Ayya Khema
Traduit par Jeanne Schut
Extraits de deux enseignements donnés par Ayya Khema au cours d’une retraite en Californie en 1990
2. Les quatre absorptions méditatives immatérielles
Présentation des jhāna cinq à huit
Que les absorptions immatérielles aient pour vous une application pratique ou pas, il est important de les connaître pour avoir un tableau complet de ce que sont les jhāna. On les appelle « immatérielles » parce qu’elles ne sont pas tout à fait « de ce monde », elles n’ont pas grand-chose à voir avec la matérialité de ce monde – le corps, les sens, les pensées – ni même avec les émotions qui nous sont familières. Les quatre premiers jhāna sont appelés « absorptions méditatives matérielles subtiles ». Ils sont très raffinés et incluent des émotions de plus en plus subtiles. Mais quand nous en arrivons aux absorptions méditatives immatérielles, nous touchons à un monde qui nous est inconnu, à moins que nous méditions et soyons capables de nous concentrer suffisamment.
De fait, ces jhāna sont beaucoup plus universels et ont des applications beaucoup plus vastes dans le sens de la vérité absolue. Quand nous les pratiquons, nous voyons immédiatement que nous sommes entrés en contact avec quelque chose qui a une immense valeur et qui est aussi en harmonie avec cette aspiration profonde que nous partageons tous – ou presque.
Quand l’esprit entre en contact avec un monde intérieur entièrement différent de tout ce qu’il a pu connaître jusque-là, il ne manquera pas, par la suite, en méditation mais aussi en dehors, de se référer à ce qu’il aura découvert, même sans avoir d’explications scientifiques.
Si, dans notre vie, nos seuls points de référence ne vont pas au-delà des activités ordinaires quotidiennes, la vie sera non seulement difficile mais aussi très insatisfaisante. Les activités ordinaires sont uniquement orientées vers les huit dhamma du monde et n’apportent aucune joie durable. Par contre, dans le cadre de ce « tout » plus vaste, de cette plénitude qu’ouvrent les jhāna immatériels, nous avons d’autres points de référence. Le jugement, la discrimination disparaissent parce qu’il n’y a rien à juger. Les choses sont, tout simplement. Quand on a vécu l’expérience de « ce qui est, tout simplement », on y revient dans la vie. Il devient plus facile de voir que les choses ne sont ni bonnes ni mauvaises, ni à moi ni aux autres. Sans ce saut dans l’inconnu, sans cette expérience d’une réalité plus vaste qui mène à la vision de la réalité absolue, il est quasiment impossible d’abandonner nos paroles, nos pensées et nos actions centrées sur nous-mêmes. Nous ne cessons de retomber dans ces attitudes, même si nous avons compris à quel point elles sont insatisfaisantes. La compréhension est toujours la première étape mais elle ne suffit pas, elle ne change rien en profondeur.
Orienter l’esprit dans la bonne direction
Les quatre jhāna immatériels sont souvent considérés comme une extension du quatrième jhāna matériel. C’est vrai dans la mesure où ce dernier est tellement fort en concentration que les suivants sont évidemment portés par lui. Ceci étant, la vie ne suit pas toujours les règles et il arrive que les méditants passent directement du troisième jhāna au cinquième mais il faudra qu’ils retournent pour baigner dans le quatrième car, étant dépourvu d’un observateur, c’est l’état le plus reposant et le plus paisible. De ce fait, c’est celui qui apporte le plus d’énergie à l’esprit et qui va permettre aux quatre jhāna suivants d’apparaître.
On a souvent dit que cette pratique était très difficile mais, quand vous l’aurez faite, vous saurez que ce n’est pas le cas. Le Bouddha n’a pas cessé de répéter que nous devons orienter notre esprit dans cette direction. Il a prononcé cette petite phrase très importante, très claire, que tout le monde semble avoir oubliée : « Le méditant sait où il veut aller dans la méditation et il prend cette direction ». Nous pouvons orienter notre corps et notre esprit vers toutes sortes de directions. Nous pouvons aller vers le réfectoire et manger ou bien aller dans notre chambre et ne pas manger. Nous suivons ainsi l’orientation de l’esprit. Nous pouvons diriger notre esprit vers la lecture d’un livre ou la lecture d’une seule page que nous essaierons de mémoriser – c’est une expérience totalement différente. Nous pouvons diriger notre esprit vers le lieu où nous voulons être et, si nous savons ce qui est profitable, bénéfique et sain, et que nous orientons notre esprit dans cette direction, nous ferons ces expériences dont le Bouddha dit qu’elles constituent la voie indispensable pour la libération ultime de la souffrance.
Le cinquième jhāna : l’espace infini
Le cinquième jhāna ressemble au premier dans la mesure où il est basé sur une sensation physique. (J’en profite pour rappeler que, lorsque l’on a un ressenti corporel, on doit focaliser l’attention sur la sensation et non sur le corps.) L’expérience du cinquième jhāna – que l’on appelle « infinité de l’espace » – est une sensation d’expansion dont, très souvent, les gens ont le sentiment qu’elle part du corps. Il n’y a que deux choses dans l’univers, la matérialité du corps et l’esprit et, effectivement, l’espace est lié à la matérialité. Donc ressentir cette expansion comme une sensation corporelle est tout à fait naturel. Certains la ressentent dans sa plénitude, tandis que d’autres la suivent en partant des limites du corps qui, à ce stade, sont tellement fines qu’elles s’étendent très facilement aussi loin que possible. À partir de là, on peut sentir l’ouverture d’un vaste espace qui emplit toute la conscience. Rien d’autre n’existe. Comme le corps semble s’être étendu jusqu’à cet espace illimité, il s’y perd et on ne perçoit plus aucun corps « personnel ». Dans cette expérience, tout est espace.
Ceci est examiné de très près par « l’observateur » de sorte que, lorsque nous quittons cette absorption méditative, nous la comprenons immédiatement. Cette expérience démontre clairement que l’espace existe mais que, au cœur de cet espace, le « moi » n’existe pas. Avant cela, nous avions peut-être déjà entendu parler de « l’illusion du moi », réfléchi et peut-être même accepté cette idée, mais cela n’avait rien changé à notre vie car c’est une chose qu’il faut vivre.
Avec l’expérience du cinquième jhāna, nous ne sommes pas libérés de l’illusion du « moi » mais nous l’avons vue de près. Nous savons que c’est une réalité et qu’il n’y en a pas d’autre. Nous avons également entrevu l’aspect global de l’existence universelle. Il ne s’agit plus de mots ou de mystère ; c’est un fait. Cela suffit à changer notre perspective et notre perception des choses au point que nous ne serons plus jamais comme avant. Le changement est particulièrement net dans notre relation à la nature qui nous entoure et dans notre relation aux gens. Cela ne veut pas dire que, du jour au lendemain, nous allons aimer tout le monde d’un même amour – ce qui serait bien – mais nous ne nous sentons plus séparés des autres. La vaste expérience de l’espace infini crée en nous le sentiment d’une connexion totale.
Voilà un sujet dont on parle beaucoup ; il y a même un magazine qui s’appelle « Nous sommes Un ». C’est très beau, tout semble aller dans la même direction, et pourtant rien ne change en profondeur tant que l’on n’a pas ressenti cette expérience dans son propre corps. L’esprit pensant est nécessaire pour comprendre mais il ne peut comprendre que ce qui a été vécu et ressenti personnellement. Tant que nous ne vivrons pas les choses dans notre corps, l’expérience spirituelle nous échappera. Il est bon de comprendre et de réfléchir mais cela ne nous apportera pas le bonheur et la paix. Cela ne nous apportera pas la transformation que la spiritualité peut apporter à tous ceux qui pratiquent.
Cette transformation ne se voit pas tellement de l’extérieur mais la personne, elle, en est consciente. Il y a une belle biographie de Sainte Thérèse d’Avila qui est parue sous le titre « L’or dans le creuset »1. C’est de cette transformation qu’il s’agit : l’or est placé dans le creuset et il se transforme, comme dans l’alchimie. C’est ce qui se passe dans le cœur-esprit mais seulement par l’expérience personnelle directe. Tout le reste est un processus de pensée. Toutefois, quand nous tournons notre esprit vers ce sujet pour y réfléchir, il est orienté dans la bonne direction, de sorte que nous pourrons finir par vivre l’expérience quand l’occasion se présentera.
Le cinquième jhāna s’appelle donc « infinité de l’espace » et c’est bien ce que l’on vit pendant cette pratique. Si nous sortons du quatrième ou même du troisième jhāna, et que nous orientons notre esprit vers cette expansion, prêts à aller au-delà de tout ce que nous avons pu connaître, il est possible que nous y pénétrions et que nous puissions y rester un temps approprié. Les mots « temps approprié » se réfèrent au fait qu’avant de commencer la pratique, nous décidons du temps que nous voulons y passer. Par exemple : « Je veux passer cinq minutes dans le premier jhāna, dix minutes – ou vingt ou trente – dans les suivants ». L’esprit est tout à fait capable de suivre ces résolutions préalables dès qu’il a développé les compétences pour pénétrer dans les pièces du château et y rester.
Les jhāna cinq, six et sept sont aussi appelés « vipassana jhāna », c’est-à-dire que la concentration qu’ils impliquent permet d’atteindre la vision intérieure profonde. En effet, il est impossible à un esprit « normal » de faire ces expériences sans avoir accès à la compréhension que l’espace existe mais que la division que nous croyons exister entre les êtres n’est qu’une illusion d’optique due au fait que ces éléments qui nous composent sont regroupés dans des entités séparées. Quand on a vécu ce type d’expérience, cela devient tout à fait clair.
Le sixième jhāna : la conscience infinie
Bien sûr, un espace infini ne peut être vécu que par une conscience infinie et tel est le nom du sixième jhāna. Celui-ci ressemble un peu au second car la sensation agréable est nécessairement accompagnée d’un sentiment de bonheur. En passant du premier au second jhāna, on fait basculer l’attention d’une sensation agréable à un état émotionnel agréable. De même, on va du cinquième au sixième jhāna en changeant la focalisation de l’attention : elle passe de l’expérience de l’espace infini à « ce » qui fait cette expérience, c’est-à-dire la conscience infinie.
La conscience infinie est une conscience qui englobe tout et qui nous fait réaliser que la conscience elle-même est dépourvue de « personnalité » ; elle est, tout simplement. Elle existe en tant que partie globale de l’existence et, tant que nous vivons sur cette Terre en tant qu’êtres humains, nous y jouons un rôle. De même que nous avons un rôle dans l’espace en « prenant de la place », nous « prenons » également de la conscience mais elle ne nous appartient en rien. Lorsque l’on entre dans l’état de conscience infinie, il n’y a aucune étiquette, aucun nom, aucune séparation, ni « moi » ni « vous », ni « mien » ni « vôtre » ; rien ne s’intitule « hier » ou « aujourd’hui » ; rien n’est qualifié de « bien » ou de « mal » ; il n’y a rien qui soit désiré ou rejeté. La conscience est, tout simplement.
Comme cette conscience englobe tout, lorsque nous quittons cet état, nous vivons une autre expérience : nous comprenons que l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes, de « moi », ne correspond pas à la réalité. Attention : on ne perd pas cette conscience du « moi » pour autant. En réalité, on ne se défait totalement de l’illusion du « moi » qu’au stade de l’Éveil ultime, celui de l’Arahant. Aux stades intermédiaires, elle diminue simplement peu à peu. Cependant les jhāna sont un formidable moyen d’entrevoir une autre dimension de cette réalité dans laquelle nous vivons, ce qui est absolument impossible en dehors d’un état de méditation.
Les mystiques de tous les temps et de toutes les traditions ont toujours été capables de voir ces dimensions – c’est justement ce qui fait d’eux des mystiques. Bien entendu, chacun a compris et expliqué ces dimensions en fonction de sa religion particulière mais toutes ces expériences ont le même dénominateur commun : le « moi » n’existe pas, il n’y a que l’existence – c’est et c’est tout.
Tout cela peut simplement vous paraître intéressant ou vous intriguer mais, une fois qu’on en a fait soi-même l’expérience, c’est tout à fait évident. Grâce à cette évidence, on peut ensuite retourner à ses activités, quelles qu’elles soient, et porter un regard différent sur les choses. On aura beaucoup moins de difficultés, beaucoup moins de barrières du type : « J’aime / je n’aime pas » ou « je veux / je ne veux pas ». Un autre niveau de conscience et de compréhension prédomine. On n’est plus prisonnier de notions comme réussite ou échec car on a vu que ces choses-là n’ont pas d’existence réelle. Les choses sont, tout simplement. Le Bouddha a appelé ce stade : « vision et connaissance des choses telles qu’elles sont réellement ».
Le mot « connaissance » se réfère à l’esprit pensant tandis que le mot « vision » évoque la réalisation intérieure liée au ressenti. Une fois que l’expérience a été vécue, la connaissance nous permet de la comprendre. Lorsque nous sommes entrés en contact avec cette dimension par une expérience personnelle incontestable (et non par l’imagination ou en prenant nos désirs pour des réalités), nous comprenons que ces dimensions que nous avons connues par des enseignements ou des lectures existent vraiment dans notre propre esprit. Elles ne peuvent pas être ailleurs, au loin, sinon nous ne pourrions pas y accéder, nous n’aurions aucun lien avec elles. Par contre, notre propre esprit peut s’ouvrir au point de reconnaître l’infinité de la conscience. Ensuite, quand il revient à son degré de conscience limitée, il continue à en faire partie au niveau de la compréhension. Nous savons désormais que notre conscience limitée n’est pas tout, que l’univers est plus vaste et que la vie ne se limite pas à « s’en sortir » au quotidien.
Le septième jhāna : fondement de la vacuité
Le cinquième et le sixième jhāna introduisent le suivant que l’on appelle « fondement de la vacuité ». Le mot « vacuité » est souvent évoqué dans la terminologie bouddhiste mais il est généralement mal compris. Il ne s’agit pas d’un vide absolu. Prenons une comparaison : vous entrez dans une pièce et vous voyez qu’elle contient des tables, des chaises, des coussins, des rideaux, etc. ; ensuite, on retire absolument tout et, lorsque vous revenez dans la pièce, vous la trouvez « vide ». Mais ce qui est vide, la pièce, existe toujours. Elle a simplement été vidée de tout contenu.
Quand l’esprit a fait l’expérience de l’espace infini et de la conscience infinie, il en vient à observer cette infinité et il ne trouve rien. Dans cette infinité, rien n’a la moindre solidité, la moindre influence, la moindre prise sur quoi que ce soit. Il n’y a tout simplement rien.
Il est intéressant de constater que cela coïncide avec les affirmations des scientifiques qui déclarent depuis plusieurs dizaines d’années qu’il n’existe rien de solide dans l’univers, seulement des particules d’énergie qui se regroupent puis disparaissent. Dans ce septième jhāna, certains méditants font l’expérience d’un mouvement, une sorte de palpitation, dans cette infinité. D’autres n’ont conscience que d’une immensité qui ne contient rien à quoi une personne ou une chose pourrait s’appuyer ou se raccrocher. Mais, comme ces expériences sont extrêmement paisibles et agréables, ils ne ressentent absolument aucune crainte, aucun rejet, aucune résistance. L’esprit a été préparé par l’avancée progressive dans les absorptions méditatives.
Il arrive que des personnes sous l’influence de drogues vivent des choses similaires mais, d’une part, elles n’en gardent rien par la suite et, d’autre part, ces expériences peuvent être très traumatisantes parce que leur esprit n’a pas été entraîné, préparé, à voir ces différents niveaux de réalité. Si on essaie d’avoir accès à cette vision des choses que le Bouddha a appelée anatta – c’est-à-dire « non-soi » ou « impersonnalité des phénomènes » – par la simple pensée, cela peut aussi être très effrayant. Si on essaie d’y avoir accès en appliquant sans cesse cette connaissance dans sa pratique et son quotidien, la peur qui apparaît naturellement au début fait partie des étapes sur la voie ; elle doit être traversée et, pour cela, il est bon d’être entouré et aidé par un enseignant expérimenté. Mais, quand on pratique les jhāna, cette peur ne se manifeste quasiment jamais parce que, ayant vu cela, on peut très bien décider de ne pas avancer davantage.
Ceci dit, toutes les personnes que je connais, qui ont la capacité de concentration nécessaire, n’hésitent pas une seconde à visiter toutes ces dimensions et, quand elles découvrent « la vraie réalité », elles ressentent du soulagement et un lâcher-prise mais certainement pas de la peur. Soulagement parce que nous avons l’impression de lâcher un fardeau, le fardeau que nous nous sommes imposé : faire en sorte que tout soit parfait dans notre vie, que notre vision des choses soit partagée, que nous soyons aimés et appréciés, etc. Mais, dans cette immensité d’espace et de conscience où rien de solide n’existe, qu’y a-t-il à faire ? Rien. Absolument rien. Il y a ce qui est, tout simplement. Et puisque nous sommes déjà, tout ce qu’il reste à faire, c’est en prendre conscience – et c’est tout l’intérêt de la méditation.
En dehors de cela, nous avons la responsabilité de maintenir ce corps en vie, tant qu’il peut fonctionner ; nous pouvons aussi partager ce que nous avons découvert ; mais, pour le reste, nous sommes déjà. L’immensité de l’existence et de l’espace, ainsi que la conscience universelle existent déjà. Nous n’avons rien à régler, à améliorer ou à garantir pour cela. Nous n’avons rien à y faire. C’est et nous en faisons partie. Ce sont ces prises de conscience qui engendrent soulagement et lâcher-prise par rapport à la pression et aux tensions causées par le désir d’être quelqu’un ou d’obtenir quelque chose.
Ces trois jhāna sont appelés les jhāna de la vision pénétrante parce qu’il est impossible de ne pas avoir une vision plus profonde des choses quand on y accède. Et, comme ces expériences sont fondées sur les premières qui étaient paisibles et joyeuses, ces états de conscience sont également paisibles. Face à la prise de conscience qu’il n’y a pas de « moi », l’esprit ordinaire réagit par la résistance et le rejet mais, avec l’expérience des jhāna, ces réactions n’ont pas la puissance qu’elles ont d’habitude. Au contraire, l’esprit est souple, vaste et doux ; sans cela il n’aurait pas pu pénétrer dans ces profonds états de conscience. Grâce à ces qualités qu’il a développées, il peut également accepter facilement, sans peur, cette nouvelle compréhension de la réalité.
Le huitième jhāna : ni perception ni non-perception
Le huitième jhāna est le contrepoint du quatrième, lequel est caractérisé par la paix et la quasi totale disparition de l’observateur. Le huitième jhāna le fait disparaître encore plus. On l’appelle l’état de « ni perception ni non-perception ». Autrement dit, l’esprit ne perçoit pas vraiment ce qui se passe puisque l’observateur est presque absent. Nous avons un avant-goût de ce qu’est une expérience sans personne qui en fait l’expérience. L’esprit est si calme, si paisible, que c’est seulement après avoir quitté cet état que le méditant peut dire avec certitude : « Je ne dormais pas, j’étais parfaitement présent ». Pendant l’expérience, l’esprit a simplement conscience d’un grand afflux d’énergie mentale. C’est ce que l’on peut utiliser comme critère. Quand l’énergie mentale est présente (à ne pas confondre avec l’énergie physique), c’est-à-dire quand l’esprit est capable de voir des connexions beaucoup plus vastes, de comprendre la totalité et qu’il a la joie et la clarté nécessaires pour trancher dans tout ce qui le préoccupe d’ordinaire, nous pouvons en déduire que l’énergie mentale était bien présente.
Si on sort d’un état de jhāna, à quelque niveau que ce soit, et que l’on se sent prêt à abattre tout le travail qui se présente, c’est que la méditation a été bonne. Si on a envie d’aller directement se coucher, je peux vous assurer que la méditation n’a pas été bonne, que vous le sachiez ou pas. Si on se sent fatigué et dans un état proche de la transe – qu’il s’agisse vraiment de transe ou pas –, la fatigue après la méditation indique, à coup sûr, que l’esprit n’était pas concentré, qu’il était engourdi. Certaines personnes doivent contrecarrer cette tendance ; d’autres n’en souffrent absolument jamais.
Le huitième jhāna est celui qui génère le plus d’énergie mentale et qui nous donne le meilleur avant-goût du non-soi. Quand on en sort, on sait avec certitude que rien n’est comparable à la paix et au bonheur de se sentir « impersonnel ». Cela ne veut pas dire que l’on est mort mais que, pendant que nous vivons encore, il n’y aura plus de connexion avec ce culte de la personnalité dans lequel tout le monde est engagé. Tandis que nous savourons cet avant-goût de la disparition du « moi », nous réalisons que rien n’est comparable à cette sorte de paix.
Le huitième jhāna, pas plus que le quatrième, n’est considéré comme un jhāna de la vision profonde. Il consiste plutôt à régénérer l’esprit. Les grandes révélations profondes viennent au cours des cinquième, sixième et septième jhāna. Mais, comme il a été dit plus tôt, même dans le troisième qui est celui du « contentement », la paix et la satisfaction ressenties nous donnent une compréhension profonde du fait qu’être sans désir, c’est aussi se libérer de la souffrance.
Les jhāna immatériels nous donnent l’occasion de faire l’expérience d’une dimension qui nous permet de comprendre des concepts spirituels que nous avons peut-être lus mais que nous avons écartés en pensant qu’ils n’étaient que divagations ou croyances. Le Bouddha a énormément insisté sur le fait que nous ne devons rien croire sans l’avoir vérifié par nous-mêmes. Bien sûr, nous avons besoin d’assez de confiance dans les enseignements, au départ, pour faire les premiers pas sur la voie proposée mais, ensuite, nous devons évaluer seuls les résultats. Tout ce que nous pouvons vérifier par nous-mêmes correspond à la vérité que nous portons en nous.
L’enseignement du Bouddha est comme une carte où sont clairement indiquées les directions à prendre. Il y a des poteaux indicateurs partout et dans toutes les langues. Rien n’est caché.
1 Gold in the Crucible, Deirdre Green, 1989. Non traduit en français.