cependant, il faut que nous soutenions notre pratique en réfléchissant et en analysant les choses de notre vie quotidienne. Si notre esprit est accaparé toute la journée par des soucis matériels ou des plaisirs sensoriels, il est impossible de lui demander d’être calme et profond le soir. Ce serait une attente irréaliste.
Nous devons préparer notre esprit, l’habituer à penser en termes de conscience du Dhamma et, pour cela, l’attention soutenue doit être devenue une habitude bien établie au quotidien.
Ainsi, nous pouvons pratiquer la méditation sans avoir à commencer par libérer le mental de toutes sortes de fardeaux. Notre regard est déjà posé dans la bonne direction et nous pouvons facilement trouver le calme et la tranquillité qui sont nos sources d’énergie mentale.
Quand on est jeune, on peut avoir tendance à croire que c’est le corps qui est source d’énergie. Mais le corps peut tomber malade à tout moment, il peut être mutilé ou même mourir. Notre véritable source d’énergie repose dans le fait que l’esprit peut se renouveler et trouver de la force en développant un calme profond. A ce moment-là, peu importe que le corps soit vieux et décrépi ou jeune et sain, parce que l’esprit est le maître et le corps est son serviteur.
Nous avons besoin de la paix de la méditation pour nous alimenter en combustible ; elle est même plus importante que la nourriture. Bien sûr, il faut bien se nourrir mais on peut se passer de nourriture pendant pas mal de temps, beaucoup plus longtemps qu’on ne le croit, et toujours avoir beaucoup d’énergie pour méditer.
Nous disposons de cette ressource intérieure naturelle, et pourtant rares sont ceux qui en profitent. Pour pouvoir l’utiliser, l’esprit a besoin d’être protégé dans les situations du quotidien de façon à être déjà dans le bon cadre de conscience quand la méditation débute. Un regard clair sur la futilité des ambitions et des désirs aide à diminuer les pensées discursives qui distraient.
Les quatre bases de la force spirituelle relèvent du monde quand nous commençons à les pratiquer mais deviennent supra-mondaines une fois que nous les avons perfectionnées. Elles nous mènent à la totale libération de la souffrance si nous parvenons à faire culminer l’intention, l’énergie, la volonté, le calme et la vision pénétrante qu’elles exigent de nous.