Introduction :
par Santikaro Bhikkhu
Ajahn Buddhadasa a conçu ces entretiens comme une introduction à l’étude, la pratique et la réalisation du Bouddha-Dhamma, l’enseignement du Bouddha. Il souligne que la pratique est la clef de voûte de cet enseignement. Néanmoins, sans une étude préalable, suffisante et correcte, on ne peut pas pratiquer correctement. Et sans la réalisation et la fructification des avantages d’une bonne pratique, tout cela est gaspillé.
Ce guide est traduit de la première série d’entretiens donnés par Buddhadasa Bhikkhu à des étudiants venus participer à une session d’étude mensuelle à Suan Mokkh. Il s’adresse aux amis du Dhamma venus d’Occident, y compris ceux qui sont nouveaux dans la connaissance et la pratique du Dhamma. Nous espérons que cette mise en perspective, qui vous est donnée ici, permettra aux personnes nouvelles dans l’étude du bouddhisme de prendre un bon départ dans leur pratique. Quant à ceux qui ont déjà étudié le bouddhisme pendant un certain temps, et, quelle que soit l’école ou la méthode suivie, ils devraient trouver quelques utilités à cet opuscule. Nous ne serons jamais trop clair sur ce que sont le Dhamma et la pratique du Dhamma. Beaucoup se sont perdus par faute d’une explication claire et d’un bon guide.
Ajahn Buddhadasa a été un promoteur de la « bonne compréhension mutuelle entre les religions ». Cette traduction devrait contribuer à cet effort de clarification sur ce qu’est exactement le bouddhisme. Beaucoup de voyageurs non-bouddhistes qui viennent en Asie sont troublés et en pleine confusion quand il s’agit de faire la distinction entre ce qui relève des cultures locales et ce qui relève du véritable enseignement du Dhamma. Nous espérons que les non-bouddhistes qui vont lire ceci, vont comprendre la vraie nature de notre religion. Ainsi, les « dialogues » interreligieux seront honnêtes et dignes. Cela ne fait du bien à personne de comparer (ou critiquer) le meilleur d’une voie spirituelle avec les errements d’une autre voie. Nous devons offrir aux autres ce qu’il y a de meilleur dans chacune de nos voies spirituelles et ainsi, être à même de se comprendre et de s’apprécier, les uns et les autres. De cette manière, toutes les religions pourront travailler ensemble pour combattre notre ennemi commun : l’égoïsme.
Nous espérons que ce fascicule puisse vous aider à démarrer votre pratique du Dhamma, d’un bon pied. La confusion quant à la réalité de la pratique, le risque de méditer pour de mauvaises raisons, l’incapacité à intégrer la méditation dans notre vie quotidienne, et les incertitudes quant à la manière de pratiquer, tout ceci peut entraîner des dégâts dans notre pratique spirituelle, aussi bien celle de « débutants » que dans celle de « méditants chevronnés ».
Le Bouddha a mis l’accent sur la nécessité d’une « compréhension juste » (samma-ditthi) qui ne soit ni un dogme particulier, ni l’acceptation d’une quelconque doctrine. C’est plutôt une aptitude à une investigation alerte et joyeuse de ce que nous nommons « la vie » et qui est caractérisée par les quatre nobles vérités. Ces vérités ne signifient pas : croire ou accepter par principe ; elles doivent être analysées et comprises jusqu’à en extraire tout ce qui vaut la peine d’être su.
Puissions-nous trouver dans ce cheminement sur la voie de la connaissance intérieure ce qui pourra nous libérer du doute concernant ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, sans avoir à défendre ou faire le prosélytisme de cette connaissance.
Puissent tous les êtres, être libres.
Santikaro Bhikkhu
Suan Mokkhabalarama
November 1991.
I.
Traitement Scientifique des Maux Spirituels
Bhuddhadasa Bhikkhu
(entretien donné le 03 février 1986)
Traduit du thaï vers l’anglais par Santikaro Bhikkhu, traduction en français par Hervé Panchaud
Pour commencer, je voudrais exprimer ma joie de vous voir venir ici, au monastère de Suan Mokkh, pour étudier le Dhamma (la Vérité de la Nature). Ensuite, je voudrais remercier chacun de vous qui permettez de faire de Suan Mokkh, un lieu estimable et utile pour tous.
Aujourd’hui, je voudrais m’entretenir avec vous à propos de la question suivante : Quel bénéfice pouvons-nous retirer de l’étude du Dhamma ? Si vous pouvez retirer un bénéfice de cette étude du bouddhisme, alors, de fait, vous deviendrez bouddhiste sans qu’il y ait besoin d’une quelconque cérémonie de conversion. Se convertir ou ne pas se convertir, cela n’a aucune signification, ni aucune espèce d’importance. La seule question qui se pose, la seule qui importe, c’est de savoir si vous pouvez retirer quelque chose d’utile du bouddhisme.
Aussi, nous allons parler de ce que vous pourriez retirer du bouddhisme. C’est seulement après avoir compris ce que le bouddhisme peut vous apporter que vous comprendrez ce qu’est le bouddhisme. Tant que vous n’aurez pas compris ce que vous avez reçu, vous ne pourrez pas vraiment dire que vous connaissez le bouddhisme. Discutons alors de ce que vous pourrez obtenir du bouddhisme. Ainsi, vous comprendrez le bouddhisme et, par là même, vous deviendrez bouddhistes automatiquement.
Je voudrais dire que vous en retirerez le meilleur parti, le bien le plus précieux qu’un être humain puisse obtenir. Il n’y a rien de plus précieux à obtenir que ceci ; cela surpasse tout. Nous pourrions appeler cela, tout simplement : « La Nouvelle Vie ». Le mieux que nous ayons à faire ici est de parler des caractéristiques de cette « nouvelle vie ».
Maintenant, afin de bien comprendre ce qui va être dit, je vais vous demander de tout oublier. S’il vous plaît, oubliez les convictions, la foi et les croyances que vous pourriez avoir. Mettez tout cela de coté, pour le moment. Même si vous préférez vous appuyer sur des principes scientifiques plutôt que de vous appuyer sur ce que l’on nomme « religion », laissez cela aussi pour l’instant. Videz votre esprit, rendez-le libre, immaculé, de sorte que vous puissiez entendre des choses nouvelles.
En fait, le bouddhisme partage beaucoup de caractéristiques et de principes avec la science, mais le bouddhisme est une science du cœur et de l’esprit plutôt qu’une science des objets matériels (1).
Le bouddhisme est une science spirituelle. Pour cette raison, il est possible que ce soit quelque chose de tout à fait nouveau pour vous.
Le Dhamma comme remède
La première chose que je voudrais que vous compreniez, c’est que le bouddhisme ou Dhamma est un remède pour les maux spirituels. C’est un remède étrange et très spécial, parce qu’il peut être pris par quiconque, sans considération de religion, nationalité, culture ethnique, éducation, statut social ou langue maternelle. N’importe qui peut utiliser ce remède, parce que le Dhamma est comme ces médicaments modernes qui traitent les maladies physiologiques. De tels remèdes peuvent être pris par des personnes partout dans le monde, peu importe la religion, la race, le sexe, la profession ou la langue. Bien que nous venions de cultures différentes, nous pouvons utiliser le même genre de remède. Tout comme l’aspirine, par exemple : n’importe qui, où qu’il se trouve peut prendre de l’aspirine pour se débarrasser d’un mal de tête. Il en va de même avec le Dhamma. C’est un remède universel.
Nous aimons dire que le Dhamma est un remède à nos maux ou « roga ». J’aimerais que nous utilisions ce mot pali « roga », parce que sa signification est claire et précise. Bien que ce mot pali soit traduit par le terme « maladie », roga signifie littéralement « ce qui transperce et qui poignarde » et donc cause de la douleur. Nous ne savons pas exactement d’où vient le mot français « maladie », aussi préférons-nous garder ce terme « roga ». Sa signification est précise : ce qui poignarde, transperce. Le Dhamma est quelque chose qui peut soigner ces blessures, ces coups de poignard.
Le « roga » qui nous intéresse plus particulièrement, maintenant, est spirituel. Nous pouvons appeler cela : « les maux spirituels ». Les maux physiques poignardent le corps, les maux spirituels poignardent le cœur-esprit.
Le Dhamma est le remède à ce dernier type de maux. Si nous n’avons pas de maux spirituels, venir étudier le Dhamma est une totale perte de temps. Par conséquent, chacun doit regarder attentivement en soi, afin de connaître ces deux formes de roga : les maux physiques (roga du corps) et les maux spirituels (roga du cœur, de l’esprit ou du cœur-esprit). Alors, regardez en vous-mêmes, ici, maintenant ! Y-a-t-il un mal spirituel en vous ? Etes-vous libres de cette maladie ou êtes-vous en train d’endurer de tels maux ?
Nous commençons notre étude du Dhamma en apprenant à connaître notre propre roga. Vous devez observer et chercher en vous-mêmes jusqu’à voir et découvrir comment les maux spirituels vous affligent. Pour cela, vous devez regarder en vous-mêmes ! Si vous ne le faites pas, vous ne débuterez pas correctement votre étude du Dhamma.
Sans comprendre la forme de roga qui nous fait souffrir, nous ne pourrons étudier le Dhamma que d’une manière superficielle et sans aucun bénéfice. En fait, la plupart d’entre vous ont quelques connaissances sur ces maux spirituels, mais pour beaucoup d’entre vous, il ne s’agit que de vagues impressions, sans lien entre elles.
Parlons un peu plus de ces maux afin de mieux voir en quoi ils consistent. Tous les problèmes qui agitent l’esprit sont des problèmes qui proviennent du vieillissement, de la maladie et de la mort. Ce sont les premiers symptômes de nos maux. Notre esprit est troublé et agressé par les problèmes qui résultent du fait que nous devons vieillir, tomber malade et mourir. Ces problèmes sont les premiers que nous devons prendre en compte. Ensuite, il y a trois autres problèmes d’ordre plus général : être séparés de ce que nous aimons, être confrontés à ce que nous détestons et avoir des souhaits, des désirs, qui ne peuvent être réalisés.
Ce sont ces problèmes d’ordre général qui nous conduisent aux maux spirituels.
Avant toute chose, chacun de vous doit connaître ces problèmes (ou roga) que vous éprouvez réellement à l’intérieur de vous.
Regarder au-dedans.
C’est pourquoi, par principe, le Dhamma doit être étudié et appris en soi, de l’intérieur plutôt que de l’extérieur. Nous devons apprendre à partir de la vie elle-même.
Apprenez de toutes ces choses que vous éprouvez dans « ce corps d’une toise de long », comme disait le Bouddha. S’il vous plaît, veillez à apprendre du dedans seulement, et ne prenez pas la peine d’aller chercher à l’extérieur. Ce que nous pouvons apprendre à partir de sources extérieures, telles que les livres et les entretiens, ne suffit jamais. Cette étude de l’extérieur nous apprend seulement comment aborder l’étude de l’intérieur. Ensuite, vous devez poursuivre et pratiquer cette étude intérieure, afin de comprendre le Dhamma.
Je vous demande à tous de débuter votre étude en observant les problèmes que vous ressentez en vous-mêmes. Veuillez jeter un regard aux problèmes qui résultent du vieillissement, de la maladie et de la mort. Nous craignons le vieillissement, la maladie et la mort, et toutes sortes de problèmes qui, à différents niveaux, en découlent. Nous devons observer attentivement ces choses de la même manière qu’un géologue examine une roche, comme lorsque l’on prend quelque chose dans le creux de la main, qu’on l’expose à la lumière pour pouvoir l’examiner sous tous les angles, méticuleusement. De la même manière, nous devons voir clairement les problèmes qui résultent de notre propre vieillissement, de la maladie et de la mort. En outre, il faut voir les problèmes annexes, tels que le fait d’être séparés de ce que nous aimons, d’être confrontés à ce que nous n’aimons pas, ou d’avoir des désirs qui ne pourront pas être satisfaits.
Le résultat de tous les problèmes cités plus haut est dukkha (la souffrance), à la fois physique et mentale. Les symptômes et les conditions de dukkha sont nombreux et variés. Dukkha a de nombreux aspects : chagrin, tristesse, mécontentement, peine, lamentations, larmes, frustration, douleur, malheur, agonie, et d’autres encore. Il y a des expressions en pali pour tous ces sentiments, mais la manière dont nous les nommons n’a pas d’importance. Nous n’avons pas besoin de savoir tous leurs noms, mais nous devons savoir à quoi ressemblent ces choses quand nous les ressentons. Pour commencer, vous devez les connaître de l’intérieur par vous-mêmes. Ces choses sont roga, les symptômes de roga et les résultas de roga, cette maladie que nous avons contractée. Le Dhamma est le remède à roga, aux maux spirituels ; ainsi, ce dont nous parlons maintenant concerne l’esprit et les pensées. Le Bouddha était parvenu à connaître ces maux, à trouver un remède pour les soigner, et à se servir de ce remède pour se libérer lui-même de ses maux. Après l’avoir fait, le Bouddha fut en capacité de nous donner les enseignements sur roga, sur la manière de soigner et la manière d’administrer le traitement. C’est ainsi que je vous demande de considérer le Bouddha. Si vous êtes affligés par ces maux spirituels, vous devez vous intéresser à ce qu’il a enseigné du Dhamma (Ici, le Dhamma est à la fois la Vérité Naturelle et la connaissance de la Vérité Naturelle qui nous permet de mettre fin à nos maux, c’est-à-dire à dukkha).
Cependant, s’il y en a parmi vous qui sont complètement libres de ces maux spirituels, ils perdent leur temps à venir étudier le Dhamma et ils peuvent retourner chez eux. Je répète : s’il y en a ici qui n’éprouvent aucun mal spirituel, ils sont invités à partir !
Développer le remède.
Maintenant, nous devons parler de l’étude du Dhamma, qui est le remède qui soigne les maux spirituels. Il y a différents stades et niveaux dans leDhamma. Nous devons commencer par l’étudier, comme nous devons le faire avec n’importe quel sujet (2). Sans doute qu’au départ, nous n’avons aucune vraie compréhension de ce qu’est le Dhamma. Bien que nous ayons lu beaucoup d’ouvrages et entendu de nombreux entretiens sur le Dhamma, nous ne connaissons pas vraiment le Dhamma. Nous devons étudier afin de savoir, ensuite nous avons la connaissance. Une fois que nous avons un peu de connaissance, celle-ci doit être utilisée. En résumé, pour qu’elle nous soit utile, nous devons apprendre à connaître le Dhamma jusqu’à ce que nous « ayons » le Dhamma et ensuite nous servir du Dhamma.
Passons en revue ces trois stades. Quoique ayant lu de nombreux livres et beaucoup étudié au sujet du Dhamma, bien que nous puissions avoir beaucoup de connaissances théoriques concernant le Dhamma, nous n’avons peut-être pas une connaissance juste de celui-ci. Ce qui veut dire que nous n’avons pas réellement le Dhamma. Si nous n’avons pas une connaissance correcte, nous ne pourrons pas nous en servir. Ainsi, nous devons étudier jusqu’à posséder une quantité suffisante de connaissances correctes, afin que celles-ci puissent nous être utiles. Veuillez retenir cela. Nous devons avoir une compréhension correcte et suffisante du Dhamma. Mais avoir cette connaissance correcte ne suffit pas, nous en devons avoir une quantité suffisante et elle doit être vive. Si elle n’est pas assez vive, elle ne sera jamais présente au bon endroit et au bon moment, lorsque nous en aurons besoin. Nous devons être vifs, vigilants et experts dans notre utilisation du Dhamma.
Avoir simplement cette connaissance à l’esprit ne pourra en rien soigner les maux spirituels. Nous devons devenir spécialistes dans son utilisation ; nous devons être très habiles pour la manier de façon correcte. Nous devons être vifs, vigilants et experts de manière à bien comprendre les maux spirituels déjà présents, aussi bien que les nouveaux maux qui peuvent survenir. Si nous avons cette compréhension, c’est un bon début pour devenir capables d’utiliser le Dhamma pour soigner nos maux. Etudiez donc les maux qui sont en vous. C’est la forme de connaissance que vous devez développer.
Un unique enseignement
Vous devez savoir que le Bouddha n’enseigna qu’une seule et unique chose : dukkha (la souffrance, l’insatisfaction) et l’extinction de dukkha. Le bouddha n’a enseigné que la maladie et le traitement de la maladie ; il n’a pas parlé d’autre chose. Quand les gens l’interrogeaient sur d’autres sujets, le Bouddha refusait de perdre son temps et faire perdre le leur à ceux qui l’écoutaient, en répondant à de telles questions. De nos jours, nous passons beaucoup de temps à étudier toutes sortes de sujets. C’est une pitié de voir comment notre curiosité est mise en alerte par des sujets tels que : est-ce qu’après ma mort, je naîtrai de nouveau ?… où vais-je renaître ?… comment cela va-t-il se passer ?… S’il vous plaît, ne perdez pas de temps avec de telles rêveries. Au lieu de lire tous ces livres, utilisez le temps dont vous disposez pour vous concentrer sur dukkha et la complète cessation, l’ultime extinction de dukkha. Voilà la connaissance que vous devez engranger, c’est l’étude que vous devez mener. Ne prenez pas la peine d’étudier autre chose !
Le Bouddha a seulement enseigné dukkha et la cessation totale de dukkha. Il nous a enseigné qu’il fallait étudier ces deux choses à l’intérieur même de notre corps. Vous ne pouvez le faire que lorsque votre corps est vivant. Une fois que votre corps sera mort, de tels problèmes ne vous concerneront plus. Mais maintenant, tant qu’il y a encore de la vie, étudiez en vous, avec constance et patience, dukkha (les maux spirituels) et l’extinction de dukkha (le traitement des maux spirituels).
De par le monde, on prête peu d’attention à cette étude de dukkha et à son élimination. Aucune école de par le monde ne prête attention à cela. Dans les universités, on n’enseigne pas, on n’étudie pas cela. La seule chose enseignée dans les écoles et les universités, c’est l’habileté, la capacité à stocker une grande quantité d’informations et la manière d’exploiter ces informations. Les étudiants reçoivent un diplôme pour cette habileté, plus quelques pistes pour se faire une place dans la vie. Voilà ce qu’est l’éducation moderne : être intelligent et être capable de gagner beaucoup d’argent. Dukkha et la cessation de Dukkha sont totalement ignorés. Nous, nous pensons que toute l’éducation de notre monde moderne est incomplète. Elle est imparfaite parce que les sujets les plus importants sont oubliés ; une instruction générale et savoir gagner sa vie, cela n’est pas suffisant. Il y a un troisième domaine de connaissance que les écoles n’enseignent pas : comment être un être humain. Pourquoi font-elles l’impasse sur l’enseignement de la nature d’un être humain, c’est-à-dire, un être humain exempt de dukkha ? Puisque la nature de l’être humain est de vivre sans ces maux spirituels, l’éducation sera incomplète, tant qu’elle ne traitera pas ces maux.
Que sont les êtres humains ?
Il est bien et juste que chacun de vous soit venu ici pour faire l’apprentissage de cette troisième forme d’éducation : comment être un être humain sans problèmes, comment être libéré de dukkha. C’est bien que vous soyez venus et que vous soyez intéressés par ce sujet. En résumé, utilisez cette opportunité d’apprendre ce qu’il faut pour être pleinement un être humain.
Si quelqu’un vous dit que vous n’êtes pas encore tout à fait humain, s’il vous plaît, ne vous en offusquez pas, n’en soyez pas peinés. D’abord, vous devez regarder et voir ce que signifie être un être humain. Commençons par étudier le terme « manusaya », le mot pali pour « être humain ». C’est un mot qui a une signification très intéressante. « Manusaya » veut dire « celui qui a un esprit élevé », un esprit suffisamment élevé pour pouvoir se placer au-dessus de tous les problèmes. Les problèmes sont comme le flot d’une inondation, mais ils ne peuvent atteindre l’esprit qui est élevé. Quand l’esprit est élevé à un niveau supérieur, alors nous pouvons dire qu’on est un manusaya. Moi qui vous parle, je ne suis pas sûr de la provenance de l’expression « être humain » mais je pense que cela doit vouloir dire aussi : « esprit élevé ». Le « main » de humain pourrait venir de mana (l’esprit) et « hu » pourrait dire « haut » . Ainsi, « humain » pourrait vouloir dire « esprit élevé » (« high minded » que je traduis par « esprit élevé » peut aussi dire, en anglais, « âme noble »).
Le Dhamma est la connaissance qui nous enseigne exactement ce que veut dire être humain. Nous devons nous intéresser à ce qui fait qu’un être est pleinement humain, plutôt que de se contenter de parader dans ce corps humain. Etre vraiment humain signifie être au-dessus de tous les problèmes. Etudiez et apprenez afin de devenir un être totalement humain. Il faut étudier, pratiquer et travailler à développer un esprit, un cœur/esprit qui soit au-dessus de tous les problèmes. Par problèmes, nous voulons dire dukkha, cette chose qui nous est intolérable, insupportable, lorsqu’elle apparaît. Quand dukkha se présente, nous ne pouvons pas le supporter et nous luttons pour le maintenir éloigné de nous. Cela cause de l’agitation, du malaise, de l’insatisfaction et nous rend malade. Dukkha, notre problème, signifie « l’insupportable, l’intolérable ». Nous ne pouvons pas y faire face, ni l’accepter.
Encore une fois, et au risque de me répéter, si vous n’avez pas ce genre de problèmes, vous pouvez rentrer chez vous. Vous ne devez pas perdre votre temps à étudier le Dhamma. Mais, s’il vous arrive de rencontrer quelques problèmes, même un tout petit — un ou plusieurs — alors, prenez le temps de les observer. Restez ici et apprenez comment procéder pour regarder les problèmes.
J’ose dire que chacun de vous a un problème et je peux même m’avancer pour dire que vous avez tous le même problème. Ce problème qui nous tracasse tous, c’est ce que nous avons déjà discuté plus haut. C’est le problème qui provient du vieillissement, de la maladie et de la mort. En résumé, nous ne pouvons pas obtenir les choses que nous désirons ; nous ne pouvons pas garder ce corps sans qu’il ne change et dépérisse ; la vie n’est jamais exactement telle que nous voudrions qu’elle soit ; les choses ne vont pas toujours comme nous voulons. Voilà le problème qui est partagé par tous et par chacun.
Une approche scientifique
Nous sommes tous dans une situation où nous devons employer une méthode scientifique pour résoudre notre problème. Nous devons utiliser une méthode spécifiquement scientifique parce que les méthodes philosophiques et logiques ne peuvent résoudre le problème. (Ajahn Buddhadasa fait une distinction claire entre philosophie et science, suivant la signification qu’il donne à ces deux termes. La première est une spéculation exempte d’application pratique, tandis que la seconde peut-être directement expérimentée et personnellement vérifiée par la pratique).
Il y a une myriade de philosophies concernant tout ce que l’on peut imaginer, mais aucune de celles-ci ne peut résoudre notre problème. Les philosophies sont très populaires auprès des gens, dans notre monde actuel ; ils s’en amusent et sont intéressés par elles, mais aucune d’elles ne fonctionne. C’est pourquoi nous devons nous tourner vers une méthode scientifique qui peut et qui saura résoudre le problème.
Maintenant, il est temps de rappeler quelque chose que vous avez probablement déjà entendu : les quatre nobles vérités (ariya-sacca). S’il vous plaît, réfléchissez bien à cet enseignement des plus profonds. Les quatre nobles vérités sont, dans le bouddhisme, le principe scientifique de l’esprit. Les quatre vérités nous permettent d’étudier le problème spécifique exactement tel qu’il est, sans faire référence à aucune hypothèse. La plupart d’entre vous est familiarisé avec les méthodes scientifiques standards où une hypothèse est avancée, puis testée par l’expérimentation. De telles hypothèses sont simplement des formes d’estimation et d’évaluation approximatives. Avec l’ariya-sacca, une approche aussi hésitante n’est pas nécessaire. La réalité est expérimentée et examinée directement, plutôt que dans le cadre limité de l’hypothèse, des prévisions, des suppositions.
Quelles sont alors les quatre nobles vérités que vous devez examiner ? Elles sont : 1) dukkha, 2) la cause de dukkha, 3) la cessation de dukkha, par l’extinction de sa cause, 4) le chemin qui mène à la cessation de dukkha en mettant fin à sa cause.
Ceci est ariya-sacca. Ces vérités, ainsi exposées, ont l’aspect de la science, le raisonnement de la science et la méthodologie de la science. En bref, nous devons appliquer ces vérités à des phénomènes réels pendant qu’ils se produisent réellement dans la vie, sans avoir recours à aucune hypothèse.
La simple lecture des livres ne vous permettra pas de mettre en application cette science. Les livres conduisent à toujours plus d’idées, d’hypothèses et de débats. Même dans un livre concernant le bouddhisme, les quatre nobles vérités ne deviennent rien de plus que de simples hypothèses. Ceci n’est pas une science, mais seulement de la philosophie qui nous invite à jouer avec des hypothèses. Et ainsi, nous nous retrouvons à tourner en rond dans une spirale sans fin de suppositions, de propositions et d’argumentaires. Il n’y a aucun Dhamma véritable dans tout cela, il n’y a là aucune extinction véritable de dukkha.
La réalité telle qu’elle est
Si nous voulons être vraiment scientifiques, pratiquons à partir de la réalité et oublions les hypothèses. Etudiez la chose réelle elle-même : étudiez dukkha tel que vous l’expérimentez. Regardez la cause de dukkha en éprouvant cette cause. Observez aussi à travers une expérience personnelle directe l’autre face de la pièce qu’est la cessation de dukkha. Et enfin, découvrez ce que vous devez faire pour mettre fin à dukkha. Cette manière de procéder est scientifique. Tant que vous ne procédez pas ainsi, vous ne faites que de la philosophie. Vous n’avez qu’une vision philosophique du bouddhisme. Ne restez pas collés aux théories. Regardez en vous, étudiez à l’intérieur de vous-mêmes, voyez ces vérités comme elles arrivent. Se contenter de jongler avec des idées et des concepts concernant le bouddhisme ne vous fera pas trouver la « chose réelle ».
Si vous étudiez le bouddhisme à partir des livres uniquement, peu importe vos sources et comment vous étudiez, à la fin, vous aurez toujours le sentiment que le bouddhisme est une philososophie. Cela vient du fait que les auteurs de la plupart des ouvrages traitant du bouddhisme en ont une approche philosophique. Ils sont persuadés, en fait, que le bouddhisme est une philosophie, ce qui est totalement faux.
Oubliez la philosophie
Cette idée que le bouddhisme est une philosophie, mettez-la de coté, enfermez-la dans un tiroir, de manière à pratiquer l’étude directement dans l’esprit, pour voir comment arrivent dukkha, la cause de dukkha, la fin de dukkha et le chemin qui mène à la fin de dukkha. Etudiez jusqu’à ce que vous ressentiez la fin de quelque dukkha, de certaines sensations de souffrance ou d’insatisfaction. Dès que vous aurez fait cette expérience, vous saurez que le bouddhisme n’est pas une philosophie.
Vous saurez immédiatement que le bouddhisme est une science. Il a la structure, les principes et l’esprit de la science, et non d’une philosophie. En même temps, vous verrez que le bouddhisme est aussi une religion ; une religion ayant ses propres caractéristiques, c’est-à-dire une religion qui est totalement compatible avec la science moderne. Tout ce qui est vraiment compris par la science est acceptable pour le bouddhisme, la religion qui est une science de l’esprit et du cœur. Veuillez comprendre le bouddhisme de cette manière.
Vous faites peut-être partie de ces nombreuses personnes qui pensent qu’une religion doit forcément avoir un dieu et que sans dieu, ce n’est pas une religion. La plupart des gens croient qu’une religion doit posséder un dieu pour le moins, voire plusieurs. Une telle compréhension n’est pas correcte. Il est plus sage de considérer qu’il y a deux formes de religions : théiste et non-théiste. Une religion théiste part du postulat qu’il existe un dieu, un Etre Suprême et que croire en ce dieu est primordial. Considérez le bouddhisme comme une religion non-théiste car il n’impose aucune croyance en une entité qui serait Dieu. Le bouddhisme, cependant, a un dieu, mais un dieu qui est impersonnel : c’est la Vérité (sacca) de la Nature. Cette vérité, c’est la notion la plus élevée dans le bouddhisme, c’est l’équivalent de Dieu (ou des dieux) dans les religions théistes.
Vous devez étudier l’étymologie du mot « religion » ; il ne veut pas dire « croire en un dieu ». Si vous cherchez ce mot dans un bon dictionnaire, vous verrez qu’il vient du latin « religare » qui signifie « observer et entrer en relation avec l’Etre Suprême ». Les anciens grammairiens pensaient que « religare » venait de la racine « lig » : observer. Ainsi, la religion était «un système d’observance qui menait au but ultime de l’humanité ». Plus tard, d’autres érudits ont considéré que ce mot venait de la racine « leg » : lier. Alors, la religion est devenue « la chose qui relie l’être humain à la Chose Suprême (Dieu) ». Finalement, les deux interprétations se sont combinées et le mot « religion » fut compris comme étant « un système d’observance (de pratique) qui relie les êtres humains à la Chose Suprême ». Cette Chose Suprême ne doit pas forcément être appelée « Dieu ». Si malgré tout, vous insistez pour l’appeler « dieu », alors reconnaissez que ce mot doit avoir deux sens : un dieu en tant qu’entité personnelle et un dieu impersonnel.
Le dieu bouddhiste
Si vous continuez à préférer parler de « Dieu », vous devez comprendre que le bouddhisme a la loi de la nature pour dieu. La Loi de la Nature – par exemple, la loi de « idappaccayata », qui est la loi de la causalité et de la conditionnalité – est le dieu bouddhiste.
Idappaccayata veut dire :
Quand cette condition est, ceci est ; parce que ceci apparaît, ceci apparaît. Sans ceci comme condition, ceci n’est pas; parce que ceci cesse, ceci cesse, (certains traducteurs rédigent ces lignes en utilisant « ceci »… « cela » – si ceci est, cela est – , mais le texte pali original répète « ceci… ceci… ». Nous laissons le lecteur réfléchir à cela).
Cette Loi de la Nature est la « chose suprême », le dieu du bouddhisme. Dans le bouddhisme, il n’y a pas un dieu en tant qu’entité personnelle ; le dieu du bouddhisme – la loi de la nature – est un dieu impersonnel. Et donc, parce que le bouddhisme possède un dieu, nous pouvons considérer que c’est une religion.
Beaucoup d’écrivains et d’érudits occidentaux du bouddhisme prétendent que ce n’est pas une religion, du fait de l’absence d’un dieu. Ils font une terrible erreur, parce qu’ils ne comprennent pas la notion de dieu impersonnel. S’ils comprenaient cela, ils verraient que c’est bien plus concret et plus véridique que n’importe quel dieu personnel. Ils n’écriraient pas que le bouddhisme est une philosophie et non, une religion. Ils pourraient dire que le bouddhisme est une autre forme de religion, une religion croyant en un dieu impersonnel.
La plupart des religions croient en un « Créateur », généralement un dieu singulier doté d’une personnalité. Dans le bouddhisme, ce créateur est impersonnel : c’est la loi du Dhamma ( ou loi de la nature), c’est la loi d’idappaccayata : « Parce que ceci est, ceci est aussi. »
C’est la loi de la causalité, le processus d’évolution naturel de ceci qui cause ceci qui, à son tour, cause ceci…et ainsi de suite, dans une co-production sans fin. Le bouddhisme a un créateur, mais celui-ci est impersonnel. Si vous êtes capables de comprendre la différence entre ces deux formes de dieux – l’impersonnelle loi de la causalité et le dieu personnifié de nombreuses religions – il sera beaucoup plus facile pour vous de comprendre ce qu’est le bouddhisme.
Quand les choses se produisent de cette façon, vous pouvez vous rendre compte que dukkha et la cessation de dukkha arrivent selon la loi de ce dieu impersonnel qu’est le Dhamma. Alors, vous comprenez le Dhamma correctement et vivez en harmonie avec le Dhamma. Vous le voyez comme une science et non comme une simple philosophie. Cette distinction entre science et philosophie vous assurera une étude du bouddhisme correcte et dans la ligne du Dhamma.
Si vous avez cette connaissance et que vous vous en servez, vous avez le remède pour soigner les maux spirituels. En prenant ce remède, le cœur est émancipé, il est sauvé, c’est-à-dire, libéré de dukkha. Chaque religion enseigne l’émancipation, mais seul le bouddhisme enseigne la libération de tous les problèmes (la souffrance et l’insatisfaction) que nous avons évoqués plus tôt. Ainsi, il n’y a pas de problèmes ou dukkha pour nous dominer ; c’est ceci qui est appelé « émancipation ». Nous sommes guéris de tous les maux dont nous avons parlé plus haut.
J’espère que vous comprenez ces principes généraux, la signification et le véritable objectif du bouddhisme. Si c’est le cas, vous règlerez progressivement vos problèmes, parce que votre compréhension sera correcte depuis le commencement.
Si vous comprenez ce qui vient d’être dit, vous avancerez sans à-coups dans l’étude et le traitement des maux spirituels.
Comme le temps tourne, vous devrez attendre le prochain entretien pour avoir davantage de détails. Avant de conclure, je voudrais vous exprimer ma joie de votre juste choix de venir, ici, travailler sur ce problème des maux spirituels.
Et, encore une fois, merci à tous de votre aide pour faire de Suan Mokkh, un lieu utile pour tous.
II.
L’Utilisation du Dhamma, Votre Pratique du Dhamma
Buddhadasa Bhikkhu, (entretien donné le 06 février 1986)
Traduit du thaï vers l’anglais par Santikaro Bhikkhu, traduction en français par Hervé Panchaud
J’aimerais vous exprimer ma joie d’avoir l’opportunité de parler à nouveau avec vous. La dernière fois, nous avons discuté de ce que nous pouvions obtenir du Dhamma, du bouddhisme. Cette fois-ci, nous allons discuter de la bonne utilisation du Dhamma, c’est-à-dire de comment vivre avec le Dhamma.
Quand nous parlons du Dhamma, nous voulons dire la connaissance que nous devons mettre en pratique afin de pouvoir soigner les maux spirituels. Concernant cette pratique, il y a quatre choses importantes (dhammas) qui doivent être comprises [la signification initiale du mot « dhamma » est : « chose » mais ici, dhamma signifie « qualité » ou « vertu ». Vous allez voir cependant, que ce mot peut avoir de très nombreux sens, niveaux et ramifications.]
Ces quatre choses (dhammas) sont : sati (la pleine conscience, l’attention), sampajañña (la sagesse-en-action, la compréhension « en éveil »), samadhi (la concentration), et pañña (la sagesse intuitive, la vision intérieure). Si vous observez soigneusement, vous constaterez que ces quatre dhammas, vous les avez déjà fait apparaître par la pratique d’anapanasati (la pleine conscience de la respiration). Maintenant, nous allons passer en revue ces quatre dhammas un par un et voir comment nous pouvons nous en servir, les mettre en action.
Sati :
Sati (la pleine conscience, l’attention, la réminiscence) : c’est la conscience vive, la réminiscence des choses qui ont été gardées en mémoire. Sati doit être vive comme une flèche. Nous pouvons aussi décrire sati comme un véhicule ou un moyen de transport de la plus rapide des espèces. Ce moyen de transport express, ne véhicule pas des objets matériels, il transporte la sagesse et la connaissance. Sati apporte la sagesse (pañña) au moment où nous en avons besoin. Grâce à la pratique de la pleine conscience de la respiration, sati est entraînée et développée.
Sampajañña :
Le second dhamma est sampajañña. Sampajañña est la sagesse car elle rencontre et analyse immédiatement un problème quand celui-ci survient, afin de pouvoir agir et traiter ce problème – c’est la sagesse-en-action. Sampajañña est cette forme de sagesse bien spécifique qui s’applique à une situation ou un évènement précis. Néanmoins, vous avez sûrement dû trouver toute une série de traductions pour ce terme « sampajañña», ce qui peut être source de confusion. Nous vous conseillons de ne retenir que cette définition : « la sagesse en action ». Ou, mieux encore, apprenez le mot en pali, ainsi il n’y aura pas de doute. Le terme « sagesse » peut avoir de très nombreuses significations et être compris très différemment. Par contre, le mot « sampajañña » a une signification bien limitée. Cela concerne la sagesse qui est immédiatement nécessaire pour faire face à un problème qui se pose à nous. Cette sagesse active n’est pas une sagesse générale, elle s’applique à des situations bien particulières.
C’est la même chose qu’avec le terme « dhamma » qui a une incroyable multiplicité de significations en fonction de la manière dont il est utilisé. Quand ce mot est utilisé pour résoudre un problème spécifique, un évènement ou une situation particulière, il y a un dhamma spécifique pour cette situation spécifique. La signification du terme est circonscrite à l’occasion et aux circonstances. Dans le cas d’un dhamma employé pour éclaircir un problème, l’expression la plus précise et la plus adaptée est « Dhamma-sacca » ( Dhamma-Vérité). Dhamma-sacca est le dhamma particulier qui s’impose pour une situation immédiate à laquelle nous devons faire face, que ce soit au début de la « maladie » spirituelle ou lors de l’exposition aux germes d’un mal spirituel. C’est l’utilisation appropriée d’un dhamma spécifique à un évènement ou incident précis.
Nous pouvons comparer le Dhamma à l’armoire à pharmacie de notre maison. Dans celle-ci, nous stockons une grande variété de médicaments, de pilules, de pommades, de poudres et de sirops, pour tous les usages. Quand nous sommes malades, nous devons choisir parmi tous ces médicaments celui qui correspondra à la maladie que nous avons et qui saura traiter ce mal. Nous ne pouvons pas prendre tous les médicaments ; nous devons prendre seulement celui qui est nécessaire pour soigner notre mal, ici et maintenant. La même chose est vraie pour le Dhamma. Veuillez comprendre qu’il existe une variété incroyable de ce que nous appelons Dhamma et pañña, et que nous n’en utilisons qu’une infime portion à chaque fois. Nous n’utilisons que la portion voulue pour prendre en charge une situation immédiate et précise. Sachez utiliser Dhamma et pañña en fonction de votre situation et de votre problème. Le dhamma ou la sagesse qui permet de maîtriser la situation et résoudre le problème, c’est ce que nous appelons « sampajañña ».
Samadhi
Le troisième dhamma que nous allons aborder aujourd’hui est samadhi. Ce mot signifie littéralement : « l’esprit bien établi, l’esprit correctement maintenu, l’esprit bien stable ». Le Bouddha a donné la signification la plus large possible de samadhi quand il l’a défini comme : « l’esprit focalisé sur un point unique (ekaggata-citta) qui a le nibbana pour objet ». (« Ekaggata-citta » ne doit pas être confondu avec « ekaggata ». Ces deux termes font référence à la focalisation, mais ils sont employés dans différents contextes. Le second fait référence à un facteur de jhana. Le premier se réfère à « l’esprit qui est dirigé sur un seul objet ou sujet »).
Nous pouvons dire que samadhi a trois caractéristiques : parisuddhi (la pureté), samahita (la fermeté, la constance, la stabilité) et kammanaya (la vivacité, la promptitude, la capacité à œuvrer). Ainsi, si vous voulez savoir si l’esprit est en état de samadhi ou non, examinez-le et voyez s’il comprend ces trois qualités. Voyez s’il est, ou non, pur, stable et actif.
Quand nous parlons du pouvoir ou de l’énergie de samadhi, nous voulons indiquer la manière dont l’esprit focalise toute son énergie sur un seul point. C’est la même chose qu’une loupe qui est capable de focaliser les rayons du soleil sur un seul point, ce qui fait apparaître une flamme. De même, quand la puissance de l’esprit est rassemblée sur un seul point, celui-ci est focalisé. L’esprit qui est en samadhi produit une énergie colossale, plus puissante que tout. Nous pouvons décrire cet esprit très fortement concentré de deux manières : la première est « indriya » qui signifie « souverain » ou « chef » ; la seconde est « bala » qui veut dire « puissance, force, robustesse ». Ainsi, nous avons samadhi-indriya et samadhi-bala, l’esprit qui a la souveraineté et davantage de puissance que n’importe quoi d’autre.
Samadhi doit travailler de conserve avec la sagesse. Samadhi est comme le poids du couteau et pañña en est le tranchant. Pour qu’un couteau puisse couper correctement quelque chose, il doit posséder deux choses : le poids et le tranchant. Un outil qui est pesant mais émoussé, tel un marteau, ne peut rien couper et ne fait que de la charpie. D’un autre coté, un couteau très affûté mais qui ne pèse pas, telle une lame de rasoir, ne tranchera jamais ce qu’il est sensé couper. Un couteau a besoin des deux propriétés — l’esprit de même. Pour faire ce qu’il doit faire, l’esprit a besoin à la fois de samadhi et de pañña. Vous pourriez vous demander ce qui fait qu’un couteau coupe : la pression exercée par son poids ou le tranchant de sa lame ? Si vous êtes capables de comprendre ceci, il vous sera plus facile de comprendre comment le Dhamma tranche d’un coup net les problèmes, c’est-à-dire les impuretés mentales. Au moment de l’activité de sampajañña, samadhi et pañña travaillent de conserve pour trancher dans le vif du problème. Ils sont interconnectés et, dans la pratique, ils ne peuvent être dissociés.
Pañña :
Il nous reste à parler du dernier dhamma : pañña (la sagesse, la connaissance intuitive, la vision intérieure). La signification de ce mot est très large. Littéralement, il signifie « connaître complètement ». Cela ne veut pas dire connaître tout ce qui peut être connu, mais connaître ce qu’il est nécessaire de savoir. Pañña est la connaissance complète et adéquate de tout ce qu’il est important de savoir. De toutes les choses qui peuvent être connues, pañña ne fait référence qu’aux choses qui nous serons utiles pour nous permettre de résoudre nos problèmes. Par exemple, il n’est pas nécessaire de connaître la structure de l’atome ou les espaces intergalactiques. Nous avons seulement besoin de savoir ce qui permet la cessation de dukkha (les maux spirituels), directement dans notre esprit.
Ce qui mérite d’être su, c’est seulement ce qui se rapporte à la cessation de dukkha. Cela est conforme à l’enseignement du Bouddha qui rappelait qu’il n’enseignait rien d’autre que ce qui se rapportait à dukkha et à la cessation de dukkha. Il existe une belle citation en pali que j’aimerais que vous entendiez :
« Pubbe caha bhikkhave etarahica dukkhanceva pannapemi dukkhassa ca nirodha. »
( Bhikkhus ! Dans les temps passés, aussi bien qu’aujourd’hui, je n’ai parlé que de dukkha et de l’extinction totale de dukkha)
Le Bouddha ne fait pas référence au futur, car celui-ci n’existe pas. Mais, dans le passé comme dans le présent, il n’enseigna que ces deux choses.
Parmi les choses que nous devons savoir, nous pouvons citer quatre importants aspects de la sagesse. Le premier sujet que j’aimerais aborder concerne les trois caractéristiques de l’existence (ti-lakkhana) : anicca (l’impermanence, le changement), dukkha (l’insatisfaction), et anatta (le non-soi, l’absence d’un soi personnel) [« selflessness » peut être traduit par « altruisme » ou « générosité désintéressée »]. Vous pouvez trouver des explications détaillées sur ces trois caractéristiques dans de très nombreux ouvrages ; je me contenterai seulement de les rappeler brièvement aujourd’hui.
Toute chose conditionnée
Anicca signifie que toute chose conditionnée est en constant changement. Veuillez noter que nous ne parlons que des choses conditionnées. Les choses non conditionnées n’ont pas cette caractéristique d’anicca. L’impermanence ne s’applique qu’aux choses qui sont produites par des causes et des conditions. Comme ce terme « choses conditionnées » est important, vous feriez bien de retenir le terme pali, « sankhara ». Sankhara signifie : « former, composer, inventer, conditionner », et s’applique à cette myriade de choses qui, en permanence, produisent et conditionnent de nouvelles choses. C’est une caractéristique ou activité de toutes les choses phénoménales, comme ces arbres autour de nous. Différentes causes interagissent en eux. De nouvelles chose apparaissent, il y la croissance et le développement, les feuilles grandissent et tombent, le changement est incessant. Sankhara est cette activité continuelle de « formation résultante ». Tout ce qui naît d’un conditionnement est appelé « sankhara ». A son tour, cette chose conditionne l’apparition d’autres choses et ces choses elles-mêmes sont appelées « sankhara ». Ainsi, « sankhara » englobe à la fois, les choses conditionnées et les choses qui conditionnent, ainsi que les causes et les effets du conditionnement.
Nous pouvons comparer cette incessante création de sankhara aux briques d’un mur. Chaque brique supporte une autre brique qui elle-même en supporte une autre qui en supporte une autre, et ainsi de suite, par couches successives. Chaque brique supporte d’autres briques et est soutenue par les briques qui sont sous elle. Chacune d’elles supporte et est supportée. Ainsi, sankhara possède trois significations, à la fois verbe et noms. La première signification, le verbe, est l’activité de former, de composer, de conditionner. La seconde signification se réfère aux choses conditionnées par cette activité et la troisième se réfère aux causes et aux conditions de cette activité. La signification de sankhara est aussi vaste que cela.
Observez cette activité de conditionnement, vous la verrez dans toutes choses. Sans cette activité qui fait que les choses sont continuellement engendrées par conditionnement et sont sans cesse en train de conditionner d’autres choses, il n’y aurait pas d’existence, de vie. Il ne peut y avoir de vie, d’existence, que par ce perpétuel conditionnement et reconditionnement. Mais parfois, ce conditionnement est si subtil que nous ne pouvons pas le percevoir. Il peut même être caché, comme dans une roche. Il y a un perpétuel conditionnement qui se produit dans chaque roche, mais quand vous regardez, vos yeux ne peuvent pas le détecter. Néanmoins, soyez conscients du processus de l’incessante apparition conditionnée dans toutes les choses qui existent.
La meilleure approche est de voir ce processus de conditionnement en nous-mêmes. Tout cela se produit dans notre corps. Nous pouvons voir le conditionnement en nous, nous pouvons voir les choses alors qu’elles sont conditionnées, et nous pouvons voir les choses qui les conditionnent. En regardant en nous, nous pouvons voir tout ce sankhara. Il y a le conditionnement de l’agrégat du corps (rupa-khandha) ; le conditionnement de l’agrégat des sensations (vedana-khandha) ; le conditionnement de sañña-khandha, qui est l’agrégat des perceptions, des identifications et des classifications ; le conditionnement de l’agrégat de la pensée (sankhara-khandha) ; et enfin, le conditionnement de l’agrégat de la conscience (viññana-khandha). Ces cinq importants groupes ou agrégats d’existence et leur constant conditionnement peuvent être observés dans notre corps, alors que celui-ci est vivant.
Les points de contact
Examinez les points de transmission ou points de contact : maintenant les yeux travaillent, maintenant les oreilles travaillent, maintenant le nez travaille, maintenant la langue travaille, maintenant la peau travaille, maintenant l’esprit travaille. Un par un, ils assurent leurs fonctions, ils font leur travail. Quand l’un d’eux fonctionne, alors, à ce moment, il y a sankhara. Voilà quand, où et comment nous pouvons observer les conditionnements se produire. Dans le corps, il se produit un incessant conditionnement et un changement constant. Les cellules meurent et de nouvelles croissent, de sorte qu’en peu de temps elles sont toutes remplacées. Même ces aspects purement physiques de l’existence révèlent le sankhara. Dans ce corps, il y a six organes sensoriels : les yeux, les oreilles, le nez, la langue, la peau et l’esprit. Ceux-ci rencontrent des objets sensoriels extérieurs : les formes, les sons, les odeurs, les goûts, le toucher et les objets mentaux. Quand l’organe des sens entre en relation avec l’objet des sens correspondant (par exemple, l’œil voit la forme ou l’oreille entend le son…), alors se produit le conditionnement : une forme est vue, un son est entendu, une odeur est sentie. Nous nommons cela « phassa » (le contact). C’est le point de départ du phénomène du conditionnement ; une série de nouveaux sankhara apparaît à partir de cela. La rencontre de l’organe des sens avec l’objet des sens (œil et forme, oreille et son… esprit et formation mentale) conditionne phassa. Phassa conditionne vedana (les sensations : les réactions plaisantes ou déplaisantes face à ces expériences sensorielles). Vedana participe au conditionnement de sañña, parce que les perceptions et l’identification de ces perceptions surgissent en fonction de ces sensations. Tout ce qui arrive est ainsi identifié et classifié. Sañña conditionne alors diverses pensées, y compris les émotions (sankhara-khandha), et ceci nous pousse à agir d’une manière ou d’une autre. Puis, le résultat de ces actions nous conduit à davantage de pensées, qui nous entraîneront à de nouvelles actions et ainsi de suite…
Voilà un exemple de ce que nous désignons par « conditionnement ». Nous voyons que cette sorte de conditionnement se produit en permanence, même dans notre propre corps. Jamais cela ne s’arrête, ni ne prend du repos. Cela se poursuit que nous soyons éveillés ou endormis. Ce flux perpétuel, ce flot incessant, c’est la caractéristique d’anicca.
Dukkha
Quand nous voyons clairement la caractéristique d’anicca, il est facile de comprendre la deuxième caractéristique : dukkha (l’insatisfaction, l’insupportable, la laideur, le non-sens). Si nous voulons que les choses aillent selon notre idée, nous faisons l’expérience de dukkha. Quand les choses ne restent pas comme nous le souhaiterions ou nous le voudrions, nous éprouvons dukkha. En fait, rien ne se produit réellement comme nous voulons, car rien ne reste inchangé suffisamment longtemps pour correspondre à ce que nous voulons. Alors, nous découvrons que l’insatisfaction (dukkha) est sans fin. Il est impossible d’y échapper du fait de tous ces conditionnements et de toutes ces choses en perpétuel changement. C’est la caractéristique de dukkha.
Quand nous regardons de plus près, nous voyons que nous avons nous-mêmes ces caractéristiques : l’impermanence, la souffrance et l’insatisfaction. Les choses que nous aimons et qui nous plaisent sont anicca et dukkha. Les choses que nous n’aimons pas sont anicca et dukkha. Il n’y a rien dans tous les sankhara qui ait les caractéristiques de la permanence (nicca) et qui soit satisfaisant (adukkha). Nous devons voir anicca et dukkha en nous-mêmes de cette façon.
Quand nous voyons complètement l’impermanence, quand nous voyons complètement la souffrance, l’insatisfaction de manière claire et évidente, alors automatiquement nous voyons que toute chose est anatta (sans-soi). Il n’y a pas d’entité durable que nous puissions appeler « je », « moi ». Parmi tous ces changements et ces conditionnements, il n’y a aucune entité individuelle ou substance éternelle qui puisse être assimilée à un « soi ». Tout est anatta, sans-soi. Les choses existent ; nous ne disons pas le contraire. Ce qui est, est ; mais tout ce qui est, est sans soi propre. Nous ne devons pas nous méprendre et penser que nous avons un soi (atta). Il y a seulement le flot du changement. Tout ceci est la compréhension ou pañña au sujet d’anicca, dukkha et anatta.
La vacuité
Le deuxième sujet est la compréhension ou pañña à propos de suññata (la vacuité). Quand nous voyons les trois caractéristiques d’anicca, de dukkha et d’anatta, quand nous comprenons que rien n’a d’entité propre, alors nous comprenons que toute chose est vide de soi, est vide de tout ce que l’on pourrait nommer « un soi », est libre de tout ce qui est sensé être appelé « soi ». C’est la signification de suññata. Cette unique caractéristique de suññata recoupe et recouvre les trois premières caractéristiques (anicca, dukkha et anatta).
La signification de « suññata » est meilleure, plus large, plus facile et plus utile que celle de n’importe quel autre mot pour définir le principe de la pratique et le principe de la vie. Encore faut-il que nous comprenions ce terme à la lumière du Dhamma, dans le langage de sati-pañña (la pleine conscience et la sagesse). Il ne doit pas être compris suivant des interprétations matérialistes, comme « rien n’existe » ou « tout est vide ». Le Bouddha a insisté sur le fait qu’une telle vue nihiliste est une conception extrême et une compréhension erronée. Suññata n’est pas le nihilisme ou le néant. Les choses existent, mais elles sont vides et libres de tout ce qui pourrait être qualifié de « soi ». Alors, nous disons que toute chose est vide, c’est la signification de la « vacuité » dans le langage du Dhamma. Si nous voyons suññata, cela inclut voir anicca, dukkha, et anatta. Nous n’avons pas besoin de voir ces quatre caractéristiques ; en voir juste une seule – la vacuité – est suffisant pour prévenir les impuretés mentales (kilesa : perturbations et contaminations de la paix et la luminosité naturelles de l’esprit).
Quand nous voyons la vacuité dans les choses que nous aimons, nous cessons d’aimer. Quand nous voyons la vacuité dans les choses que nous haïssons, nous cessons de haïr. Alors, il n’y a ni amour, ni haine, ni attirance, ni répulsion, ni bonheur (sukha), ni souffrance (dukkha). Il y a juste le sentiment d’être centré, de vivre dans la quiétude et la liberté de la voie du milieu. Tel est le fruit de la vraie compréhension de la vacuité des choses. Si nous ne voyons pas la vacuité de toutes choses, nous continuerons à aimer certaines choses et à en détester d’autres. Tant que l’amour et la haine subsistent, l’esprit reste esclave de cet attachement aux choses que nous aimons ou que nous haïssons. Avec la complète compréhension de sunnata, l’esprit est libre, délivré de ces choses. La véritable liberté, c’est la vacuité.
Suññata est un synonyme de nibbana (nirvana). Nibbana est vacuité. Quand l’esprit comprend la vacuité, il n’y a plus d’impuretés mentales ; quand il n’y a plus d’impuretés mentales, il n’y a plus de chaleur ; quand il n’y a plus de chaleur, il y a nibbana, qui signifie « fraîcheur ». Ainsi, quand il y a suññata, il y a la « fraîcheur », nibbana. Le Bouddha a dit : « Vous devez toujours regarder le monde comme une chose vide d’atta (de soi) et d’attaniya (appartenance au soi). C’est le second aspect de pañña.
La Loi de la Nature
Le troisième sujet que je souhaite aborder est la conditionnalité (idappaccayata), ce qui veut dire :
« Parce que ceci est, ceci est ; parce que ceci se produit, ceci se produit ; parce que ceci n’est pas, ceci n’est pas ; parce que ceci cesse, ceci cesse ».
Ces conditions sont appelées « idappaccayata », la loi des causes et des effets. Nous pouvons aussi l’appeler la loi de la coproduction conditionnée (paticca-samuppada) car idappaccayata et paticca-samuppada sont la même chose, le même principe de sagesse qui doit être étudié, vu et compris. Vous verrez que toute chose en ce monde est un flot constant, que le monde est un flux continu. C’est un sujet profond et complexe. De nombreux livres traitent de cela en détail ; certains sont complexes, surtout ceux traitant ce sujet en termes de coproduction conditionnée. Comme nous sommes tenus par le temps, aujourd’hui, je vous engage à consulter ces ouvrages.
L’Ainsité
Maintenant, nous arrivons au quatrième sujet : tathata (l’ainsité). « Simplement ainsi », « juste cela » : chaque chose est telle qu’elle est et ne peut être différente de cette « ainsité ». Ceci est appelé « tathata ». Quand tathata est vu, les trois caractéristiques d’anicca, de dukkha et d’anatta elles aussi sont vues, suññata est vu et idappaccayata est vu. Tathata est le résumé de tout ceci – simplement ainsi, seulement ainsi, pas autrement – ; il n’y a rien de meilleur que ceci, rien de plus que ceci, rien d’autre que ceci — c’est l’ainsité.
Pour comprendre intuitivement tathata, il faut voir la vérité de toute chose, il faut voir la réalité des choses qui nous ont induits en erreur. Ces choses qui leurrent sont celles qui font naître en nous la discrimination et la dualité : bien et mal, bonheur et tristesse, victoire et défaite, amour et haine, etc. Il y a de très nombreuses paires opposées de cette sorte dans le monde. En ne voyant pas tathata, nous permettons à ces choses de nous leurrer en nous faisant croire à cette dualité : ceci-cela, attirance-répulsion, chaud-froid, mâle-femelle, impur-éveillé. Cette vision erronée est la cause de tous nos problèmes. Emprisonnés dans ces contraires, nous ne pouvons pas voir la vérité des choses. Nous retombons dans l’attirance et la répulsion qui, à leur tour, nous amènent dans des comportements non justes parce que nous ne voyons pas tathata.
Ce que nous devons voir, constamment et en profondeur, c’est que le bien est sankhara et que le mal, lui aussi, est sankhara. Les sensations plaisantes et déplaisantes, sukha et dukkha, sont toutes deux sankhara. Obtenir et disparaître, perdre et gagner sont tous des sankhara. Il n’y a rien qui ne soit pas sankhara. Ainsi tout est semblable : tathata. Toute chose a cette caractéristique d’ainsité, juste ainsi et pas autrement. De plus, nous pouvons dire que le ciel est sankhara et que l’enfer est sankhara. Donc ciel et enfer sont tathata – juste ainsi. Notre esprit doit être au-dessus du ciel et au-dessus de l’enfer, au-dessus du bien et du mal, au-dessus de la joie et au-dessus de dukkha à tous points de vue. Tathata est le quatrième domaine de compréhension ou pañña, la sagesse qui doit être développée à un niveau suffisant. Nous devons étudier la réalité, tant au niveau physique et matériel qu’au niveau mental et spirituel, jusqu’à ce que notre connaissance et notre sagesse soient adéquates, naturelles et constantes.
Maintenant nous connaissons les quatre dhammas : sati, sampajañña, samadhi et pañña. Il nous reste à apprendre comment les mettre en pratique de manière qu’ils soient corrects, réussis et salutaires. La question maintenant c’est : comment employer le Dhamma, ou le bouddhisme, dans notre vie quotidienne ?
Le Dhamma dans la vie de tous les jours
Comment allons-nous employer ces quatre dhammas dans notre réalité quotidienne ?
Une réponse rapide : nous devons vivre nos vies à la lumière de ces quatre dhammas. Nous devons employer ces quatre dhammas de manière correcte pour faire face à toute situation et tout problème qui arrive chaque jour. Toutes les fois que surgit une situation qui pourrait nous conduire à des problèmes ou à dukkha – comme les yeux qui voient une forme, les oreilles qui entendent un son, ou l’esprit qui a une pensée – nous devons avoir sati. Sati, l’attention, réalise que quelque chose est en train de se produire et, immédiatement, fait appel à la sagesse nécessaire face à cette situation afin de traiter, dans l’instant même, les problèmes potentiels. La pleine conscience vient en premier.
Cette sagesse appliquée à l’expérience est sampajañña. Amenée à temps par sati, cette sagesse-en-action traite la situation dans l’instant présent. Puis, au moment même où sampajañña entre en action, la puissance de samadhi donne la force et l’énergie à la sagesse afin qu’elle puisse trancher le problème. Selon le niveau de samadhi, la sagesse-en-action sera capable de résoudre le problème. Pañña agit comme un vaste entrepôt où serait stockées la connaissance et la vision intérieure dont se sert sati pour traiter les expériences sensorielles.
Quand ces quatre dhammas travailleront de conserve, nous pourrons voir que nous devenons plus intelligents. Nous sommes intelligents car nous avons la capacité de faire face aux situations qui se présentent à nous dans l’instant, sans engendrer de nouveaux problèmes ou tensions. Nous ne sommes pas asservis aux influences de toutes les paires opposées. C’est la vie libérée, paisible et fraîche. C’est le meilleur que puisse atteindre un être humain.
Pour résumer, nous devons posséder suffisamment de pañña, nous devons employer sati à tout moment, nous devons appliquer sampajañña correctement et suffisamment, et nous devons employer samadhi de manière appropriée et avec une puissance adéquate. Ensemble, ces quatre dhammas doivent être employés de manière correcte et avec suffisamment d’énergie, dans toutes les situations qui peuvent se présenter à nous. C’est la réponse à la question : comment employer le Dhamma avec succès ?
J’espère que chacun d’entre vous va essayer d’utiliser ces quatre dhammas dans sa vie. Rien d’autre ne pourra justifier le temps, l’effort et la dépense que vous avez engagés pour venir ici. J’espère que vous ne partirez pas d’ici avec des dettes, mais que vous tirerez des bénéfices de votre séjour à Suan Mokkh.
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(1) Dans la terminologie bouddhiste, il n’y a pas de réelle distinction entre le cœur et l’esprit. L’intellect et les émotions ne sont pas perçus comme étant opposés. L’ensemble se dit « citta ». Citta peut aussi bien être traduit par « esprit », « cœur » ou « cœur-esprit ». Nous utilisons ces trois termes indifféremment.
(2) Ici, étudier n’est pas seulement une étude intellectuelle. Cela inclut la réflexion, l’investigation, l’entraînement, l’expérimentation et l’expérience directe ; l’accent étant mis sur l’entraînement et l’expérience.