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Comprendre les “préceptes” : Cinq préconisations pour “méditer” en action

La pratique de la « méditation » en assise est bien connue. C’est un temps privilégié que le pratiquant s’accorde afin de développer les qualités de l’esprit dans les meilleures conditions possibles : assis, en silence, dans un lieu retiré… Mais il se doit, ensuite, de poursuivre ses efforts dans la vie ordinaire, aux cours de ses activités quotidiennes, dans chacun de ses actes. Comment faire ?

L’action risque-t-elle, toujours, d’être soumise à l’avidité ou à l’aversion ? Peut-on “méditer” en action ?

Le Buddha n’a pas ignoré cette situation et a proposé un certain nombre de préconisations – au nombre de quatre ou cinq, selon les sources – qui constituent un « entraînement de base » ou la « voie de l’entraînement » (sikkhapāda). Ces préconisations font pleinement partie de l’enseignement bouddhique et peuvent, notamment, s’inscrire dans la triade bien connue, que résume une célèbre stance du Dhammapada : « S’abstenir de tout mal, s’exercer à l’efficace, purifier son propre esprit, tel est l’enseignement des buddha ».

 

Qu’est-ce que « méditer » ?

 

« Méditation » est un bien méchant cadeau que l’Occident a fait à l’enseignement du Buddha, selon le principe de « traduire, c’est trahir » ! Les différents termes employés dans les langues indiennes (sanskrit ou pāli) que l’on traduit ordinairement par « méditation » peuvent – et doivent… – se comprendre bien différemment : bhavanā, samādhi ou dhyāna évoquent des attitudes de l’esprit qui n’ont rien à voir avec le fait de « méditer », qui consiste à « réfléchir sur un texte et sur la manière de l’appliquer dans sa vie » – selon la définition chrétienne de ce terme, qui vient du vocabulaire de cette tradition !

Bhavanā évoque le « développement » de qualités de l’esprit, que notre Ignorance et notre Illusion nous font généralement dédaigner. Samādhi est un « recueillement » de l’esprit qui, « non distrait » par les pensées réactives habituelles (émotives ou conceptuelles), est capable de se tenir fixé sur un seul phénomène – un phénomène constamment « re-produit », dans la pratique du « calme » (samatha), ou tous les phénomènes qui se produisent successivement, différents à chaque instant, dans la pratique de la « vision pénétrante » (vipassanā).
Dhyāna, techniquement, désigne une forme d’« absorption » née de la pratique du calme, mais il a fini par être employé – notamment en Chine et dans tout l’Extrême-Orient (prononcé « chan’na », puis « chan » ou « zen ») – dans un sens très général, comme un synonyme de bhavanā ou de samādhi.

Rien, dans ces trois termes, n’évoque une « intense réflexion » ni moins encore le fait de « projeter quelque chose » (comme dans « méditer un mauvais coup »…) qui reste le sens premier du terme latin « meditatio » ! Du coup, si l’on comprend aisément qu’un certain retrait du monde soit nécessaire pour mener une « intense réflexion » ou « projeter quelque chose », il n’en va pas forcément de même pour ce qui est de « développer » les qualités d’un esprit « non distrait » par ses réflexes conditionnés habituels, c’est-à-dire développer et appliquer l’attention vigilante (sati/smṛti) et la connaissance (paññā/prajñā).

C’est bien ainsi, d’ailleurs, que la tradition bouddhique l’a compris : l’observation « attentive et compréhensive » des phénomènes physiques et psychiques ne se limite pas aux seuls temps de pratique intensive, dans la posture assise. Tout instant, toute activité doit être un moment pour s’exercer, s’entraîner à « voir les choses telles qu’elles sont » ! Et ça n’est pas pour rien que les textes anciens appellent le pratiquant « celui qui s’entraîne » (sekha)… un entraînement qui ne s’achève qu’avec l’obtention de l’Eveil, seulement. Mais, dans le même temps, on n’ignore pas que l’exercice de telles capacités demande des efforts certains pour pouvoir être accompli : on n’y parvient pas généralement du premier coup et certaines étapes, une progression méthodique, permettent d’y arriver, pas à pas :

« Par degrés, petit à petit, de moment en moment, un homme sage doit se purifier de ses propres impuretés, comme un orfèvre purifie l’argent de ses scories. » (Dhammapada, st. 239)

Une progression, étape par étape.

 

Aussi évoque-t-on souvent « l’enseignement graduel » des buddha. Il s’agit d’une méthode progressive visant à permettre au disciple, étape par étape, d’abord de prendre conscience de ses conditionnements et de leurs conséquences (son « mode d’être » ordinaire au sein du saṃsāra), puis de comprendre l’intérêt et la nécessité de changer d’attitude mentale, afin de créer les conditions favorables à une progression effective, enfin de réaliser la « purification » réelle de son esprit en développant ses capacités à « voir les choses telles qu’elles sont », c’est-à-dire sans durée (anicca/anitya), insatisfaisantes (dukkha/duḥkha) et conditionnées (ou “non existantes-en-elles-mêmes”, anatta/anātman).

C’est ce que résume une célèbre stance du Dhammapada (st. 183) :

« S’abstenir de tout mal (pāpa), s’exercer à l’efficace (kusala), 
Purifier son propre esprit, tel est l’enseignement des buddha ».

Cette triade n’est pas le seul exemple de la littérature bouddhique ancienne. Un sutta du canon pāli – Accāyika-sutta(Aṅguttara-nikāya 3-93) – évoque de son côté trois « tâches urgentes » à accomplir :

 

« Il y a trois tâches urgentes que doit réaliser un fermier chef de famille.

Il laboure et herse son champ rapidement ; il plante rapidement les graines ; il arrose son champ rapidement.

Cela dit, le fermier n’a pas le pouvoir ou la puissance [de dire :] « Que mes cultures jaillissent aujourd’hui même, que les grains apparaissent demain, et qu’ils mûrissent le jour suivant. »

C’est seulement lorsque le temps est venu que les cultures du fermier germent, que les grains apparaissent et qu’ils mûrissent.

De la même manière, il y a trois tâches urgentes que doit réaliser un disciple du Buddha.

Il entreprend l’entraînement [sikkha] menant à la discipline supérieure [adhi-sīla], l’entraînement menant à l’esprit supérieur [adhi-citta] et l’entraînement menant à la sagesse supérieure [adhi-paññā].

Cela dit, ce disciple n’a pas le pouvoir ou la puissance [de dire :] « Que mon esprit soit libéré des souillures grâce au détachement, aujourd’hui, demain ou le jour suivant ».

C’est seulement lorsque le temps est venu que l’esprit est libéré des souillures grâce au détachement par les entraînements menant à la discipline supérieure, à l’esprit supérieur et à la sagesse supérieure. »

 

Ces deux triades peuvent être mises en parallèle, et l’emploi du terme « entraînement » (sikkha) nous invite à les rapprocher, aussi, de ces « entraînements de base » (sikkhapāda) que l’on appelle généralement les « Cinq Préceptes » – ceux que tout disciple « maître de maison » est censé s’engager à mettre en œuvre, quotidiennement, dans sa vie de tous les jours…

Les « préceptes » apparaissent en de nombreux endroits dans la littérature bouddhique : dans des enseignements que le Buddha adresse à des « maîtres de maison » ordinaires, pas toujours très sensibles à l’objectif lointain de l’Eveil et de la Libération, mais plus enclins à simplement « améliorer le saṃsāra »… Ils sont, bien sûr, ce que formulent les disciples lors des fêtes et des cérémonies, voire quotidiennement, par quoi ils s’engagent à pratiquer plus activement les préconisations du Maître… Ils figurent enfin au sein de l’Octuple Sentier des Nobles, cette pratique pleine et entière de l’enseignement. Trois contextes différents qui correspondent, en fait, à trois degrés de motivation et qui appellent trois interprétations différentes.

Pour bien comprendre ces trois degrés, il ne faut pas oublier le maître-mot de l’enseignement bouddhique : l’intention, la motivation, qui sous-tend et colore chacun des actes accomplis par le corps, la parole et l’esprit.

Au premier degré, l’intention est « ordinaire », c’est celle du « monde » (le saṃsāra), que l’on n’envisage pas encore de quitter définitivement mais seulement d’améliorer : on « prépare le terrain ».

Au second degré, l’intention vise le perfectionnement, on « plante les graines » qui, en mûrissant, nous offrirons les conditions adéquates pour une mise en pratique pleinement efficace : on vise la Libération.

Au troisième degré, « celui qui s’entraîne » a réuni les conditions favorables et les entretient, il « arrose » son champ afin que le processus auquel il a déjà œuvré permette le plein épanouissement des qualités qui « poussent » : on agit comme un « Noble » !

 

“Labourer et herser” – “s’abstenir de tout mal”

l’entraînement de la discipline

 

 « S’abstenir de tout mal » peut être considéré comme une préparation du terrain…

En labourant et hersant son champ, le fermier déracine les mauvaises herbes qui le souillent et qui risqueraient d’étouffer les futurs plants dont il souhaite récolter les fruits. Conscient du danger, il nettoie. Le saṃsāra est un monde où la souffrance et l’insatisfaction se reproduisent comme des mauvaises herbes ; or, personne ne souhaite les subir… A quoi bon favoriser leur multiplication par des actes qui produisent la souffrance ? Le mal ici évoqué est celui de la souffrance subie du fait d’autrui (le terme pāli pāpa équivaut au terme latin patior, la passion : « ce qu’on subit et qui fait mal »…).

Au premier degré, l’abstention vise à ne pas reproduire, pour soi et pour autrui, ce que génère un égoïsme trop bien partagé : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse à toi-même » ! C’est ainsi que le Buddha enseigne à un groupe de villageois qui disent d’eux-mêmes :

 

« Nous sommes des gens qui ont des passions, des espoirs, des projets comme de vivre au milieu de beaucoup d’enfants, de porter des guirlandes, d’utiliser des parfums et des onguents, de renaître dans une destination heureuse… » :

 

« Imaginons, O chefs de famille, que quelqu’un réfléchisse ainsi : “J’aime la vie et je ne veux pas mourir. J’aime la joie et je répugne aux douleurs. Si je suis privé de la vie par quelqu’un, c’est un fait qui n’est ni agréable ni plaisant pour moi. Si, moi, je prive quelqu’un d’autre de sa vie, ce ne sera un fait ni agréable ni plaisant pour lui, car il ne veut pas qu’on le tue, et il aime la joie, et il répugne aux douleurs. Ainsi, un fait qui n’est ni agréable ni plaisant pour moi doit être un fait qui n’est ni agréable ni plaisant pour quelqu’un d’autre. Donc, un fait qui n’est ni agréable ni plaisant pour moi, comment puis-je l’infliger à quelqu’un d’autre ?”

Le résultat d’une telle réflexion est qu’il s’abstient lui-même de tuer d’autres êtres vivants. Il encourage les autres à s’abstenir de tuer des êtres vivants. Il parle et fait l’éloge d’une telle abstinence. » (Veludvāreyya-sutta, Saṃyutta-Nikāya XI.1.7)

 

Il en va exactement de même pour les autres « préceptes d’abstinence » :

Si quelqu’un prenait avec l’intention de la voler une chose m’appartenant que je ne lui ai pas donnée, ce serait un fait ni agréable ni plaisant pour moi”… Alors il s’abstient de prendre ce qui ne lui est pas donné ; “Si quelqu’un avait des relations sexuelles avec mes femmes, ce serait un fait ni agréable ni plaisant pour moi”… Alors il s’abstient de s’engager dans des relations sexuelles illicites ; “Si quelqu’un entamait mon bien-être par des mensonges, me séparait de mes amis par la calomnie, n’arrêtait pas de me parler de choses inutiles, ce serait un fait ni agréable ni plaisant pour moi”… Alors il s’abstient de dire des mensonges, des paroles calomnieuses, des paroles insensées, des paroles futiles…

On ne peut guère dire, ici, qu’il s’agisse déjà de mettre en pratique « l’enseignement spécifique aux buddha » ! Juste de prendre conscience du mal produit par nos actions ordinaires et leurs conséquences, le « mauvais karma ». Il ne s’agit pas pour autant d’un interdit ou d’un commandement à suivre, aveuglément, car l’abstention résulte d’un raisonnement, d’une réflexion que chacun est à même de mener, individuellement. Mais il ne s’agit encore, pour l’instant, que de maîtriser et de réduire des « mauvaises pensées »… On se retient de mal agir, c’est-à-dire d’actions susceptibles de faire souffrir autrui. Il n’est pas besoin d’être disciple du Buddha pour agir ainsi : c’est une simple question de bons sens !

 

“Planter” – “s’exercer à l’efficace”

l’entraînement de l’esprit

 

« S’exercer à l’efficace » (kusala) nous fait entrer de plain-pied, cette fois, dans la pratique réelle d’un disciple du Buddha. Dans leur formulation traditionnelle, les Cinq Préceptes constituent déjà un réel exercice spirituel :

 

« Je me voue pleinement (samādiyāmi) à l’entraînement de base (sikkhāpadaṃ) de ne plus trouver de plaisir à… (veramanī) ».

 

Par cette proclamation, le disciple s’engage à abandonner son mode de vie ordinaire, celui qui est dirigé par la seule recherche du « plaisir » ! Son attention et sa motivation ne sont déjà plus celles du saṃsāra « ordinaire » : il en a vu les dangers et a compris « les avantages du renoncement ».

A ce niveau, il ne s’agit plus non plus de « ne pas faire à autrui… » mais de se vouer à l’observation pleinement attentive de ses intentions : quelles passions sont à l’œuvre dans chacun de mes actes ? Suis-je le jouet, toujours inconscient, de l’avidité (lobha), de l’aversion (dosa/dvesa) et de l’égarement (moha), ces trois « Poisons » de l’esprit ou « racines de l’inefficace » ? Tout acte de ma vie quotidienne (gestes, paroles, pensées) peut ainsi faire l’objet d’une observation vigilante :

 

  • que l’avidité s’exprime dans le souhait de m’approprier les biens matériels qui ne me sont pas expressément destinés [2e précepte – adinn’ādānā : prendre ce qui n’a pas été donné],
  • ou dans mon appétit insatiable à satisfaire mes sens – qu’il s’agisse de sexualité, de gourmandise ou de tout autre « plaisir sensuel » – par tous les moyens possibles, y compris les plus inventifs… [3e précepte – kāmesu micchācāra : les chemins « tordus » des plaisirs des sens]
  • ou le goût que j’ai de me faire valoir par mes blagues ou ma conversation brillante [4e précepte – musavādā : les paroles inadéquates] ;
  • ou encore l’aversion qui s’exprime par la violence dont je fais preuve à l’égard des êtres vivants [1er précepte – pānātipātā : faire violence aux êtres doués de souffle vital],
  • le mensonge ou la calomnie [4e précepte – musavādā : les paroles inadéquates] ;
  • ou enfin l’égarement que j’entretiens par la consommation de substances « qui font perdre la maîtrise de soi ». [5e précepte – surā-meraya-majja pamādatthānā : consommer de l’alcool fort et des boissons enivrantes, qui mènent à la négligence]

Il s’agit bien là de « planter » les bonnes graines de l’attention et de la compréhension par l’entraînement de l’esprit.

Ce qui est « efficace » (kusala), c’est, à proprement parler, ce que fait « celui qui sait », c’est-à-dire un disciple déjà « bien instruit », qui a écouté l’enseignement du Buddha, qui l’a pris en considération, le conserve à l’esprit, le confronte aux faits, en a pénétré le sens et l’a approuvé (selon les termes du Canki-sutta). Un tel disciple ne fait plus partie de ces villageois qui se présentent comme « des gens qui ont des passions, des espoirs, des projets… », il a déjà pour motivation de « s’essayer à la pratique, d’examiner les faits et de s’efforcer énergiquement » (Canki-sutta).

Sa compréhension (paññā/prajñā), cependant, est encore très souvent « mondaine », liée à la réflexion intellectuelle : il juge, mesure, distingue. Il apprend à « connaître l’origine » (signification littérale du terme paññā0/prajñā) de ces actes, ses motivations réelles, « telles qu’elles sont ». Il s’exerce aussi à ne plus s’identifier à de tels phénomènes : « Ceci n’est pas moi, n’est pas mien, n’est pas mon ’Soi’ », car de telles pensées, de tels actes, de telles paroles ne sont que le résultat d’un ensemble de conditionnements anciens (kamma/karma), qui ne se reproduisent que par manque de vigilance et de compréhension…

La mise en pratique, pleine et entière, de ces « préceptes » n’est réellement plus une simple « discipline d’abstention » mais bien le « développement » (bhavanā) de qualités de l’esprit jusque-là négligées, une « méditation » dans l’action (avec tous les guillemets qui s’imposent…), parce qu’appliquée à chaque acte de la vie quotidienne. Elle est aussi bien plus qu’une simple préparation à la pratique intensive de l’assise, car elle est ce qui permet à cette pratique intensive d’infuser toute la vie quotidienne : les préceptes, bien compris et correctement appliqués, sont la poursuite même du développement de l’esprit au-delà de l’entraînement intensif de l’assise… ce qui manifestera, à chaque instant, l’engagement de suivre la juste Voie du Milieu – et non plus « l’errance » aveugle du saṃsāra [étymologiquement, saṃsāra vient du verbe samsarati : errer, marcher sans savoir où l’on va].

 

“Arroser” – “purifier l’esprit”

l’entraînement de la sagesse

 

Il reste au disciple du Buddha à s’efforcer sans relâche pour « purifier son esprit ». Mais, comme le fermier arrose son champ sans « avoir le pouvoir ou la puissance [de dire :] ‘Que mes cultures jaillissent aujourd’hui même, que les grains apparaissent demain, et qu’ils mûrissent le jour suivant.’ … ce disciple n’a pas le pouvoir ou la puissance [de dire :] ‘Que mon esprit soit libéré des souillures grâce au détachement, aujourd’hui, demain ou le jour suivant’. C’est seulement lorsque le temps est venu que l’esprit est libéré des souillures ».

Grâce au détachement par les entraînements, celui qui s’exerce avec constance peut enfin, un jour, « expérimenter par lui-même la réalité la plus haute, en lui-même ; par la connaissance, il la pénètre dans tous ses détails et la voit. Mais, à ce point-là, s’il y a perception / compréhension de la réalité, il n’y a pas encore réalisation effective de la réalité. (…) Cette réalisation de la réalité se produit en répétant, en développant et en pratiquant constamment ce processus. » (Cankisutta)

Cette expérience qui se produit « lorsque le temps est venu » est appelé « l’Ouverture de l’œil du Dharma [la réalité] » ou « Entrée dans le Courant » ; c’est elle qui fait du disciple ordinaire un disciple « Noble » (ariya/arya). Il dispose désormais de la connaissance « supra-mondaine », la « sagesse » (paññā/prajñā) au sens le plus haut – non plus l’exercice de la raison qui étudie les motivations « karmiques », mais la réelle connaissance des origines de tout phénomène : un ensemble de conditions toujours changeantes. Cette émergence de la connaissance « supra-mondaine » brise le lien de la « croyance en l’individualité » et lui fait dire : « Ceci n’est pas moi, ceci n’est pas mien, ceci n’est pas mon ‘Soi’ », définitivement. Il peut, dès lors, continuer de s’entraîner « en répétant, en développant et en pratiquant constamment ce processus », tel qu’il est décrit dans l’Octuple Chemin des Nobles.

Les « Cinq Préceptes » y figurent… mais présentés sous les trois noms de : action correcte, parole correcte et moyens de subsistance corrects. Cet adjectif « correct » (sammā/samyak) est le même que celui qui caractérise un Buddha « pleinement accompli » (sammā/samyaksam buddha). C’est dire à quel point on se retrouve bien loin, ici, de la discipline d’abstention, comme aussi de la simple observation de ses intentions…

Il s’agit bien plutôt, dès lors, de vivre chaque acte accompli comme l’expression même de son détachement, de sa non-identification aux gestes, aux paroles et aux pensées. A chaque instant, « celui qui s’entraîne » met en œuvre son attention et sa compréhension, sans plus laisser de place à l’illusoire « croyance en l’individualité ». Et, lorsque le temps est venu, la réalisation effective de la réalité se produit. C’est la Libération : « ce qui devait être accompli a été accompli, il n’y a plus rien à faire », selon l’expression consacrée. Tel est le « rugissement de lion » du disciple qui n’a plus besoin – enfin ! – de s’exercer, qui est désormais « celui qui ne s’entraîne plus” (asekha) » !

Dominique Trotignon

Directeur de l’IEB, Dominique Trotignon enseigne aussi

au sein de l’Association Bouddhique Theravāda “Vivekārāma”