Le karma est intention
Traduction de Jeanne Schut
Dhamma de la forêt
Si nous voulons comprendre correctement la question du karma et de la réincarnation, nous devons les considérer à la lumière du non-soi. En fait, les notions de karma et de réincarnation proclament très clairement la réalité du non-soi et, pourtant, la plupart des gens préfèrent ne pas du tout en tenir compte. Ils disent « mon » karma, « ma » renaissance. Dire « ma » renaissance, en particulier, est absurde. Parle-t-on de la précédente ou de la suivante ? Pensez-vous qu’il s’agira du même « moi » ? Il est vrai que le langage ordinaire ne nous laisse pas beaucoup de choix mais les mots parlés ont dépassé notre processus de pensée.
Les gens demandent souvent : « Qu’est-ce donc qui renaît si ce n’est pas ‘moi’ ? ». Eh bien, c’est le karma, en tant qu’effet résiduel dans la conscience de renaissance, qui reprend naissance mais il ne ressemble pas à la personne que nous connaissons : il n’agit pas comme elle, ne porte pas le même nom, il peut être aussi bien homme que femme, mais peut aussi ne pas être humain du tout. Le seul lien entre deux vies est le karma. Quand nous voyons clairement que celui qui revient à la vie n’est relié à une vie précédente que par le karma contenu dans la conscience de renaissance, nous comprenons tout aussi clairement que le karma est impersonnel, qu’il est dépourvu d’identité. Nous disons peut-être « mon » karma mais il s’agit en réalité d’un processus impersonnel. Nous ne sommes pas dans une configuration « crime et châtiment » même si cela peut y ressembler et même si c’est ce que les gens croient communément. Beaucoup de nos idées reçues sont si profondément ancrées qu’il devient extrêmement difficile de nous ouvrir à une idée radicalement différente.
En réalité, le mot « karma » signifie simplement « action ». Dans l’Inde du Bouddha, c’est ainsi que le mot était compris. Pour que les gens soient conscients de ce que le karma impliquait, le Bouddha a dit : « Moines, je le déclare : le karma est intention ».
L’intention apparaît d’abord dans nos pensées et celles-ci génèrent des paroles et des actions. C’est la nouvelle interprétation que le Bouddha a donnée au karma parce que cette notion était très mal comprise. Certains maîtres de l’époque l’enseignaient comme s’il s’agissait de prédétermination et le Bouddha a décrété que c’était une interprétation erronée qui pouvait induire en erreur et engendrer des résultats regrettables. Cette interprétation du karma comme prédétermination est tout aussi répandue aujourd’hui qu’elle l’était à l’époque du Bouddha. Les gens disent souvent : « Je n’y peux rien, c’est mon karma ». C’est la pire des folies auxquelles on puisse adhérer, parce qu’elle reporte le poids de nos intentions sur une vague personne qui nous aurait précédés et que l’on ne connaît même pas. Autrement dit, on n’assume pas la responsabilité de ses actes – grave défaut bien trop répandu.
Il est plus difficile de trouver une personne qui accepte la responsabilité de ses actes qu’une personne qui ne l’accepte pas. La plupart des gens ne se reconnaissent aucune responsabilité ; tout ce qu’ils veulent, c’est rester en vie. C’est de là que vient l’idée d’un destin prédéterminé : « Que puis-je faire ? Ce n’est pas ma faute, c’est mon karma ». Une telle attitude anéantit toute possibilité de pratiquer le Dhamma. Le Bouddha a dit : « Si c’était vrai, il serait impossible de mener une vie de renonçant et nul ne pourrait atteindre l’Eveil ». C’est la première interprétation erronée à éliminer rapidement de notre façon de penser si nous voulons pratiquer une discipline spirituelle.
Le karma est intention et l’intention, c’est maintenant ; ce qui signifie que nous créons du karma maintenant, à chaque instant, tant que nous sommes réveillés. Ceci dit, quand deux personnes agissent de même, leurs actes n’engendrent pas nécessairement les mêmes conséquences ; voilà un autre point que le Bouddha a bien souligné. Comme le karma est impersonnel, il concerne uniquement un flux d’événements qui créent spontanément leurs propre résultats. C’est une question de cause et d’effet ; tout est là. C’est pourquoi l’enseignement du Bouddha est parfois appelé « l’enseignement des causes et des effets ».
Parfois nous rencontrons des personnes très gentilles, qui ne feraient pas de mal à une mouche, et qui sont pourtant assaillies de malheurs. D’autres, au contraire, sont désagréables et inamicales mais les choses semblent toujours leur sourire. Comment est-ce possible ? Cela dépend entièrement des conséquences de leur bon et de leur mauvais karma qui se sont accumulées dans le continuum de leur esprit. Le Bouddha a fait la comparaison suivante : « Si on met une cuillerée à café de sel dans un verre d’eau, cette eau devient imbuvable. Si on met une cuillerée à café de sel dans le Gange, cela ne fera aucune différence : l’eau du fleuve restera exactement la même ». Si on crée du mauvais karma et que l’on a seulement un verre de bon karma, le résultat sera désastreux mais, si on a une rivière de bon karma pour nous soutenir, les résultats seront négligeables. Par conséquent, il ne faut jamais comparer les résultats de nos actions parce que nous ne savons pas ce qui a pu les précéder.
Il est certain que le continuum d’esprit résiduel avec lequel nous naissons a une influence sur cette vie, en particulier sur notre lieu de naissance, les circonstances et le type de famille que nous trouvons. Le Bouddha a fait une comparaison à ce propos : « Si un troupeau de vaches est enfermé dans une étable et que la porte de l’étable s’ouvre, c’est la vache la plus forte qui sortira en premier. S’il n’y a pas de vache plus forte, c’est celle qui mène habituellement le troupeau qui sortira la première. S’il n’y a pas de vache qui mène habituellement le troupeau, c’est celle qui est le plus près de la porte qui passera en premier. S’il n’y en a pas qui soit plus proche de l’entrée, elles essaieront toutes de sortir en même temps. »
Ceci illustre les quelques fractions de seconde qui précèdent la mort. Puisque la mort peut arriver à tout instant pour chacun de nous, quel que soit notre âge, il est bon d’y être prêt dès à présent. La dernière pensée avant la mort est celle qui pousse la conscience de renaissance vers sa destination suivante. Nous pouvons comparer cela au fait de se coucher le soir en se disant, juste avant de s’endormir, qu’il faut se réveiller à quatre heures le lendemain matin… et on se réveille effectivement à quatre heures. La plupart des gens y arrivent facilement. Le dernier instant de conscience devient le premier au réveil. C’est exactement ce qui se passe au moment de la mort, sauf que le corps qui se réveille est différent. Il est probable que ce sera à nouveau un corps humain – à moins que la personne se soit comportée trop mal pour mériter une telle renaissance. Bien que nombre de gens souhaitent reprendre vie dans une sphère de deva, il est probable que la plupart reviendront en tant qu’êtres humains.
Le dernier instant de pensée, avant la mort, reste connecté à la plus forte expérience vécue dans cette vie. Si, par exemple, on a assassiné quelqu’un, cela restera ancré comme un souvenir fort et ce sera probablement la dernière pensée. Si on a facilité la construction d’un monastère ou d’un temple, ce sera peut-être une pensée très forte. Si on a toujours été particulièrement vertueux, ce sera peut-être notre dernier instant de pensée. Ce qui a marqué le plus fortement l’esprit est ce qui a le plus de chances de réapparaître à ce moment-là.
Sinon, ce sont nos pensées habituelles qui prennent le dessus. Si on a tendance à être insatisfait ou coléreux, c’est ce qui habitera l’esprit. Si on a développé beaucoup de bienveillance, de compassion et d’entraide, c’est ce genre de pensées qui refera surface. S’il n’y a pas de pensées habituelles, ce qui se présentera le plus près des portes des sens aura la préséance. Le dernier sens à disparaître est l’ouïe, c’est pourquoi, dans beaucoup de traditions, il est coutume de chanter ou de réciter des paroles de dévotion qui peuvent aider le mourant à avoir une dernière pensée chargée de bons sentiments. Si ces derniers instants sont accompagnés d’une pensée saine, la renaissance sera favorable. Cela ne veut pas dire que les résultats du karma disparaissent mais simplement que l’impulsion donnée au moment de la mort prend une certaine direction. Voilà pourquoi les derniers mouvements de la pensée sont d’une importance cruciale.
Si on s’est montré généreux dans la vie, ce sera peut-être la dernière pensée. Par conséquent, on considère qu’il est extrêmement bénéfique de rappeler, à une personne en fin de vie, toutes les bonnes choses qu’elle a faites dans sa vie – comme sa générosité, la bonne éducation qu’elle a donnée à ses enfants, sa gentillesse – parce que, d’ordinaire, les gens ont tendance à avoir des regrets ou à se dénigrer.
Depuis quelque temps, il est admis que la façon de mourir est une partie importante de la vie, même si, en Occident, beaucoup de gens ne croient pas en la renaissance. Tout le monde a toujours accordé beaucoup d’attention à la naissance d’un bébé parce que le bébé devient un membre important de la famille pour longtemps ; mais peu de gens accordaient assez d’attention au moment de la mort : après tout, cette personne était sur le point de disparaître, c’était fini pour elle. Mais les choses ont changé. Aujourd’hui, on comprend que ce n’est pas une manière saine de traiter un être humain et de nombreux hôpitaux, en Occident, proposent, pour les personnes en fin de vie, des services où l’on porte une grande attention à leur état d’esprit, et où l’on essaie de réduire ou d’éliminer la peur et l’angoisse de la mort. Même si les gens ne croient généralement pas à la renaissance, la mort est aujourd’hui considérée comme très importante.
Un autre facteur fait maintenant partie de notre expérience de la mort. En effet, nos avancées technologiques ont permis que des gens déclarés cliniquement morts soient ramenés à la vie par de nouveaux moyens disponibles dans les hôpitaux. Beaucoup de ces personnes ont parlé à leur médecin de leur expérience de la « presque-mort » et certains, comme le Dr Moody, ont écrit sur ces phénomènes. Ce qui frappe, lorsqu’on lit le récit des patients déclarés cliniquement morts, c’est que, dans les grandes lignes, leurs histoires sont pratiquement identiques. C’est là une nouvelle indication du non-soi (anattā). Tous, sans exception, étaient parfaitement satisfaits de leur « mort » et ne tenaient guère à revenir à la vie. L’un s’est même réveillé très fâché contre son médecin pour avoir rétabli le continuum de sa vie.
Toutes ces expériences étaient liées à l’apparition d’une lumière très brillante qui contenait toute la conscience de l’esprit mais n’avait pas de forme. Toutes ces personnes pouvaient voir leur propre corps étendu sur le lit d’hôpital puis elles s’éloignaient vers la lumière en toute conscience, y compris la conscience du travail des médecins. Ensuite, elles se détournaient de l’hôpital et pénétraient dans un espace de félicité, de bonheur et de grande paix. Certaines ont dit avoir rencontré des êtres. La plupart ont décrit un être en particulier qui était « lumière ». Aucune de ces descriptions ne comportait de symbolisme religieux mais elles étaient toutes similaires et parfois identiques. Les livres qui rapportent ces expériences étant de plus en plus connus, le moment de la mort a retrouvé toute son importance. Dans les cinq rappels quotidiens(*)le Bouddha nous demande de nous rappeler qu’il est dans notre nature de mourir. A d’autres moments, il dit que le dernier instant de pensée est extrêmement important et que, par conséquent, il est essentiel de mettre de l’ordre dans nos pensées dès à présent – sur le lit de mort, c’est trop tard. Les aspects sains de nos pensées sont toujours liés à la gentillesse, la compassion, la générosité et l’équanimité. Si nous éveillons ces sentiments en nous maintenant et en faisons une habitude de penser, ils seront présents en nous jusqu’à l’instant de notre mort. Nous sommes alors assurés, non seulement de vivre dans l’harmonie, dès à présent, mais aussi d’avoir – au minimum – une renaissance favorable, ce qui nous permettra de pratiquer facilement le Dhamma à nouveau. Quand on naît dans une famille très pauvre où il n’y a pas assez à manger, il est très difficile de s’assoir en méditation parce que tout le monde doit travailler pour survivre. Quand on naît dans une société où la méditation est inconnue, il est très difficile de continuer à pratiquer. Il n’est donc guère sage d’attendre d’arriver à la vieillesse et à la mort ; c’est maintenant que nous devons mettre de l’ordre dans notre processus de pensée. Cela signifie que, grâce à l’attention et à l’observation, nous devons être conscients de la façon dont nos pensées apparaissent.
Notre apparition sur terre est de courte durée – même soixante-dix ans n’est pas très long. Imaginons que nous soyons des artistes invités à se produire dans un spectacle et qui attendent toujours qu’on les applaudisse. Evidemment, cela rend la vie assez difficile. Au début, on a le trac.
(*)( Les cinq « rappels quotidiens » recommandés par le Bouddha sont :
1/ Il est dans notre nature de vieillir.
2/ Il est dans notre nature de tomber malade.
3/ Il est dans notre nature de mourir.
4/ Un jour ou l’autre, nous serons séparés de ceux que nous aimons.
5/ Nous sommes héritiers de notre karma.)
On se demande : « Vais-je jouer correctement mon rôle ? Les gens applaudiront-ils à la fin du spectacle ? » Si ce n’est pas le cas, on est anéanti. Se voir comme un acteur invité à participer à un spectacle sur cette planète est une bonne façon de considérer les choses, mais attendre les applaudissements est une erreur. Si nous savons que nous faisons de notre mieux en utilisant tout notre potentiel, nous n’avons pas besoin d’attendre l’approbation des autres. Ce qui compte le plus, c’est que notre intention soit toujours juste parce qu’une bonne intention fait du bien à soi et aux autres. Quand on se préoccupe moins de soi, on a plus de liberté pour inclure les autres dans sa vie.
Il ne faut absolument pas régresser dans notre pratique du Dhamma et de la méditation, bien sûr, car c’est seulement quand nous aurons pu nous ouvrir jusqu’à un certain point que nous pourrons aider les autres. Sinon, nous agirons dans l’ignorance, ce qui ne peut pas donner de bons résultats.
Si nous nous préoccupons de notre prochaine renaissance, nous ne faisons que vivre dans un rêve. La personne qui crée du karma maintenant n’est pas celle qui va en récolter les conséquences. Le seul lien sera le résidu karmique – le résultat (vipāka) – et ce lien lui-même est très ténu car nous pouvons briser la chaîne. Si une personne a créé beaucoup de mauvais karma et, dans la renaissance suivante, crée beaucoup de bon karma, les mauvais résultats peuvent ne jamais prendre forme et vice-versa.
Le cas le plus remarquable est celui d’Angulimala qui tua 999 personnes et devint pourtant un arahant après que le Bouddha ait fait de lui un moine. Vivant au monastère, dans la plus grande humilité, son mauvais karma n’a pas eu l’occasion de se concrétiser. Ceci dit, Mahamoggallana, un grand disciple du Bouddha, pleinement éveillé, fut tué par des voleurs et ses os pulvérisés, à cause d’un ancien karma. Il est impossible de tenir une comptabilité où un crédit de bon karma nous protégerait de tous les malheurs parce que nous n’avons aucun pouvoir sur la personne qui héritera du karma que nous créons dans cette vie. Mais créer du bon karma maintenant engendre des résultats immédiats : bonheur, satisfaction de l’esprit et, généralement, bonheur des autres également. Si on est capable d’apporter du bonheur aux autres, c’est une nouvelle cause de joie pour soi.
Il est inutile de penser au karma que l’on a pu créer dans une vie passée ou que l’on pourra engendrer dans une vie future. Personne ne saura quoi que ce soit de sa vie future et nous ne nous rappelons pas notre vie passée ; alors, pourquoi s’en inquiéter ? Seul cet instant, présent maintenant, a de l’importance. Le passé est comme un rêve et le futur n’est pas encore là. Quand le futur finit par se produire, c’est toujours le présent. Demain n’arrive jamais ; quand il arrive, on l’appelle « aujourd’hui ». On ne peut vivre dans le futur, pas plus que dans le passé. Seul cet instant unique peut être vécu. Si nous étions vraiment attentifs à chaque instant unique, nous méditerions bien.
De plus, nous n’aurions aucun doute sur l’impermanence (aniccā). En fait, nous la verrions si clairement que nous pourrions abandonner tous nos attachements, tout ce à quoi nous nous accrochons. Nous nous dirions : « Ai-je fait le meilleur usage de chaque instant ? » Si nous avons créé du mauvais karma dans le passé, nous pouvons prendre la résolution de faire, très vite, une bonne action – c’est le seul avantage que l’évocation du passé puisse procurer. Sinon, l’aspect le plus frappant et le plus fascinant de l’impermanence est que nous nous éloignons tellement vite des pensées, des paroles et des actes, que nous ne pouvons même pas nous en souvenir – encore moins nous y attacher.
Pourtant, nous essayons de nous attacher aux gens, à nos idées, à nos conceptions et à nos opinions. Nous nous attachons à ce corps, avec ses manifestations physiques et ses aberrations mentales que nous essayons de solidifier. C’est impossible, irréalisable, parce que seul chaque instant existe. En regardant une horloge digitale, on voit bien comment chaque seconde apparaît puis disparaît. Regardez un réveil pendant cinq minutes et prenez conscience que cinq précieux instants de votre vie viennent de disparaître à jamais. En réalité, en dehors de quelques moments importants, nous avons oublié le passé ; il a disparu. Ceci nous prouve clairement que notre « personne » est en réalité un phénomène fluctuant sans aucune substance. Nous y ajoutons de la substance parce que, par ignorance, nous faisons une évaluation complètement erronée de la réalité dans laquelle nous vivons. C’est comme un théâtre fabriqué par nous, où les gens portent des costumes, jouent leur rôle et croient qu’il s’agit de la vraie vie. De plus, nous voulons que la pièce ne s’arrête jamais, or c’est impossible – et c’est pourquoi tout le monde souffre. Cette souffrance ne peut être éliminée ni par le refus de regarder les choses en face ni par l’indifférence, mais seulement par une prise de conscience et en posant un regard différent sur les choses.
Le karma est d’abord créé au niveau de l’esprit. Ce sont nos formations mentales qui créent notre karma. Tant que nous ne serons pas maîtres de notre esprit, nous ne pourrons pas éviter de créer du mauvais karma.
L’esprit est constamment en danger d’avoir des pensées négatives ; celles-ci sont innombrables : « Je n’aime pas ceci ; je ne supporte pas cela ; j’ai peur ; cela m’ennuie… » Toutes ces pensées négatives sont porteuses de colère. Se dire : « Je veux obtenir ceci, le garder, en avoir encore » est aussi du mauvais karma dû à l’avidité. Or, tout cela apparaît, en premier lieu, dans l’esprit.
Rares sont ceux qui observent leur esprit ; les gens croient que c’est difficile et fatigant. Mais il est bien plus éprouvant de créer du mauvais karma parce que les conséquences sont lourdes et déplaisantes. Très peu de gens ont cette vivacité intérieure qui dénote joie et liberté. La plupart s’enlisent dans la négativité de leurs pensées – de leurs pensées !… pas à cause des circonstances extérieures. Observer son esprit et veiller à pratiquer les quatre « efforts suprêmes » est la meilleure chose à faire pour s’aider soi-même et s’assurer un bon karma.
C’est de nos pensées que naissent nos paroles et nos actes. Nous ne pouvons pas parler sans avoir eu une pensée auparavant, ni agir sans en avoir eu l’intention. Bien que les gens parlent et agissent si impulsivement qu’ils ne sont pas conscients qu’une pensée a précédé leurs paroles ou leurs actes, cela ne signifie pas qu’il n’y en a pas eu. Cela signifie simplement qu’ils manquent d’attention et de claire compréhension. Notre esprit est le plus précieux de nos atouts. Aucun trésor ne peut lui être comparé parce que l’esprit contient la graine de l’Eveil. Si nous ne l’utilisons pas correctement, nous enterrons bêtement un trésor dans la boue. C’est ce que les gens font souvent ; généralement parce qu’ils n’ont pas appris à faire autrement.
Quand nous prenons conscience que notre esprit est un trésor inestimable, nous veillons à ce qu’il ne soit pas éraflé, abîmé ou sali, qu’il ne perde pas son lustre et sa brillance. Au contraire, nous nous assurons qu’il demeure pur et lumineux – et, ce faisant, nous créons du bon karma.
Le Bouddha a dit que ce n’est pas tant l’action qui importe mais l’intention qui la sous-tend. Un acte généreux, par exemple, peut avoir une mauvaise motivation : si l’intention est d’accumuler du mérite pour l’avenir, c’est plutôt égoïste ; tandis que si le geste est fait par compassion envers les plus démunis, c’est idéal. Ceci dit, même si la motivation n’est pas pure, mieux vaut être généreux que ne pas l’être. Cet acte contient tout de même du bon karma car on abandonne une chose que l’on possédait. Veiller à la pureté de notre esprit sera l’assurance que tout ce que nous ferons sera fait avec une intention juste. Il s’agit là de la deuxième étape du Noble Octuple Sentier, notre ligne directrice. La création de karma dépend de l’esprit, et la pureté de l’esprit dépend de la méditation. Si nous méditons avec diligence et régularité, nous finirons par voir clairement comment fonctionne notre esprit. Certaines personnes se satisfont lorsque la méditation leur apporte un peu de paix – et c’est effectivement déjà un premier bienfait et un signe de croissance. Mais, quand nous observons plus longuement l’esprit en méditation, nous apprenons à l’observer également au quotidien. Alors, nous avons de grandes chances de créer du bon karma.
Si nous sommes las du cycle interminable des hauts et des bas – gains et pertes, compliments et critiques, célébrité et mauvaise réputation, bonheur et malheur (les huit dhamma du monde) – il faut que nous soyons déterminés à faire l’effort d’abandonner l’attachement et le désir. La méditation est le fondement de cet effort, mais elle va plus loin. C’est aussi le moyen d’avoir accès à la capacité de nous débarrasser de nos tendances au désir et à l’aversion. Le processus méditatif donne à l’esprit la clarté qui permet de voir ces tendances en nous et d’agir en conséquence.
Notre devoir dans cette vie, en tant qu’êtres humains dotés d’un corps et de sens qui nous permettent d’entendre le véritable Dhamma, est de veiller sur notre esprit et de faire l’expérience de sa véritable nature, laquelle est pureté, luminosité et flexibilité. Un tel esprit peut atteindre la profondeur de l’enseignement, là où il n’y a plus personne qui possède un esprit…