Le don du Dhamma surpasse tous les autres dons

Les Quatre Fondements de l’Attention

Les Quatre Fondements de l’Attention

Bhante Henepola Gunaratana

Retranscrit par Emmanuel Mancuso et traduit par Jeanne Schut

http://www.dhammadelaforet.org/

 

Ces pages sont le fruit de la transcription et de la traduction d'enseignements donnés par Bhante Gunaratana lors d'une retraite au Centre Kanshoji, en mai 2007.

La forme orale, avec ses imperfections et ses répétitions, a été maintenue pour que le texte bénéficie de son authenticité d’origine, et pour que la générosité, la bonté et l’humour de Bhante Gunaratana transparaissent autant que possible à travers ces lignes.

Puisse le fruit de ce travail bénéficier à tous ceux qui le liront.

Les traducteurs

(cet enseignement est le troisième de la série,

lire les autres enseignements: ICI )

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Texte 1

Je voudrais continuer cette série d’entretiens sur l’attention. Hier nous avons parlé de la définition de la méditation sur l’attention — ou Vipassanā — et le but de la pratique de cette méditation. J’ai dit qu’il y avait cinq buts :

  • purifier les idées et les opinions
  • dépasser le chagrin et les lamentations
  • dépasser la souffrance et la déception
  • s’engager sur le Noble Octuple Sentier
  • réaliser le Nibbāna.

J’ai également dit que c’est la seule voie directe pour atteindre ces cinq buts. Il n’y a rien de plus direct que de regarder son propre corps, ses sensations, ses perceptions, ses pensées et sa propre conscience. Et quand nous regardons ces éléments — appelés « les cinq agrégats » — nous les regardons à travers le vécu de nos expériences. Ces expériences se produisent au moyen des yeux, des oreilles, du nez, de la langue, du corps et de l’esprit. On les appelle « les six portes ».

Vous savez à quoi servent les portes, n’est-ce pas ? On ouvre une porte pour entrer et sortir. Eh bien, c’est exactement ce qui se passe quand nous ouvrons les yeux, les oreilles, le nez, la langue, le corps et l’esprit. Quelque chose qui est à l’intérieur de nous va sortir par ces six portes, et quelque chose d’extérieur à nous va entrer par ces six portes.

Que sort-il de ces six sens ? Notre désir, notre aversion et notre ignorance. Et, une fois sortis, ils reviennent en rapportant encore plus d’avidité, d’aversion et d’ignorance. Par contre, si la générosité, l’amitié, la compassion, et la joie empathique sortent, elles rapportent générosité, amitié, compassion, et joie empathique. Dans tous les cas, quand on manifeste de la gentillesse, on reçoit de la gentillesse. Prenez n’importe quel exemple : quel que soit le sentiment qui sort de nous, il nous revient doublement, fortifié et très puissant. Nous pouvons voir tout cela se produire directement sans passer par les mots. C’est pourquoi, quand des saletés veulent entrer, nous devons absolument fermer la porte. C’est ce qui s’appelle la discipline.

Hier j’ai parlé des cinq formes de discipline :

–  la patience

–  la persévérance ou l’effort

–  l’attention

–  la sagesse

–  la moralité ou sila, c’est-à-dire observer certains principes de moralité : les Préceptes.

Nous pouvons faire tout cela en entraînant notre attention.

Donc la première étape, dont nous avons parlé hier, consiste à utiliser notre respiration comme objet de méditation et à accorder une attention claire et pleinement consciente à notre respiration. Une attention claire et consciente, c’est une attention impartiale, équanime, non verbale et non conceptuelle. Une telle attention permet de voir le corps en tant que corps — « le corps dans le corps » — et « les sensations dans les sensations ». C’est de cela que nous allons parler aujourd’hui.

Dès que nos sens se portent sur un objet extérieur et qu’ils entrent en contact avec cet objet, il y a ce que l’on appelle un « contact pur ». Pour qu’il y ait contact, il faut qu’il y ait un organe sensoriel, un objet sensoriel et une conscience sensorielle. Quand un sens entre en contact avec un objet sensoriel, il se produit une sensation. Si l’objet est perçu par les sens comme agréable, une sensation agréable apparaît. Si l’objet est perçu par les sens comme désagréable, une sensation désagréable apparaît. Si l’objet est perçu par les sens comme neutre, une sensation neutre apparaît.

En méditation, quel que soit le type de sensation qui apparaisse, nous portons toute notre attention sur cette sensation à l’instant même où elle apparaît. L’attention claire et consciente peut nous montrer exactement quelle sensation est apparue dans notre esprit et, à ce moment précis, nous lui accordons toute notre attention.

Par exemple, si du fait d’un contact avec un objet agréable, une sensation agréable apparaît, nous sommes conscients de cette sensation agréable à ce moment-là. Mais si, au moment où le contact se fait avec un objet agréable, il y a un sentiment d’avidité, de désir ou d’attachement qui apparaît, cela prouve que nous ne sommes pas attentifs. A ce moment-là, très rapidement, nous allons nous laisser emporter par cette sensation agréable. C’est exactement ce qui nous arrive tout le temps. C’est de cette manière que notre avidité, nos désirs, notre convoitise nous fourvoient tout le temps. Donc, être clairement attentif à une sensation, cela signifie la voir, voir qu’elle est agréable par exemple, mais sans essayer de nous y attacher. Ce n’est pas très facile mais cela devient plus simple quand on entraîne l’esprit encore et encore — et cela commence avec la méditation assise parce que, quand nous sommes assis en méditation, nous n’ouvrons pas les yeux.

Comme je l’ai dit plus tôt, le mot Vipassanā signifie littéralement « une façon de voir très spéciale ». Et qu’a-t-elle de spécial ? Ce qu’elle a de spécial, c’est que l’on voit sans ouvrir les yeux. D’ordinaire on ouvre les yeux pour voir les choses. La manière « spéciale » de voir les choses est de le faire en fermant les yeux. C’est pourquoi on appelle cela une vision « très spéciale ». Nous nous entraînons précisément pour voir sans ouvrir les yeux !

Mais que peut-on voir quand on ferme les yeux ? Que voit-on ? On voit l’intérieur. On se voit à l’intérieur de soi. Ce que nous voyons, c’est la forme de notre corps, nos sensations, nos perceptions, nos pensées et notre conscience. Pour voir nos perceptions, avons-nous besoin d’ouvrir les yeux ? Pour voir nos sensations, avons-nous besoin d’ouvrir les yeux ? Et quand nous voulons voir nos pensées, nous ne sommes pas non plus obligés d’ouvrir les yeux. Quand nous voulons voir notre conscience, nous n’avons pas envie d’ouvrir les yeux. Ainsi donc, sans ouvrir les yeux, nous pouvons contempler notre corps, nos sensations, nos perceptions, nos pensées et notre conscience.

Dans la définition que j’ai donnée de la méditation Vipassanā, j’ai dit que c’est un entraînement de l’esprit pour obtenir une conscience préconceptuelle de l’impermanence, de l’insatisfaction ou de la souffrance, et du fait que les cinq agrégats ne contiennent aucun « soi » personnel. Quand nous fermons les yeux, nous pouvons donc voir l’impermanence de nos sensations, de nos perceptions, de nos pensées et de notre conscience. Nous pouvons faire l’expérience de l’aspect insatisfaisant de l’existence quand nous fermons les yeux. Nous pouvons faire l’expérience du non-soi quand nous fermons les yeux.

Donc quand nous disons « voir les sensations dans les sensations », cela signifie qu’il y a des sensations agréables, des sensations désagréables et des sensations neutres et que, quand nous avons une sensation agréable, nous n’avons pas de sensations désagréables ou neutres. Donc quand une sensation agréable est présente, nous sommes conscients d’une sensation agréable présente. Quand une sensation désagréable apparaît à cause d’un contact sensoriel avec un certain objet, nous devenons conscients de cette sensation désagréable et, à ce moment-là, nous ne faisons pas attention à une sensation agréable ou neutre : nous faisons attention à une sensation désagréable.

En général une sensation désagréable s’accompagne de ressentiment, de colère. C’est ce que l’on appelle « les tendances sous-jacentes ». De même que les sensations agréables ont une tendance sous-jacente de convoitise ou d’avidité, les sensations désagréables ont une tendance sous-jacente de ressentiment ou d’aversion. Si nous permettons à ces tendances sous-jacentes de devenir proéminentes dans la situation, cela prouve que nous ne sommes pas présents et attentifs. Mais nous pouvons isoler nos sensations désagréables en tant que sensations désagréables sans éprouver de sentiment d’aversion et c’est ainsi que nous sommes attentifs à une sensation désagréable. Dès que nous permettons à la tendance sous-jacente de ressentiment de se surimposer à la sensation, nous perdons notre attention.

Quand une sensation neutre apparaît nous portons notre attention sur cette sensation neutre. Quand nous sommes attentifs à une sensation neutre, nous ne sommes pas attentifs à une sensation agréable ou désagréable. Nous sommes attentifs à une sensation neutre en toute conscience et nous ne permettons pas à la tendance sous-jacente de neutralité de dominer la sensation. Qu’est-ce que la tendance sous-jacente de neutralité ? C’est la confusion, une confusion qui vient du sentiment de ne pas pouvoir identifier la sensation. Et c’est là que les gens peuvent se dire : « Ah ! Voici mon âme ! » parce qu’ils pensent que leur âme ou leur soi est quelque chose de neutre. Alors quand une sensation neutre apparaît, ils ont tendance à l’associer avec une âme ou un soi. Si cette idée ou ce concept prédomine au moment où se produit un contact sensoriel avec quelque chose de neutre, on perd l’attention directe à la sensation neutre.

Pour éviter cette perte d’attention, le Bouddha a dit : « Quand une sensation apparaît, soyez conscients de cette sensation parmi toutes les sensations. » Faites bien attention à la formulation : faire attention à la sensation parmi les sensations. Cela signifie : parmi de nombreuses sensations, vous isolez cette sensation particulière qui apparaît dans l’instant. Quand nous avons parlé de « porter l’attention sur le corps dans le corps », je vous ai dit que cela signifiait isoler un aspect particulier du corps parmi ce corps plus vaste. Tout cela est une introduction, je donnerai davantage de détails plus tard.

La troisième étape, c’est « voir l’esprit dans l’esprit ». Y a-t-il beaucoup d’esprits ? Dois-je isoler un esprit ? Nous ne pouvons pas dire qu’il y ait beaucoup d’esprits. Quand nous sommes attentifs à l’esprit, cela veut dire que nous portons notre attention au contenu mental de l’esprit. Il y a beaucoup de choses contenues dans le mental et donc quand nous sommes attentifs à l’esprit, nous isolons un état mental particulier qui se présente à ce moment-là. Par exemple, si l’esprit est envahi par l’avidité —il y beaucoup de souillures mentales possibles — à ce moment-là, nous sommes simplement conscients de l’esprit avide en tant qu’esprit avide. Et quand l’esprit est tout à fait libre de convoitise, plein de pensées de générosité, à ce moment-là, nous prenons conscience de ces pensées de générosité. Il y a rien à faire de spécial, il suffit d’être attentif à la nature de l’esprit à ce moment précis.

Puis : « Voyez le Dhamma dans les dhamma. » Bien sûr, il y a beaucoup de dhamma et, par conséquent, il est facile d’isoler un dhamma après l’autre. En fait, le mot « dhamma » est très difficile à traduire, quelle que soit la langue, pour donner sa pleine signification. Plutôt que d’en donner plusieurs définitions différentes — ce qui ne ferait que créer de la confusion dans l’esprit — je préfère l’utiliser tel quel, en pāli, et l’expliquer.

Dans cette section du Sutta, on parle de plusieurs groupes de dhamma. L’un de ces groupes s’appelle « les obstacles » ; ils sont au nombre de cinq. Nous expliquerons plus tard les autres catégories (c'est-à-dire les cinq agrégats d’attachement, les six sens, les sept facteurs d’Eveil et les quatre Nobles Vérités). Pour l’instant, rappelez-vous simplement que ce sont des groupes. Donc le premier groupe s’appelle « les obstacles »[1]. Un dhamma qui est un obstacle majeur, par exemple, est le doute. Quand le doute apparaît dans l’esprit, le Bouddha nous dit de devenir simplement attentifs au doute, de sorte que nous ne faisons pas attention aux autres aspects du Dhamma. Ainsi « voir le Dhamma dans les dhamma » signifie isoler un aspect du Dhamma après l’autre. Tout cela est vraiment beau parce que nous entraînons notre esprit à être attentif à ce qui se produit à tout moment.

Il y a quelque chose qui crée beaucoup de confusion chez les méditants. Je voudrais vous proposer ma façon de comprendre cet aspect particulier. Dans le milieu bouddhiste, on entend souvent dire : « Quand vous lavez la vaisselle, soyez attentifs à laver la vaisselle. » Cela signifie que vous portiez toute votre attention sur les choses que vous lavez. Mais n’est-ce pas ce que font les laveurs de vaisselle dans les restaurants ? Ils sont bien obligés de porter toute leur attention sur ce qu’ils lavent. S’ils laissent des saletés sur les plats, ils auront des problèmes : ils seront réprimandés par leur patron ou par le responsable de l’hygiène. Mais cela signifie-t-il que les laveurs de vaisselle des restaurants pratiquent l’attention ?

Et quand on travaille dans une chaîne d’assemblage, on doit aussi être très attentif à ce que l’on fait. Cela signifie-t-il que tous les travailleurs sur les chaînes de montage pratiquent l’attention ? La façon dont le Bouddha nous entraîne à être attentifs est tout à fait différente.

Encore un exemple. Quand vous voyez un beau tableau accroché à un mur, vous y portez toute votre attention. Vous admirez ce beau, ce merveilleux tableau et vous vous dites : « Je me demande qui a peint ce tableau. Combien de temps a-t-il fallu pour le réaliser ? Comment s’appelle l’artiste ? Depuis combien de temps peint-il pour être capable de cela ? etc. » Vous ne faites que regarder le tableau, vous êtes complètement absorbé par sa beauté. Est-ce l’attention dont nous parlons ?

L’attention dont parle le Bouddha est tout le contraire. Comme je l’ai dit, on commence par fermer les yeux. Si après avoir fermé les yeux, on se rappelle quelque chose que l’on a vu ou pensé, on ne s’en saisit pas. On est attentif à ce qui ce passe dans l’esprit à cet instant.

L’attention, ce n’est pas entraîner les yeux à voir des objets, c’est entraîner l’esprit à voir ce qui se passe à l’intérieur — parce que c’est l’esprit qui est la source de tous nos problèmes. Mais l’esprit est aussi à la source de toutes sortes de choses merveilleuses et bénéfiques. Donc cet entraînement à l’attention consiste à prendre conscience de tous nos états mentaux.

Je vous ai dit tout à l’heure que, quand il y a un contact sensoriel avec un objet sensoriel, c’est-à-dire dès que nous voyons, entendons, sentons, touchons ou pensons quelque chose, notre attention va immédiatement se porter sur ce qui se passe entre l’organe des sens et l’objet. Et ce qui se passe, en réalité, c’est que notre perception de l’objet change. Notre état d’esprit change, nos sensations changent, nos pensées sur la situation changent et nos réactions changent. C’est comme cela que nous voyons l’impermanence. D’une manière à la fois très profonde et très subtile, les choses changent tout le temps. Comme je l’ai dit plusieurs fois, l’un des facteurs qui ne change jamais dans la méditation Vipassanā, c’est voir l’impermanence.

Quand nous lavons la vaisselle, nous devons regarder l’esprit, le corps, les sensations, les pensées : comment tout cela change pendant que nous lavons la vaisselle. Laver la vaisselle, mes amis, est une action tout à fait mécanique et, pendant que nous faisons cette activité mécanique, nous pouvons voir, dans notre esprit et dans notre corps, comment nous nous sentons, comment nos sensations changent, comment nos perceptions changent, comment nos attitudes changent, etc. Donc l’entraînement à l’attention ne signifie pas faire les choses mécaniques de manière plus parfaite mais entraîner l’esprit à voir l’impermanence à tout moment.

Il y a trois phrases très belles que je voudrais expliquer. Elles ont souvent été mal comprises et cela est valable aussi bien pour l’attention au corps que pour l’attention aux sensations, l’attention à l’esprit et l’attention aux dhamma. Nous allons prendre l’un de ces éléments pour illustrer ce point.

La phrase en pāli est :

Samudayadhammānupassī vā kāyasmi viharati,

« Soyez attentifs à l’apparition du corps, »

Vayadhammānupassī vā kāyasmi viharati,

« Soyez attentifs à la disparition du corps, »

Samudayavayadhammānupassī vā kāyasmi viharati.

« Soyez attentifs à l’apparition et à la disparition du corps. »

Voyez-vous une différence ? D’abord, il est dit : « Soyez attentifs à l’apparition du corps », ensuite : « Soyez attentifs à la disparition du corps », et enfin : « Soyez attentifs à l’apparition et à la disparition du corps ». On dirait qu’il n’y a pas de différence et que la troisième partie n’est que la combinaison des deux premières.

En réalité c’est un Dhamma très profond, c’est pourquoi beaucoup de gens ne le comprennent pas. Cela paraît tout à fait ridicule de dire : « Soyez attentifs à l’apparition, à la disparition, puis à l’apparition et la disparition du corps. » En apparence, cela n’a pas de sens. Pour le comprendre, il faut que nous comprenions la définition que le Bouddha donnait du mot « sankhārā ». Que sont les sankhārā ? Encore un mot difficile à expliquer mais je vais être concis : c’est « tout ce qui apparaît à partir de causes et de conditions. » Rappelez-vous bien cela : tout ! Tout ce qui apparaît à partir de causes et de conditions est appelé sankhārā.

Le Bouddha a prononcé à ce propos des paroles en or — si on s’en souvient ! « Bhikkhu, les sankhārā ont trois caractéristiques. L’une est que l’apparition est visible, l’autre que la disparition est visible et la troisième que ce qu’il y a entre l’apparition et la disparition est visible. »

Cela signifie qu’il y a une apparition, qu’il y a une disparition et qu’il y a quelque chose entre les deux qui apparaît et disparaît très rapidement. Cela signifie que quelque chose apparaît tandis que quelque chose apparaît et disparaît. C’est ce que l’on appelle « les trois moments » : le moment de l’apparition, le moment du pic et le moment de la disparition. Le moment de l’apparition est visible, le moment de la disparition est visible et le moment du pic a aussi sa propre apparition et disparition. Autrement dit, il n’y a pas un seul moment où le processus s’arrête. Les sankhārā sont toujours dans un état de flux, en mouvement et ce mouvement continu est divisé en ces moments infiniment minuscules.

Le Bouddha a donc dit : « Soyez attentifs à l’apparition du corps, soyez attentifs à la disparition du corps et soyez attentifs à ce qui se passe entre l’apparition et la disparition. » Même un petit moment minuscule comme cela, entre l’apparition et la disparition, a ses trois temps d’apparition, de pic et de disparition. Vous savez, quand on est vraiment attentif, très présent, quand on porte une attention totale à ce que l’on vit, on peut faire l’expérience de ces trois moments. C’est ce que le Bouddha a dit : « Posez votre attention devant vous quand vous inspirez et expirez. » Tout cela se passe juste devant nous en un instant. Quand le Bouddha dit « devant », cela ne veut pas dire « devant » dans le sens spatial, mais « devant » dans le sens temporel, c’est-à-dire dans l’instant présent.

Je ne sais pas si j’ai clarifié les choses ou si, au contraire, j’ai soulevé plus de confusion. En tout cas, c’est exactement ce que cela signifie. Mais ce n’est qu’une introduction. Ensuite, le Bouddha a dit : « Soyez attentifs à ce qui apparaît, à ce qui disparaît et à ce qui se passe entre l’apparition et la disparition, et soyez attentifs au fait que ce corps existe pour nous permettre d’obtenir la connaissance et l’éveil de la conscience. Pour rien d’autre. »

Généralement, les gens pensent que ce corps est fait pour en retirer du plaisir, mais le Bouddha voyait les choses tout autrement. Il a dit : « Ce corps existe pour nous permettre d’obtenir la connaissance et la vision claire. » La connaissance c’est l’attention, la conscience de l’impermanence et de l’insatisfaction. La vision pénétrante c’est la libération. En utilisant l’impermanence, la souffrance et le non-soi en tant que moyens, nous apprenons à nous libérer de la souffrance.

La phrase suivante dit : « Le méditant attentif ne s’attache à rien dans le monde. » Et aussi : « Nous devons nous battre contre Māra. » (Māra n’est pas tout à fait le Satan du Christianisme ; il représente des états mentaux négatifs très puissants.) Dans cette méditation, nous nous battons contre Māra pour nous libérer de tous les kilesa*. Le Bouddha a dit : « Combattez Māra en utilisant votre sagesse comme une arme.» Quand nous nous battons contre Māra et que nous utilisons notre sagesse, nous nous battons pour nous libérer de ces états négatifs de notre esprit.

En général, quand nous nous battons, nous gagnons quelque chose. C’est pour cela que nous nous battons, n’est-ce pas ? Nous nous battons toujours pour obtenir quelque chose. Nous nous battons contre un pays, pour le capturer, pour le coloniser. Nous nous battons contre quelqu’un pour défendre nos intérêts, nos idées, nos croyances, nos opinions. Quand on s’est battu on a gagné quelque chose. Le Bouddha a dit : « En utilisant la sagesse, battez-vous contre Māra et vous gagnerez. Et ce que vous aurez gagné vous devrez le protéger, mais sans vous y attacher. »

Comment protéger quelque chose sans s’y attacher ? Si on s’est battu, c’est parce que l’on était déjà attaché. Et une fois que l’on a gagné, on est encore plus attaché ! Mais le Bouddha a dit clairement : « Vous vous battez, vous gagnez, mais vous protégez ce que vous avez gagné sans attachement. » Si vous êtes attaché, vous n’avez pas gagné parce que vous continuez à vous battre. La bataille ne s’arrête que quand vous avez gagné et que vous savez comment protéger ce que vous avez gagné sans attachement.

Il y a encore une très belle phrase du Bouddha à ce propos : « A quoi sert donc un puits s’il y a de l’eau tout le temps, tout autour ? » De la même manière, quand tout attachement, tout désir a disparu, qu’allez-vous chercher encore ? Pourquoi cherchez-vous ? Vous cherchez parce que vous avez de la convoitise. Quand cette convoitise elle-même a complètement disparu, y a-t-il une raison de se battre ou de chercher encore ?

Voilà donc le sens profond — que les gens souvent ne traduisent pas ainsi — de cette phrase qui dit : « Soyez attentifs mais ne vous attachez à rien dans le monde. » Et tout cela vous pouvez le voir de manière « très spéciale » seulement quand vous fermez les yeux parce que, quand vous ouvrez les yeux, le monde entier s’ouvre à vous, et votre esprit s’égare dans tous les sens.

Mes amis, nous parlerons plus tard en détail de l’entraînement à l’attention. Ce sera tout pour cet après-midi.

Texte 2:

Hier, nous avons discuté du sens de la discipline et aussi comment voir le corps dans le corps, les sensations dans les sensations, l’esprit dans l’esprit et le Dhamma dans les dhamma. Nous avons également vu comment, du fait de la concentration de l’attention sur la respiration, la vision pénétrante apparaît. Enfin, nous avons souligné que, quand nous concentrons l’esprit sur la respiration en tant que partie du corps et que nous obtenons une vision profonde des choses, nous devons maintenir cette vision sans nous y attacher. Avec de grandes difficultés, nous combattons Māra pour purifier l’esprit de nombreuses impuretés mentales et nous atteignons un certain niveau de pureté et de clarté qu’ensuite nous devons maintenir sans nous y attacher.

Nous n’avons donc parlé que de l’attention à la respiration. L’attention à la respiration fait partie de l’attention au corps. La respiration représente l’entière fonction du corps car elle nous permet de voir l’impermanence, l’insatisfaction et le non-soi. Nous avons dit que la respiration change constamment, tout le temps : à un certain moment, nous nous sentons bien et en paix, et l’instant d’après nous perdons ce sentiment et faisons l’expérience d’une sensation beaucoup moins agréable.

Quand nous ressentons quelque chose d’agréable et de paisible, nous ne devons pas essayer de nous en saisir ; quand nous ressentons quelque chose de désagréable, nous ne devons pas essayer de le rejeter parce qu’une sensation désagréable est impermanente. Quand nous nous saisissons d’une sensation agréable, du fait qu’elle change, nous allons être déçus au moment où elle changera effectivement. Quand une sensation désagréable apparaît, si nous la rejetons, nous ne saurons pas ce que nous pouvons apprendre de cette sensation désagréable. Comme nous l’avons dit, une sensation désagréable est, elle aussi, impermanente.

La connaissance et la conscience de ces deux types d’expériences nous aident à évoluer harmonieusement dans la vie car notre vie est faite de plaisirs et de souffrances. Nous voulons toujours nous attacher au plaisir et repousser la souffrance, de sorte que nous sommes toujours dans le conflit. Si, par contre, nous comprenons que le plaisir change aussi vite que le déplaisir, au moment où une expérience désagréable remplacera une expérience agréable, nous ne serons pas déçus. Nous devons comprendre que plaisir et souffrance arrivent systématiquement ensemble, l’un suivant l’autre. C’est comme dans les supermarchés : vous achetez un produit et le second est gratuit ! Vous voulez du plaisir et vous l’obtenez. Ensuite, bien que vous ne vouliez pas de souffrance, la souffrance suit le plaisir — c’est le second produit gratuit ! On se donne beaucoup de mal pour obtenir des choses agréables ; on ne se donne aucun mal pour obtenir de la souffrance ; on préfèrerait oublier qu’elle existe, mais elle suit inexorablement.

Il faut donc que vous compreniez que ces deux-là vont toujours de pair. Ils ont fait un pacte : ils se sont mis d’accord pour aller toujours ensemble. Par exemple, vous êtes venus ici pour méditer et qu’avez-vous obtenu ? Jusqu’à maintenant, certains n’ont probablement ressenti que de la douleur. Ce n’est pas pour cela que vous êtes venus ! Vous êtes venus dans l’espoir de ressentir une certaine paix, du réconfort, de la joie, du bonheur et, au lieu de cela, vous avez mal partout ! Certaines personnes ont même quitté la retraite parce qu’elles n’en pouvaient plus. En réalité, ce que l’on retire de cette douleur, c’est un très haut degré de plaisir et de paix. Malheureusement la douleur vient d’abord pour vous décourager. Telle est la nature de Māra. Māra nous donne toujours du fil à retordre. Nous devons donc combattre Māra et quand Māra est vaincu, il reste le bonheur. Peu à peu on en vient à voir les choses ainsi : pour l’instant c’est dur mais je m’accroche pour dépasser ces difficultés car je vais ensuite atteindre quelque chose de très paisible.

Vous savez, quand on fait une retraite d’un week-end — du vendredi soir au dimanche après déjeuner — on n’a pas même le temps de ressentir un peu de plaisir, de joie ou de bonheur que la retraite est déjà finie. Alors on se dit : « Eh bien ! Si c’est tout ce qu’apporte une retraite, je n’en ferai plus jamais. » Quand on fait une retraite de dix jours, c’est la même chose pendant les deux premiers jours : on a mal parce qu’on n’a pas l’habitude de s’asseoir comme cela. Combien parmi vous s’assoient jambes croisées sur un coussin à la maison ? Combien parmi vous s’assoient ainsi au travail ? Votre patron vous mettrait dehors vite fait ! Au bureau vous êtes assis dans une chaise pivotante bien confortable qui vous permet d’avoir tout sous la main. Et puis de temps en temps, peut-être une fois par an, vous participez à une retraite, vous vous asseyez par terre et vous espérez être à votre aise !

Par contre, si vous comprenez la nature de l’impermanence, cette assise douloureuse elle-même deviendra confortable. Cette compréhension est le fruit de notre propre expérience de la vie. Nous savons tous que la vie est faite de hauts et de bas, de plaisir et de souffrance. Quand nous méditons, la méditation nous apporte, en peu de temps et de manière très dense et compacte, un petit goût du schéma complet de la vie. C’est pour cette raison que beaucoup de gens ne peuvent pas y faire face. Nous devons donc être très patients pour comprendre cette nature même de notre vie.

En pratiquant correctement l’attention à la respiration, nous arriverons donc à cette compréhension. Il y a un autre passage très important qui éclaire l’ensemble de cette section des Ecritures. On y parle de comparer notre corps avec des corps extérieurs. Il s’agit là encore d’un point très délicat et controversé qui a souvent été mal interprété.

Il est dit : « Soyez attentifs au corps à l’intérieur et soyez attentifs au corps à l’extérieur. » Et dans le cas de la respiration : « Soyez attentifs à votre respiration à l’intérieur et soyez attentifs à la même chose à l’extérieur. » Selon certaines personnes cela signifierait qu’il faut être attentif à sa propre respiration et ensuite être attentif à la respiration des autres gens. Quand on est attentif à sa propre respiration, on sait exactement à quel moment l’air entre et à quel moment il sort. On peut être attentif au début, au milieu et à la fin de chaque inspiration et de chaque expiration et on y est attentif au moment où cela est en train de se produire. Mais comment donc allez-vous savoir quand les autres respirent ? Comment saurez-vous s’ils sont au début, au milieu ou à la fin de leur inspiration ou de leur expiration ? Si je vous regarde, par exemple, je n’ai pas la moindre idée si vous êtes en train d’inspirer ou d’expirer ! Je ne sais pas du tout si vous en êtes au début, au milieu ou à la fin de votre respiration. Je ne vais tout de même pas mettre le doigt sous votre nez pour savoir comment vous respirez !

Il existe une autre interprétation de ce texte. Quand j’inspire et j’expire, il arrive que j’éprouve un sentiment de bien-être mais d’autres fois ma respiration paraît très grossière. Quand j’accorde mon attention au souffle, je constate qu’il se passe de très nombreuses choses dans ma respiration. Certaines personnes disent donc : une fois que vous comprenez votre respiration, vous pouvez avoir une connaissance de la respiration des autres par inférence.  Autrement dit, vous utilisez votre logique pour comprendre comment les autres inspirent et expirent. Mais selon moi ce n’est pas non plus ce que les paroles du Bouddha signifient.

Si vous ne lisez pas les Sutta ni le pāli, il vous sera peut-être difficile de trouver la référence que je vais vous donner, mais j’aimerais que vous lisiez le Mahā Rāhulovāda Sutta* qui se trouve dans la Majjhima Nikāya. Il s’agit d’un superbe enseignement que le Bouddha a donné à son fils Rāhula sur la façon de méditer. Dans ce texte, le Bouddha exprime clairement comment on devient conscient de sa respiration à l’intérieur et comment on devient conscient de la respiration extérieure.

Ce qui se passe, quand nous respirons, c’est que l’air entre et sort. Or cet air qui entre et sort est exactement le même que l’air qui est à l’extérieur ; c’est l’air extérieur que nous inspirons et que nous expirons. Et cet air extérieur est constitué des éléments terre, air, eau et feu. Quand nous respirons, et que l’air se trouve être humide, nous faisons l’expérience de l’élément eau dans la respiration. Quand l’air extérieur est sec, qu’il contient moins d’humidité, quand nous inspirons et nous expirons, nous ressentons la sècheresse de l’air. Par ailleurs, quand nous inspirons et nous expirons, nous sentons le contact de l’air avec notre corps. Ceci est dû à la présence de l’élément terre dans l’air. Et parfois, quand nous inspirons et nous expirons, nous sentons la chaleur de l’air du fait de la présence de l’élément feu dans l’air. Ainsi, ce que nous trouvons dans l’air extérieur, nous le retrouvons dans l’air intérieur que nous inspirons et expirons.

Le Bouddha a dit : « Quand l’air extérieur est perturbé, il y a beaucoup de dégâts. » De même, quand l’air intérieur est perturbé, il y a beaucoup de dégâts à l’intérieur. L’air extérieur est impermanent et l’air que nous inspirons et expirons est également impermanent puisque c’est le même air. Ainsi, quand nous inspirons et nous expirons, nous faisons l’expérience de notre propre respiration et puis nous comparons : cet air que nous respirons est exactement le même que l’air extérieur. Il n’implique aucun individu particulier ou « personne ».

Il est parfois dangereux de penser à d’autres gens quand on respire. Si on pense à la respiration de quelqu’un d’autre quand on inspire et on expire, et qu’il se trouve que nous avons une relation difficile avec cette personne, nous pouvons être envahis par la colère. De la même manière, si nous pensons à la respiration d’une personne que nous aimons, l’attachement peut se manifester dans notre esprit. Les instructions du Bouddha sont très claires : il ne s’agit en aucun cas de mêler les autres — autres êtres, autres personnes ou individus — à cette comparaison entre la respiration à l’intérieur et à l’extérieur.

Le Bouddha a donc dit : « Soyez attentifs au corps à l’intérieur et soyez attentifs au corps à l’extérieur » ; dans le cas de la respiration, le mot « corps » représente le corps de la respiration. Il a dit ensuite : « Soyez attentifs à l’apparition des phénomènes dans le corps intérieur et soyez attentifs à l’apparition des phénomènes dans le corps extérieur. »

L’air intérieur apparaît en relation avec notre respiration et celle-ci se produit en relation avec différents autres facteurs. Les poumons, par exemple, doivent se contracter pour expulser l’air et se dilater pour lui permettre de pénétrer. De la même façon, pour que l’air extérieur puisse bouger, il doit y avoir des causes. Quand ces causes sont présentes, l’air est présent et quand ces causes ne sont pas présentes, il n’y a pas d’air. Voilà comment nous devons comprendre « le corps intérieur » et « le corps extérieur ». A l’extérieur il y a le vaste corps de l’air et c’est un peu de ce vaste corps d’air extérieur que nous inspirons et que nous expirons. En conséquence, l’air que nous respirons est exactement le même que l’air que nous voyons à l’extérieur. Et nous ne devons nous attacher ni à notre air intérieur ni à l’air extérieur. Sans nous attacher à aucun air, qu’il soit extérieur ou intérieur, nous respirons simplement.

Le Bouddha a dit : « Nous ne devons nous attacher à rien dans le monde. » Voilà encore un point qui perturbe beaucoup de gens. Ils disent : « Comment pouvons-nous vivre sans nous attacher à rien ? Nous sommes attachés aux membres de notre famille, à notre conjoint, nos enfants, nos frères et sœurs, nos parents. Nous leur sommes attachés ! Et s’il n’y avait pas cet attachement, comment pourrions-nous nous entraider ? » Mais ce que le Bouddha veut dire ici, c’est simplement : ne vous saisissez de rien ; vivez simplement ce qu’il y a à vivre, et soyez-en pleinement conscients ; quand les choses se présentent, acceptez-les, et quand elles partent, laissez-les partir.

Dans la phrase du Bouddha, le mot « monde » ne signifie pas le monde extérieur. Le Bouddha a été très clair à ce propos. Ce qu’il appelait le « monde », c’était notre corps et notre esprit ; ces cinq agrégats que nous avons sont notre monde. Dans notre monde, nous avons des formes, des sensations, des perceptions, des pensées et une conscience sensorielle. Par exemple, quand nous fermons les yeux, nous voyons que nous vivons dans notre propre monde : nous avons des pensées, nous avons des sensations, nous avons des perceptions, nous avons une conscience et nous avons un corps. Tout cela est à nous ; c’est tout ce que nous avons ; c’est notre monde.

Voici mon monde. Je vis dans ce monde. Mais ce monde entre en contact avec d’autres mondes au moyen des yeux, des oreilles, du nez, de la langue, du corps et de l’esprit. Pourtant, tout ce dont je fais l’expérience, je dois le faire sans m’y attacher. Et pourquoi ne dois-je pas m’y attacher ? Parce que ces choses ne vont pas durer. Ce que je vis maintenant ne sera plus ici, avec moi, plus tard.

Par exemple, en ce moment je suis ici, face à vous et je suis très heureux d’être avec vous. Mais quand je partirai, que je franchirai cette porte, je ne vivrai plus cette rencontre. Si je m’y attache pendant que j’y suis, au moment où je franchirai la porte, je serai très triste de vous quitter. Alors, que dois-je faire ? Je dois bien comprendre ce que je vis en ce moment, et quand je devrai vous quitter — ne plus vivre cette rencontre avec vous — je l’accepterai et je partirai simplement.

Réfléchissez et vous verrez par vous-même comme c’est vrai. Ce que vous vivez quand vous êtes avec quelqu’un ne sera plus là quand vous quitterez cette personne. Pendant que vous mangez, vous sentez le goût de la nourriture et vous l’appréciez, mais une fois que vous avez terminé, où est ce plaisir ? Ce goût, ce plaisir est également terminé. Ainsi, grâce à cette compréhension des choses, quelle que soit notre expérience, nous l’apprécions au moment où elle a lieu et ensuite nous ne regrettons pas de la laisser derrière nous.

Le Bouddha a dit que quand nous inspirons et nous expirons, un sentiment de plaisir peut apparaître et que nous devons simplement le comprendre. Je comprends que ce plaisir que je ressens pendant que je respire paisiblement ne va pas demeurer avec moi tout le temps. Si je m’attache à la respiration présente, je vais m’empêcher d’apprécier la suivante quand elle sera présente. En conséquence, un moment de plaisir apparaît et disparaît et puis un autre moment de plaisir apparaît, etc. Ainsi nous continuons à apprécier chaque temps de la respiration et, quand il passe, nous le laissons aller. C’est ce que l’on appelle « ne s’attacher à rien dans le monde ». Cette phrase fait référence à notre propre monde physique et psychique.

Nous n’avons abordé là que la première section de l’attention au corps : l’attention à la respiration. La seconde section concerne les postures. Hier soir, j’ai fait la démonstration de quelques postures. Ici je vais simplement mentionner leur nom et expliquer comment nous pratiquons l’attention à ces postures.

On dit généralement que le corps a quatre positions : assis, debout, en marche et allongé. Si nous pouvons diviser notre temps de méditation de manière égale entre ces quatre positions, notre pratique sera équilibrée. C’est comme équilibrer les quatre roues d’un véhicule. Quand on veut faire l’équilibrage, on doit le faire pour les quatre roues. De même, on apprendra à développer l’attention dans les quatre postures.

Commençons avec la marche. La marche est l’une des positions du corps que nous essayons de pratiquer. Je choisis celle-ci parce qu’il est plus facile d’expliquer comment être attentif à ce qui se passe quand nous marchons. Quand nous marchons, nous pouvons être très clairement conscients des quatre éléments.

Mes amis, cela va peut-être vous sembler un peu aride comme explication mais le jour où vous prêterez attention à votre marche de cette manière, vous allez vraiment vous régaler ! Ecouter une explication est parfois très ennuyeux mais faire l’expérience de ce que je vais vous expliquer ne sera pas ennuyeux du tout. La prochaine fois que vous marcherez, si vous vous en souvenez, vous allez vraiment apprécier votre marche. Ce que je vais vous dire c’est comment être attentif aux quatre éléments quand on marche.

Quels sont les quatre éléments de base ? La terre, l’air, l’eau et le feu. En fait, ces éléments sont très difficiles à expliquer. On ne peut expliquer les éléments qu’à travers leurs caractéristiques ou leurs fonctions. Ainsi, l’élément terre se manifeste par la dureté et par le fait qu’il occupe de l’espace. Quand il est densifié, il nous donne la forme, la taille ou la couleur d’un objet.

Quant à l’élément air, nous pouvons le connaître à travers le mouvement. Il se déplace horizontalement ou verticalement. Quand l’élément air se déplace verticalement, il inclut une grande part d’élément feu. Quant à l’élément feu, comme nous le savons, il a pour caractéristique de rayonner ; c’est ainsi que nous ressentons la chaleur. Enfin l’élément eau a pour caractéristique d’être humide et sa fonction est d’unifier les choses, de les faire tenir ensemble.

L’élément terre et l’élément eau sont lourds, tandis que l’élément feu et l’élément air sont légers. Donc les éléments lourds s’abaissent et les éléments légers s’élèvent. Quand nous marchons et que nous levons le pied, l’élément air et l’élément feu sont actifs. Quand nous posons le pied et l’appuyons au sol, l’élément terre et l’élément eau sont actifs. Ainsi, quand nous sommes attentifs à notre marche, nous prenons conscience des éléments au moment où ils deviennent actifs.

A un moment donné, il y a donc toujours deux éléments en activité : les éléments air et feu vont ensemble, tandis que terre et eau vont de pair. Quand vous marchez, vous sentez les éléments terre et eau entrer en action quand vous posez le pied au sol de tout votre poids. Les éléments air et feu sont légers, ce sont donc eux qui font faire lever votre pied et le faire avancer.

Voilà donc un moyen d’être attentif à cette position particulière du corps qu’est la marche. Cela se produit du fait de votre intention de marcher. Dès que nous avons l’intention de lever le pied, il se lève parce que cette intention génère de l’énergie dans notre esprit. Quand de l’énergie est générée dans l’esprit, elle se libère à travers le système nerveux. Tandis qu’elle se diffuse dans le système nerveux, le pied est levé, avancé ou posé. Donc l’intention engendre une énergie psychique mentale qui se transforme en énergie physique et le mouvement devient possible.

Quand nous nous asseyons, l’élément terre et l’élément eau sont lourds, tandis que nous ne faisons que ressentir l’élément air et l’élément feu. A nouveau, nous devons faire un effort d’intention pour maintenir le corps en position assise. Cette intention générée dans notre esprit se libère dans notre corps au moyen du système nerveux pour maintenir la position assise telle qu’elle est. Quand nous perdons notre énergie, comme vous le savez, le corps s’affaisse et finit par s’écrouler. Là encore, nous devons donc être attentifs à la façon dont nous maintenons notre posture assise à travers les actions interdépendantes des éléments.

De même quand nous nous levons, il faut beaucoup d’énergie pour soulever le corps et rester en position debout. Soulever le corps est possible grâce aux éléments air et feu et du fait de l’intention qui crée une énergie psychique qui va se convertir en énergie physique et se libérer dans notre corps. Ainsi, quand nous sommes debout, notre élément terre et notre élément eau se renforcent, tandis que les éléments air et feu s’allègent. De la même manière, quand nous nous allongeons, les éléments terre et eau sont lourds et les éléments air et feu sont légers. En conséquence, quand nous sommes attentifs à toutes ces postures, que nous soyons assis, en marche, debout ou couchés, nous pouvons prendre conscience du fonctionnement des éléments.

Finalement, quand nous parlons de l’attention au corps, nous parlons aussi de l’attention aux éléments. Et nous ne comprenons cela que lorsque notre attention est vraiment présente et consciente. Là encore, quand nous marchons, sommes assis, debout ou couchés, nous avons la claire conscience que tous ces éléments, toutes ces positions, tous ces mouvements changent constamment. Nous ne trouverons jamais dans tout cela la moindre entité qui ne change pas.

En conséquence, quelle que soit la position de notre corps, ce dont nous faisons vraiment l’expérience, ce que nous remarquons vraiment, c’est l’impermanence de tous ces éléments. Si un élément reste inchangé, les autres ne peuvent pas fonctionner. Tous ces éléments doivent être rassemblés et ils doivent tous changer ensemble pour pouvoir fonctionner dans ce corps. Et c’est parce qu’ils changent en permanence, de façon continue, que nous avons besoin de renouveler tout ce que nous perdons chaque jour. Nous devons générer de l’énergie psychique et nous devons la convertir en énergie physique ; ensuite nous devons faire un mouvement pour continuer ces activités tout le temps. De cette façon, nous utilisons notre corps pour comprendre la nature même de notre existence.

Certaines de ces activités se produisent en toute conscience et d’autres pas. Ce que nous essayons de faire, dans l’entraînement à l’attention, c’est d’être conscients d’autant d’activités que possible. Mes amis, en réalité, si nous devenons conscients de ces milliers ou millions d’activités dans notre corps et dans notre esprit, la vie sera très intéressante. Nous verrons que nous nous régénérons à tout moment, des milliers de fois. Nous nous régénérons à chaque instant. Et cette régénérescence naturelle doit être observée consciemment pour que notre vie soit pleine de vie !

Normalement, ce que nous faisons, c’est écouter et regarder les choses extérieures. Nous sommes attentifs à tout ce qui se passe à l’extérieur et pas du tout à ce qui se passe ici, dans notre monde. C’est pourquoi celui qui développe l’attention de la claire conscience ne s’ennuie jamais. La vie est extrêmement intéressante et rafraîchissante, elle apporte joie et bonheur tout le temps. Malheureusement, du fait de notre ignorance, nous ne voyons pas tout cela et nous la trouvons très monotone, si bien que nous croyons que nous devons faire des choses à l’extérieur pour avoir un peu de plaisir.

Vous savez, comme le Bouddha a lui-même expérimenté tout cela de toutes les manières possibles et imaginables, c’est avec une confiance extraordinaire qu’il nous encourage à pratiquer l’attention.

Il ne me reste guère de temps pour parler davantage. Demain nous aborderons un nouveau thème : la claire compréhension. J’essaie de faire ressortir le sens le plus proche de celui que le Bouddha a donné à ses paroles au lieu d’interpréter ce que d’autres ont interprété. J’ai hâte d’être à demain.


* Une version en anglais est disponible sur le site « Access to Insight » à l’adresse Internet suivante : http://www.accesstoinsight.org/tipitaka/mn/mn.062.than.html

 


[1] Ces cinq obstacles sont : 1) le désir sensuel ou l’avidité ; 2) la malveillance ou la colère ; 3) la torpeur des facultés mentales ; 4) l’agitation ou le regret et l’inquiétude ; et 5) le doute sceptique.

* Kilesa : « pollutions », imperfections, obstructions qui font obstacle à la progression sur la Voie.

Dhamma de la forêt