Le don du Dhamma surpasse tous les autres dons

La paix au delà

Ajahn Chah

Traduit par Jeanne Schut

 

Chapitre 12 du recueil des enseignements d’Ajahn Chah

intitulé Méditation et Sagesse.

Version condensée d’un discours fait au Premier Conseiller de Thaïlande, M. Sanya Dharmasakti, à Wat Pah Pong, en 1978.

Il est extrêmement important que nous pratiquions le Dhamma. Si nous ne pratiquons pas, toute notre connaissance n’est que superficielle, une simple coquille externe. C’est comme si nous avions un fruit que nous n’avons pas encore mangé. Bien que nous ayons ce fruit entre les mains, nous n’en obtenons aucun bienfait. Ce n’est qu’en mangeant le fruit que nous saurons vraiment quel goût il a.

Le Bouddha n’a jamais fait l’éloge de ceux qui se contentent de croire ce qui se dit ; il faisait l’éloge de ceux qui découvrent la vérité en eux-mêmes. C’est comme avec ce fruit : une fois que nous l’aurons goûté, nous n’aurons pas besoin de demander à d’autres s’il est doux ou aigre. Nos problèmes sont terminés parce que nous voyons selon la Vérité. Celui qui a réalisé le Dhamma est comme celui qui a pris conscience de la douceur ou de l’aigreur du fruit : tous les doutes s’arrêtent là.

Quand nous parlons du Dhamma, tout ce que nous disons peut généralement se résumer à quatre choses : connaître la souffrance, connaître la cause de la souffrance, connaître la fin de la souffrance et connaître la voie de la pratique qui mène à la fin de la souffrance. Tout est là. Tout ce dont nous avons pu faire l’expérience sur la voie de la pratique jusqu’à ce jour revient à ces quatre choses. Quand nous connaissons ces choses, nos problèmes sont terminés.

Où ces quatre choses apparaissent-elles ? Elles apparaissent dans le corps et dans l’esprit, nulle part ailleurs. Alors pourquoi l’enseignement du Bouddha est-il si détaillé et si étendu ? Il est ainsi pour expliquer ces choses de manière plus subtile, pour nous aider à les voir.

Quand Siddhatta Gotama est venu au monde, avant de voir le Dhamma, c’était une personne ordinaire, tout comme nous. Quand il a su ce qu’il devait savoir – c’est-à-dire la vérité de la souffrance, sa cause, sa cessation et la voie qui mène à la cessation de la souffrance –, il a réalisé le Dhamma et il est devenu un Bouddha parfaitement éveillé.

Quand nous réalisons le Dhamma, où que nous nous asseyions, nous connaissons le Dhamma, où que nous soyons, nous entendons l’enseignement du Bouddha. Quand nous comprenons le Dhamma, le Bouddha est dans notre esprit, le Dhamma est dans notre esprit, et la pratique qui mène à la sagesse est dans notre esprit. Avoir le Bouddha, le Dhamma et le Sangha dans notre esprit signifie que nous connaissons clairement la véritable nature de nos actes, bons ou mauvais.

Ceci explique pourquoi le Bouddha a pu écarter les opinions du monde, les louanges et les critiques. Quand les gens le complimentaient ou le critiquaient, il l’acceptait pour ce que c’était. Louange et blâme ne sont que des facteurs du monde, alors il n’en était pas perturbé. Pourquoi ? Parce qu’il connaissait la souffrance ; il savait que s’il croyait à la réalité des compliments ou des critiques, il en souffrirait.

Quand la souffrance arrive, elle nous agite et nous nous sentons mal. Quelle est la cause de cette souffrance ? C’est que nous ne connaissons pas la Vérité. Quand la cause est là, la souffrance apparaît. Une fois apparue, nous ne savons pas comment l’arrêter. Plus nous essayons de l’arrêter, plus elle augmente. Nous disons : « Ne me critiquez pas » ou : « Ne me blâmez pas ». Mais si on essaie d’arrêter la souffrance de cette manière, on n’y arrivera pas ; elle ne fera que croître.

C’est pourquoi le Bouddha a enseigné que la façon de mettre fin à la souffrance, c’est de faire apparaître le Dhamma comme une réalité dans notre esprit. Nous devenons ainsi ceux qui témoignent du Dhamma par eux-mêmes. Si quelqu’un dit que nous sommes bons, nous ne nous enflammons pas ; si on dit que nous ne valons rien, nous ne nous enflammons pas davantage. Ainsi, nous pouvons être libres. « Bon » et « mauvais » ne sont que des dhamma du monde, de simples états d’esprit. Si nous nous y attachons, notre esprit « devient » le monde ; nous avançons à tâtons dans l’obscurité sans savoir où est la sortie.

Si nous sommes ainsi, c’est que nous n’avons pas encore de maîtrise sur nous-mêmes. Nous essayons de vaincre les autres mais, ce faisant, nous sommes nous-mêmes vaincus. Par contre, si nous savons nous maîtriser, nous pouvons tout maîtriser : les formations mentales, les formes, les sons, les odeurs, les saveurs et les sensations physiques.

Je ne parle là que des choses extérieures mais l’extérieur est un reflet de l’intérieur. Certaines personnes ne connaissent que l’extérieur. Nous disons, par exemple, que nous essayons de voir « le corps dans le corps »1. Voir le corps extérieur ne suffit pas ; nous devons connaître le corps dans le corps. Ensuite, après avoir étudié l’esprit, nous devons connaître « l’esprit dans l’esprit ».

Pourquoi étudier le corps et qu’est-ce que ce « corps dans le corps » ? Quand on dit qu’il faut connaître l’esprit, qu’est-ce que cet esprit ? Si nous ne connaissons pas l’esprit, nous ne pouvons pas connaître les choses qui sont dans l’esprit. Nous sommes quelqu’un qui ne connaît pas la souffrance, ne connaît pas la cause de la souffrance, ne connaît pas la fin de la souffrance et ne connaît pas la Voie qui mène à la fin de la souffrance. Les choses qui devraient nous aider à apaiser la souffrance ne nous sont d’aucune aide parce que nous sommes distraits par d’autres choses qui, elles, ne font que l’aggraver. C’est comme sentir un picotement à la tête et se gratter la jambe. Si c’est la tête qui pique, il est évident que gratter votre jambe ne vous soulagera guère. De la même manière, quand la souffrance apparaît, nous ne savons pas comment y faire face ; nous ne connaissons pas la pratique qui mène à la fin de la souffrance.

Prenez ce corps, par exemple, celui que chacun de nous a apporté avec lui en venant ici. Si nous ne voyons que la forme du corps, il n’y aura aucun moyen d’échapper à la souffrance. Pourquoi ? Parce que nous ne voyons pas encore l’intérieur du corps, nous ne voyons que l’extérieur. Nous le voyons comme quelque chose de beau, de réel. Mais le Bouddha a dit que ce n’était pas suffisant. Nous voyons l’extérieur avec les yeux ; un enfant peut le voir, un animal peut le voir – ce n’est pas difficile. Mais une fois que nous l’avons vu, nous nous y attachons et nous n’en connaissons pas la vérité. Nous attrapons le serpent et il nous mord !

Voilà pourquoi nous devons étudier le corps dans le corps. Quoi que ce corps contienne, allez-y, observez-le ! Si nous ne regardons que l’extérieur, ce n’est pas clair. Nous voyons des cheveux, des ongles, etc. – mais ce sont de jolies choses, elles nous attirent. Alors, le Bouddha nous a recommandé de regarder l’intérieur du corps, de voir le corps dans le corps. Qu’y a-t-il dans le corps ? Regardons de près, à l’intérieur. Nous découvrirons des choses tout à fait surprenantes parce que, même si elles sont en nous, nous ne les avons jamais vues. Nous les transportons avec nous partout où nous allons – en marchant, assis dans une voiture, etc. – mais nous ne les connaissons pas le moins du monde pour autant !

C’est comme si vous rendez visite à des gens et qu’ils vous offrent un cadeau. Vous le mettez dans votre sac sans l’ouvrir, sans voir ce qu’il contient et vous l’emportez chez vous. Plus tard, vous l’ouvrez… et découvrez qu’il est plein de serpents venimeux ! Il en va de même avec notre corps. Si nous ne voyons que l’enveloppe, nous disons qu’il est bien et beau. Nous oublions tout. Nous oublions l’impermanence, la souffrance et le non-soi. Par contre, si nous regardons l’intérieur de ce corps, nous voyons qu’il peut aussi être vu comme quelque chose de répugnant.

Quand nous regardons avec réalisme, sans essayer de dorer la pilule, nous voyons que ce corps est pitoyable et inintéressant. Alors le détachement apparaît. Ce sentiment de désintérêt ne signifie pas que nous ressentons de l’aversion ; c’est simplement que notre esprit voit plus clair et, de ce fait, il lâche prise. Nous voyons que tout est sans substance, que rien n’est sûr, que les choses existent de manière naturelle exactement comme elles sont. Même si nous aimerions qu’elles soient autrement, elles continuent à suivre leur cours naturel. Que nous pleurions ou riions, elles sont comme elles sont. Les choses qui sont incertaines sont incertaines, et ce qui n’est pas beau n’est pas beau.

Le Bouddha a donc dit que, lorsque nous faisons l’expérience de formes, de sons, de saveurs, d’odeurs, de sensations physiques ou d’états mentaux, nous devons les laisser aller. Quand les oreilles entendent un son, laissez-le passer. Quand le nez sent une odeur, laissez-la passer – qu’elle reste au niveau du nez et n’aille pas se nicher dans votre tête ! Quand des sensations physiques sont ressenties, lâchez le « j’aime ça » ou le « je n’aime pas ça » qui les accompagne et laissez-les repartir d’où elles viennent. Même chose pour les états mentaux. Toutes ces choses, laissez-les suivre leur cours naturel – c’est cela connaître, être conscient. Qu’il s’agisse de bonheur ou de malheur, agissez toujours de même. Voilà ce qu’est la méditation.

Nous méditons pour apaiser l’esprit de façon à ce que la sagesse puisse se manifester. Cela implique que nous pratiquions avec le corps et l’esprit de façon à voir et connaître la nature réelle des impressions sensorielles que sont les formes, les sons, les saveurs, les odeurs, les contacts physiques et les formations mentales. En bref, ce n’est qu’une histoire de bonheur et de malheur. Le bonheur, c’est une sensation agréable dans l’esprit ; le malheur n’est qu’une sensation2 désagréable. Le Bouddha nous a appris à faire la distinction entre ces sentiments de bonheur ou de malheur et l’esprit lui-même. L’esprit est « ce qui sait ». La sensation (ou le sentiment) est la caractéristique du bonheur et du malheur, du « j’aime » et du « je n’aime pas ». Quand l’esprit se complaît dans ces sensations, nous disons qu’il s’attache ou encore qu’il croit que ce bonheur et ce malheur valent la peine que l’on s’y attache. Cet attachement est une action de l’esprit, tandis que le bonheur et le malheur sont des sensations.

Quand le Bouddha nous dit de faire la distinction entre l’esprit et les sensations, cela ne veut pas dire, au sens littéral, qu’il faut les jeter dans des endroits différents mais simplement que l’esprit doit avoir une pleine conscience du bonheur et une pleine conscience du malheur. Par exemple, quand nous sommes assis en samādhi et que la paix emplit l’esprit, si la joie apparaît, elle ne nous atteint pas, et si le chagrin apparaît, il ne nous atteint pas. Voilà ce que signifie faire la distinction entre les sensations et l’esprit. Nous pouvons comparer cela à de l’huile et de l’eau dans une même bouteille : elles ne se mélangent pas. Même si on secoue la bouteille, l’huile reste de l’huile et l’eau reste de l’eau parce que leur densité est différente.

L’état naturel de l’esprit n’est ni le bonheur ni le malheur. C’est quand une sensation pénètre dans l’esprit que le sentiment de bonheur ou de malheur prend naissance. Mais, si nous sommes attentifs, nous prenons conscience qu’une sensation agréable n’est qu’une sensation agréable. L’esprit qui est conscient ne va pas s’en saisir pour dire : « Je suis heureux ». La sensation de bonheur est présente mais elle demeure extérieure à l’esprit, elle n’est pas « en » lui ; l’esprit a simplement une claire conscience de la sensation.

Si nous séparons le malheur de l’esprit, cela signifie-t-il qu’il n’y a plus de souffrance, que nous ne la ressentons plus ? Si, nous la ressentons mais nous voyons clairement l’esprit comme l’esprit et la sensation comme la sensation. Par conséquent, nous ne nous attachons pas à la sensation, nous ne la portons pas avec nous en nous identifiant à elle. C’est grâce à la sagesse que le Bouddha a pu séparer les choses ainsi. A-t-il ressenti de la souffrance ? Oui, il a connu des sensations de souffrance mais il ne s’y est pas attaché, il ne les a pas portées dans son esprit. C’est pourquoi nous disons qu’il a fait la distinction entre son esprit et les sensations de bonheur et de malheur.

Quand nous disons que le Bouddha et tous les Eveillés ont « tué » les pollutions de l’esprit, on ne peut pas dire qu’ils les aient supprimées complètement – sinon, il est probable que nous n’en aurions plus. Ils n’ont pas vraiment tué les pollutions mais, comme ils en connaissaient la nature, ils les ont laissé aller. Quelqu’un de stupide s’en emparerait mais les Eveillés ont compris que les pollutions de l’esprit sont un poison, alors ils les ont balayées. Ils ont balayé le plancher de tout ce qui les faisait souffrir. Ceux qui ignorent cela, voyant quelque chose qu’ils considèrent comme bon – comme le plaisir – vont s’en emparer ; mais le Bouddha a vu toutes les choses telles qu’elles étaient et il les a purement et simplement balayées.

Le Bouddha savait que, puisque le bonheur et le malheur sont insatisfaisants, ils ont la même valeur. Quand le bonheur apparaissait, il le laissait passer. Sa pratique était juste car il voyait que ces deux opposés ont la même valeur et les mêmes inconvénients : ils subissent la loi du Dhamma. Autrement dit, ils sont changeants et insatisfaisants ; une fois apparus, ils disparaissent. Quand le Bouddha vit cela, la Vision Juste émergea ; la façon juste de pratiquer se fit claire. Quelles que soient les sensations ou les pensées qui lui venaient à l’esprit, il les considérait comme le jeu continu du bonheur et du malheur, et il ne s’y attachait pas.

Juste après son Eveil, le Bouddha donna un sermon sur les extrêmes du plaisir et de la mortification. « Moines ! Se complaire dans les plaisirs est la voie du relâchement ; se complaire dans la mortification est la voie de la tension. » Ces deux extrêmes avaient perturbé sa pratique jusqu’au jour de son Eveil parce qu’il avait du mal à les laisser aller. Mais, après les avoir pleinement compris, il lâcha prise et c’est ainsi qu’il put donner son premier sermon.

Par conséquent, nous disons qu’un méditant ne devrait pas suivre la voie du bonheur ou du malheur ; il doit plutôt les connaître pour ce qu’ils sont. Connaissant la vérité de la souffrance, il connaîtra la cause de la souffrance, la fin de la souffrance et la Voie qui mène à la fin de la souffrance. Et la Voie qui nous libère de la souffrance, c’est la méditation. En termes simples : nous devons être attentifs et vigilants.

L’attention, c’est connaître clairement, c’est la présence consciente. Que suis-je en train de penser à cet instant même ? Que suis-je en train de faire ? Qu’est-ce que je porte en moi ? Nous observons tout cela, nous sommes conscients de la façon dont nous vivons. Quand nous pratiquons ainsi, la sagesse peut émerger. Nous observons les choses et nous les approfondissons à tout moment, dans toutes les postures. Quand une impression mentale de bonheur apparaît, nous savons ce qu’elle vaut, nous ne la prenons pas pour quelque chose de substantiel. C’est simplement du bonheur. Quand le malheur apparaît, nous le reconnaissons également et nous savons que se complaire dans le malheur n’est pas la voie d’un méditant.

Voilà ce que nous appelons faire la distinction entre l’esprit et les sensations. Si nous sommes malins, nous ne nous attachons pas aux différentes sensations, nous les laissons aller. Nous devenons « ce qui sait ». L’esprit et les sensations sont comme l’huile et l’eau : ils sont dans la même bouteille mais ils ne se mélangent pas. Même si nous sommes malades ou si nous souffrons, nous savons faire clairement la distinction entre la sensation douloureuse et l’esprit. Nous sommes conscients des états douloureux ou de bien-être mais nous ne nous identifions pas à eux. Nous restons seulement avec le sentiment de paix, cette paix qui est au-delà du confort et de la douleur.

Voilà comment vous devez vivre : sans bonheur et sans malheur. Demeurez simplement avec la claire conscience de ce qui est, et ne portez pas le fardeau des sensations.

Tant que nous ne connaissons pas l’Eveil, tout cela peut paraître étrange mais c’est sans importance ; nous orientons notre objectif dans cette direction. L’esprit est l’esprit. Il rencontre le bonheur et le malheur, et nous considérons ces deux types de sensations simplement comme des sensations, sans rien y rajouter. Ils demeurent séparés de l’esprit, ils ne s’y mélangent pas. S’ils se mélangent, nous ne pourrons pas les connaître pour ce qu’ils sont vraiment. C’est comme vivre dans une maison : la maison et ses occupants sont liés mais séparés. Si notre maison est en danger, nous sommes inquiets et nous devons la protéger mais, si elle prend feu, nous sortons. De même, si une sensation douloureuse apparaît, nous sortons, tout simplement. Quand nous savons que l’incendie est là, nous sortons en courant. La maison est une chose et l’occupant est autre chose ; ils sont séparés.

Nous disons que nous séparons l’esprit et les sensations de cette manière mais, en fait, par nature ils sont déjà séparés. Notre compréhension consiste à prendre conscience de la réalité naturelle de cette séparation. Si nous prétendons qu’ils ne sont pas séparés, c’est parce que nous nous y attachons dans notre ignorance de la Vérité.

Le Bouddha nous a recommandé de méditer. Cette pratique de la méditation est très importante. Savoir les choses uniquement sur le plan intellectuel ne suffit pas. La connaissance qui vient quand on pratique avec un esprit paisible et la connaissance qui vient de l’étude sont vraiment très éloignées l’une de l’autre. La connaissance qui vient de l’étude n’est pas une véritable connaissance. Nous nous y attachons mais pourquoi ? Nous la perdons aussitôt ! Et quand elle est perdue, nous pleurons.

Si nous comprenons vraiment, il y a un lâcher-prise, nous laissons les choses être. Nous connaissons la nature des choses et nous ne l’oublions pas. Si nous tombons malades, nous ne nous perdons pas dans les sensations douloureuses. Certaines personnes disent : « Cette année, j’ai été tout le temps malade, je n’ai pas pu méditer du tout. » Ce sont les paroles de quelqu’un de vraiment stupide. Si on est malade ou mourant, on doit être tout particulièrement diligent dans sa pratique. Certains disent qu’ils n’ont pas le temps de méditer : ils sont malades, ils souffrent, ils ne font pas confiance à leur corps et ils en concluent qu’ils ne peuvent pas méditer. Si c’est ce que vous pensez, ce sera difficile pour vous ; mais ce n’est pas ce que le Bouddha a enseigné. Il a dit que le meilleur moment pour méditer était cet instant-ci, maintenant. C’est quand nous sommes malades ou mourants que nous pouvons vraiment connaître et voir la réalité.

D’autres personnes disent qu’elles n’ont pas l’occasion de méditer parce qu’elles sont trop occupées. Parfois des professeurs d’école viennent me voir. Ils me disent qu’ils ont beaucoup de responsabilités et qu’ils n’ont donc pas le temps de méditer. Je leur demande : « Comment se fait-il que vous ayez le temps de respirer si votre travail est si prenant et si agité ? » Là, vous êtes loin du Dhamma.

En réalité, cette pratique concerne simplement l’esprit et les sensations qu’il perçoit. Ce n’est pas quelque chose que l’on doive poursuivre ou obtenir à toute force. La respiration continue pendant que l’on travaille. La nature prend soin des processus naturels ; tout ce que nous avons à faire, c’est essayer d’être conscients. Simplement continuer à essayer, se tourner vers l’intérieur pour voir clairement. C’est cela, la méditation.

Si nous avons cette présence consciente, quelle que soit notre activité, elle devient l’outil qui nous permet continuellement d’être conscients du juste et du faux. Il y a beaucoup de temps pour méditer ; c’est simplement que nous ne comprenons pas bien la pratique. Pendant que nous dormons, nous respirons ; en mangeant, nous respirons, n’est-ce pas ? Pourquoi n’avons-nous pas le temps de méditer ? Où que nous soyons, nous respirons. Si nous réfléchissons ainsi, notre vie prend autant d’importance que notre respiration : où que nous soyons, nous avons le temps de méditer.

Toutes les formes de pensée sont des phénomènes mentaux, pas des phénomènes physiques. Donc nous devons seulement avoir une présence consciente de l’esprit à ce qui se passe. Dès lors, nous saurons reconnaître le juste et le faux à tout moment. Debout, assis, en marchant et couchés, il y a beaucoup de temps ; mais nous ne savons pas comment l’utiliser correctement. Réfléchissez à cela.

Quand nous avons cette connaissance, nous sommes quelqu’un de compétent pour ce qui concerne l’esprit et les impressions mentales. Quand nous sommes compétents dans les impressions mentales, nous sommes compétents dans le monde. Nous devenons « connaisseurs du monde », l’une des neuf qualités du Bouddha. Le Bouddha avait une connaissance parfaitement lucide du monde et de toutes ses difficultés. Il savait que ce qui est déplaisant et ce qui n’est pas déplaisant étaient tous deux présents, ici même. Ce monde est tellement déroutant, comment le Bouddha a-t-il pu en obtenir la connaissance ? C’est là que nous devons comprendre que le Dhamma enseigné par le Bouddha est à notre portée. En toute circonstance, nous devons être attentifs et présents à ce qui est et, quand arrive le moment d’aller méditer, nous nous asseyons.

Nous nous asseyons en méditation pour apaiser l’esprit et pour développer une énergie mentale – pas pour nous amuser. La méditation de la vision pénétrante est déjà dans le samādhi. Dans certains lieux de pratique, on dit : « Nous allons commencer par nous asseoir en samādhi et ensuite nous passerons à la méditation de la vision pénétrante. » Ne les séparez pas ainsi ! Le calme du samādhi est la base qui engendre la sagesse ; la sagesse est le fruit de ce calme. On ne peut pas dire que l’on va développer le calme maintenant pour ensuite passer à la vision pénétrante ! On ne peut les séparer qu’en paroles. C’est comme un couteau : il a un manche et une lame qui ne peuvent pas être séparés : si vous soulevez l’un, l’autre suit. Le calme engendre la sagesse de la même manière.

Une bonne moralité – voilà la mère et le père du Dhamma ! Dès le départ, nous devons être vertueux. La vertu, c’est la paix. Cela signifie que l’on ne fait rien de mauvais, en actes comme en paroles. Quand on n’agit pas mal, on n’est pas nerveux ; quand on n’est pas nerveux, la paix et la concentration peuvent apparaître.

Nous disons que la vertu, la concentration et la sagesse sont la Voie qu’ont suivie les Nobles Etres pour atteindre l’Eveil. En réalité, les trois ne font qu’un : la moralité permet la concentration et la concentration engendre la moralité ; la concentration engendre la sagesse et la sagesse permet la concentration. C’est comme une mangue. Quand elle est à l’état de fleur, on l’appelle une fleur ; quand elle devient un fruit, on l’appelle une mangue ; quand elle mûrit, on l’appelle une mangue mûre. C’est toujours une seule et même chose mais elle change continuellement. La grosse mangue vient de la petite mangue, la petite mangue devient grosse. On peut dire qu’il s’agit de différents fruits ou d’un seul. A partir du moment où elle apparaît à l’état de fleur, la mangue se développe simplement jusqu’à maturité. C’est suffisant. Les noms que l’on pourra lui donner importent peu. Une fois née, elle se développe jusqu’à un âge avancé – et ensuite ? Nous devons contempler cela.

Certaines personnes ne veulent pas vieillir. Quand elles vieillissent, elles tombent dans la dépression. Ces gens ne devraient pas manger de mangues mûres ! Pourquoi voulons-nous que les mangues mûrissent ? Si elles ne mûrissent pas à temps, on les fait mûrir artificiellement, n’est-ce pas ? Mais quand nous vieillissons, nous sommes pleins de regrets. Certains pleurent tant ils ont peur de vieillir ou de mourir. Si c’est le cas, ils ne devraient pas manger de mangues mûres ; ils n’ont qu’à manger les fleurs ! Si nous arrivons à voir cela, nous pouvons voir le Dhamma. Tout s’éclaircit, nous sommes en paix. Prenez simplement la décision de pratiquer ainsi.

Vous devriez prendre ce que j’ai dit et le contempler. S’il y a des erreurs, veuillez m’en excuser. Vous ne saurez si c’est juste ou faux que si vous pratiquez et voyez par vous-mêmes. Ce qui est faux, jetez-le. Si c’est juste, prenez-le et utilisez-le. En réalité, nous pratiquons pour finir par lâcher aussi bien le juste que le faux. Au bout du compte, nous lâchons tout. Si c’est juste, jetez-le ; faux, jetez-le ! En général, si c’est juste, nous nous attachons à cette vérité et si c’est faux, nous insistons sur le fait que c’est faux et les disputes commencent. Mais, dans le Dhamma, il n’y a rien. Rien du tout.

1  Cet enseignement se trouve dans le discours du Bouddha sur les Quatre Fondements de l’Attention.
2 « Sensation » est la traduction du mot pāli vedanā. Il recouvre à la fois la sensation physique et le ressenti qui l’accompagne. Dans ce contexte, il doit être compris dans le sens où le décrit Ajahn Chah : les états mentaux agréables et désagréables.