Le don du Dhamma surpasse tous les autres dons

Comment le Bouddha enseigne…

 

Le buddha Gautama est souvent appelé Śākyamuni, le “sage des Śākya”.
Ce surnom veut dire, littéralement, le “silencieux des Śākya” (le terme muni correspond à notre mot “muet”…!). Une manière d'affirmer que sa sagesse, qui s'exprime dans un discours jusque là inouï (au sens propre), est exemplaire d'une certaine “économie” de la parole : “La parole est d'argent, mais le silence est d'or”, pourrait-on dire avec la sagesse populaire ! Il n'est pas anodin que ce surnom ait été attribué au Buddha seulement au début de l'ère chrétienne, alors que se développe et se formalise le “Grand Véhicule” (Mahāyāna). Une évolution qui n'aurait sans doute pas existée sans les écoles anciennes du Mahāsaṃghika, celles-là même qui, dès avant l'ère chrétienne, affirmaient que le Buddha enseignait à tous en prononçant un seul son (pas même un mot…), car chacun projetait sur ce son, selon ses conditionnements propres, ce qui lui était nécessaire d'entendre ; aussi le Buddha enseignait-il sans dire un seul mot !

Ces caractéristiques propres au discours du Buddha et à ses enseignements furent au centre de nombreux débats parmi les écoles indiennes du bouddhisme ancien. Toutes avaient conscience de la “vertu” très originale de sa parole – qui n'était pas liée à sa qualité “rationnelle” ou “conceptuelle” – mais à un véritable pouvoir de guérison.
Le Buddha est “L'Enseignant” par excellence car (les textes anciens le répètent à l'envi) son Enseignement conduit et mène à la Réalité mais, en revanche, il ne dit pas la (ou une) Vérité…
En reprenant les termes que le philosophe Pierre Hadot emploie à propos de la philosophie grecque antique (dans son ouvrage Qu'est-ce que la philosophie antique ?), on pourrait dire que son discours n'est pas “informatif” mais “performatif”, car il ne vise pas tant à donner à ses auditeurs des informations sur la Réalité, qu'à les transformer radicalement, en vue de leur permettre de faire, par eux-mêmes, l'expérience directe de cette Réalité… et de la Libération qui en découlera. D'où la célèbre parabole du radeau : “J'ai enseigné une doctrine semblable à un radeau : afin de traverser, mais non pas pour s'en saisir” ; un “enseignement-radeau” qui n'est donc qu'un “moyen” (upaya) dans l'usage duquel le Maître enseignant est bien le seul à avoir l'habileté (kauśalya) nécessaire !

On peut d'ailleurs voir le bouddhisme comme une critique systématique et sans appel des dangers du langage et de la conceptualisation (saṃjñā) ; car ce sont eux qui fabriquent l'Illusion qui nous masque la Réalité “telle qu'elle est” et nous entraîne dans un monde d'apparences. Les mots et les concepts font ainsi exister des “choses”… qui n'existeraient pas sans eux ! N'existe ainsi que ce que l'on nomme en relation avec une forme (nāmarūpa : “nom-et-forme”) que l'on crée (karma) – à quoi l'on attribue aussitôt substance (ātman), être et durée… alors qu'il n'y a, en réalité, qu'actes (notamment de langage…) et apparition de phénomènes transitoires, en fonction de la réunion éphémère de conditions momentanées (ou coproduction conditionnée – pratītya-samutpāda) !
Mais, si l'on se méfie à ce point des mots et du langage, comment enseigner sans danger ? Peut-on imaginer accéder au Réel “à travers le langage” (“dialogos“, en grec…) ? Il ne peut y avoir de “dia-logue” de type socratique dans le bouddhisme… Et considérer cet enseignement comme un système basé sur des notions, articulées de façon raisonnable et rationnelle, en vue d'établir le Vrai – ce qu'il faut croire ou tenir pour la Vérité – n'est qu'un jeu supplémentaire de l'Illusion. Le Buddha parle un langage qui “s'auto-détruit” dès qu'il a rempli son office : c'est un médicament, pas une théorie !

C'est à faire comprendre ces caractéristiques si particulières de l'enseignement bouddhique que s'attache le philosophe Roger-Pol Droit, dans un opuscule (paru en 2010) qui regroupe cinq essais – déjà publiés antérieurement, séparément, revus et réunis pour l'occasion -, sous le titre de “Le silence du Bouddha… et autres questions indiennes”. L'auteur y montre bien les différences entre les fondements du discours philosophique occidental (à travers Socrate, Aristote…) et le Dharma indien du Buddha – avant de montrer aussi comment le philosophe allemand Schopenhauer s'est reconnu dans cette pensée – par erreur ?