Manopubbaṅgamā dhammā, manoseṭṭhā manomayā;
Manasā ce paduṭṭhena, bhāsati vā karoti vā,
Tato naṃ dukkhamanveti, cakkaṃ va vahato padaṃ.
Tous les phénomènes sont précédés par le mental,
gouvernés par le mental, façonnés par le mental.
Si, avec un mental troublé (paduṭṭhena manasā),
on parle ou on agit,
alors l’insatisfaction suit,
comme la roue suit le sabot du bœuf qui tire le char.
1. Traduction mot à mot
- Manopubbaṅgamā dhammā : Les phénomènes (dhammā) sont précédés (pubbaṅgamā) par le mental (mano).
- Manoseṭṭhā manomayā : Ils sont dirigés (seṭṭhā = supérieurs) par le mental, faits (mayā) du mental.
- Manasā ce paduṭṭhena : Si (ce) avec un mental perturbé (paduṭṭhena),
- Bhāsati vā karoti vā : on parle (bhāsati) ou agit (karoti),
- Tato naṃ dukkham anveti : alors l’insatisfaction (dukkha) le suit (anveti),
- Cakkaṃ va vahato padaṃ : comme la roue (cakkaṃ) suit le pas (padaṃ) du bœuf qui tire (vahato).
2. Analyse du vocabulaire
- Mano : traduit ici par mental, désigne le cœur cognitif de la vie psychique.
- Dhammā : phénomènes mentaux, états d’expérience, vécus conditionnés.
- Paduṭṭhena : mental troublé, affecté par les impuretés mentales (kilesā).
- Dukkha : insatisfaction, souffrance conditionnée.
- Anveti : suit, poursuit – continuité causale.
- Cakkaṃ va vahato padaṃ : image de la roue suivant le bœuf, enchaînement naturel.
3. Perspective doctrinale
Le mental est à l’origine de toute expérience. Ce n’est pas le monde en soi qui engendre la souffrance, mais le mental troublé qui réagit mal. Cette stance souligne une causalité implacable, mais libératrice : en transformant le mental, on transforme ses effets. La roue du dukkha n’est pas une fatalité — c’est une conséquence logique.
4. Relecture phénoménologique
Ce que je vis est déjà interprété. L’expérience est toujours colorée par mon état intérieur. Le dukkha est une dissonance entre ce qui est et ce que le mental projette. Chaque parole ou geste naît d’un climat intérieur, souvent inconscient, mais répétitif. En le voyant, je peux en sortir.
5. Approche comparative non-orientaliste
- Épictète : « Ce ne sont pas les choses elles-mêmes qui troublent les hommes, mais les opinions qu’ils en ont. »
- Spinoza : Agir selon la raison, c’est se libérer des affects passifs nés de perceptions inadéquates.
- Plotin : L’âme projetant sa disharmonie dans le monde agit mal.
- Ibn ‘Arabi : « L’homme voit le monde à travers la forme de son propre cœur. »
6. Micro-méditation
Assieds-toi un instant. Ferme les yeux.
Rappelle-toi un moment où tu as réagi vivement. Plutôt que de revenir sur ce que tu as dit ou fait, interroge-toi : Quel état m’habitait, juste avant ?
Et si ce lieu intérieur était vu — sans jugement — que changerait-il ?
Observe. Respire. Sens.
Le monde naît ici.