Le don du Dhamma surpasse tous les autres dons

Foi et Dévotion dans le Bouddhisme Théravada

On a pour habitude de dire que dans le Bouddhisme théravada, la Dévotion, les rituels ont une place beaucoup moins importante que dans d'autres traditions.
C'est sans doute vrai, mais surtout en occident.

Dans le bouddhisme théravada à la “mode occidentale” et notamment lorsqu'il est enseigné par des laïcs qui ne sont pas reliés à une sangha, il n'y a plus aucune dévotion, aucun rituel ni de prise de refuge.

Parfois même, il ne reste plus qu'une simple “méthode” qui, sortie du contexte de l'enseignement du Bouddha, n'a plus grand chose à voir avec le “Bouddhisme”.

Entre la seule pratique de la dévotion et l'absence totale de dévotion, il y a une voie médiane, une voie du milieu qui consiste à ne pas réduire la pratique du Bouddhisme à de simples rituels d'un côté, ni de la réduire à une simple “technique” de méditation de l'autre.

La voie du milieu enseigné par le Bouddha s'applique dans tous les domaines.

Kathy

Plan de ce message:

1) La dévotion au Bouddha
2) PUJA : un Enseignement de Ajahn Sucitto

1- LA DEVOTION AU BOUDDHA

La dévotion dans le bouddhisme a été un sujet controversé pour les érudits occidentaux.

S’il était depuis longtemps reconnu que certaines traditions bouddhistes comprennent de forts éléments de dévotion, on les interprétait généralement comme une évolution historique assez tardive, souvent en réponse aux besoins des laïcs.

Selon cette analyse, la tradition primitive était en majeure partie dénuée de culte dévotionnel et de rites.

Le Bouddha était un homme, non un dieu, et sa première communauté monastique ne voyait en lui rien de plus qu’un maître vénéré.

Dans cette perspective, même la pratique traditionnelle de « prendre Refuge » dans le Bouddha parti dans le nirvâna semble problématique, car il a disparu du cycle des renaissances et ne peut ainsi donner de Refuge à ses adeptes.

Quel sens, alors, ont donc les offrandes faites au Bouddha ? Quelle valeur pourrait avoir cet acte dans une religion où dépendre de ses propres efforts et réaliser soi-même la vérité sont si importants ?

La dévotion fait depuis longtemps partie du bouddhisme

S’il n’est guère possible de savoir exactement ce que les disciples des premiers temps pensaient du Bouddha, les témoignages des textes et de l’archéologie apprennent cependant que la dévotion fait depuis longtemps partie du bouddhisme.

La vénération des reliques et des images sacrées a joué un rôle essentiel, même dans les traditions soulignant avec insistance que le Bouddha Gautama fut un être humain qui, après sa mort, n’est plus en contact avec ses adeptes pour les aider.

Dans le Mahâyâna, où peut exister une interaction continuelle avec un nombre presque infini de bouddhas et de bodhisattvas coexistant, la dévotion est encore plus prégnante. Des bouddhas comme Amitâbha ont le pouvoir d’intervenir directement dans la vie de leurs adeptes fervents pour les libérer à leur mort des malheurs du samsâra.
Dans ce dernier cas, la confiance totale de l’adepte en le pouvoir de libération du bouddha remplit la même fonction que tient, dans les traditions bouddhistes mettant l’accent sur la volonté personnelle, l’effort pour surmonter l’attachement et l’illusion d’un soi. Les stratégies diffèrent, mais le but est le même : transcender l’amour-propre égotiste.

La dévotion bouddhiste comporte un idéal essentiel

La dévotion bouddhiste comporte un idéal essentiel : engendrer et rassembler du mérite en développant les états d’esprit appropriés et par des actes positifs, comme ceux indiqués pour les jours d’uposatha.

Des traditions considèrent que le Bouddha parti en parinirvâna ne peut ni recevoir d’offrandes ni intervenir dans la vie de ses adeptes. Mais elles cultivent aussi un sentiment d’obligation et de gratitude pour ce que le Bouddha fit pour ceux ci dans le passé. En réfléchissant à tout le bien accompli par le Bouddha et à l’excellence de ses actes, le disciple dirige son esprit vers un juste sentiment de dépendance envers celui qui, à travers d’innombrables vies d’abnégation, a atteint la perfection et permis aux autres de suivre ses pas dans la Voie du Milieu.

Extraits du livre : “Bouddhisme, art et philosophie, histoire et actualité”
Source : UBE

2- PUJA
Un Enseignement de Ajahn Sucitto

La puja est une offrande, une avancée, une activation de l’esprit

Nous commençons toutes nos journées par un puja. Nous célébrons ainsi l’Eveil du Bouddha. C’est un geste de louange et de reconnaissance. A la fin de la récitation, si nous maintenons l’esprit de puja et poursuivons l’acte d’offrande, nous faisons un yoga spirituel. Se contenter de réciter des mots et puis les oublier dès qu’ils s’arrêtent n’est pas un véritable exercice de l’esprit. Cela peut occasionner un petit sursaut d’énergie mais, si nous ne nous rappelons pas le sens des mots récités, nous abandonnons l’offrande et nous abandonnons l’esprit.

Peut-être allons-nous nous embourber dans des pensées, des perceptions et des sensations – pas tant en les saisissant qu’en nous laissant piéger par elles. Par contre, si nous prenons le temps de réfléchir aux paroles que nous récitons, à cet enseignement du Dhamma, nous réalisons qu’il nous encourage à engager tout notre coeur, notre mental et notre esprit.

C’est ainsi que nous activons les cinq facultés spirituelles (indriya), que nous les renforçons et que nous générons véritablement l’esprit d’Eveil. La première de ces facultés est la foi et le but-même de la puja est de développer cette foi. La puja est une offrande, une avancée, une activation de l’esprit.

La foi secoue la lourdeur de l’habitude

Dans notre pratique spirituelle, nous parlons beaucoup de la concentration et de l’apaisement du mental mais encore faut-il avoir l’attitude juste – l’élément de foi – avant de commencer à nous concentrer ou apaiser notre mental.

La foi secoue la lourdeur de l’habitude qui nous fait croire que nous respirons avec attention alors qu’en réalité nous sommes davantage dans un état de stagnation que de calme.

Le mental est peut-être tranquille, mais il ne s’agit pas de la tranquillité d’un esprit clair, ce n’est pas un calme plein de vie et de présence.

La foi nous rafraîchit, réveille l’énergie du coeur et nous donne une nouvelle perspective. Sans la foi, nous avons tendance à fonctionner à l’intérieur de vieux schémas psychologiques avec des images toutes faites de nous-mêmes, du temps et des lieux, avec toutes les humeurs et les attitudes qui y sont habituellement liées.

L’attention est simplement la capacité de garder quelque chose en esprit de manière objective. Mais si nous basons notre attention du point de vue de notre personnalité, si dans la méditation nous surimposons des attitudes par rapport à nous-mêmes, à nos défauts, nos besoins et nos limites, nous sommes dans la saisie – ou plutôt nous sommes saisis dans l’expérience du soi – de sorte que, quand nous nous asseyons en méditation, nous ne faisons que passer notre temps à confirmer l’existence de cette personne que nous croyons être.

Calmer le mental, pénétrer en nous-mêmes

D’un autre côté, si nous faisons une puja sans calmer le mental ni pénétrer en nous-mêmes, la foi ne peut pas s’ancrer.

Nous nous faisons plaisir, un point c’est tout. Sans ce rappel réfléchi du mouvement et de l’aspiration du coeur, l’expérience est vide de sagesse.

Nous nous y attachons, nous développons des théories ésotériques sur les énergies et la conscience cosmique. Au lieu d’utiliser l’attention pour développer la sagesse, nous nous attachons à des rituels et à des systèmes, ce qui représente un obstacle majeur à l’Eveil.

Ce manque de réflexion conforte une attitude mentale où la pratique de la méditation devient un rituel comme un autre, vide de sensibilité et que l’on n’intègre pas à son monde personnel.

La méditation peut ainsi devenir une façon de ne pas se relier véritablement aux choses et de ne pas faire pleinement l’expérience des pensées et des attitudes que nous sommes censés comprendre en profondeur avec sagesse. Du coup, nous ne sommes pas dans l’attention mais dans les fantasmes spirituels.

C’est au niveau du coeur que nous entrons en contact avec le Bouddha

Quelle est donc cette foi qui est censée s’éveiller ? Comment peut-elle être activée ?

Nous devons faire de la puja une offrande que nous dédions spécifiquement au Triple Joyau – au Bouddha, au Dhamma et au Sangha – et rester mentalement en éveil en utilisant et en stimulant les facultés spirituelles.

Cela peut se faire en se concentrant d’abord sur les qualités du Bouddha, en se rappelant son Eveil et les bénédictions qu’il nous a léguées – vraiment assimiler cela et voir comment notre coeur en est touché.

Nous pouvons aussi nous remémorer le Bouddha au moment où il a touché la terre, ce geste qui a apporté l’Eveil au monde, à la conscience. C’est un acte de compassion et de force. Cette évocation n’est pas une croyance qui limite l’esprit mais une façon de toucher le coeur.

C’est au niveau du coeur que nous entrons en résonance, en contact, avec le Bouddha. Le Bouddha est le coeur de notre pratique : qu’est-ce que le Bouddha aujourd’hui sinon un éveil au présent avec tous ses mystères et ses causes inconnues ?

Le Dhamma est une invitation

Et puis il y a le Dhamma, l’Honnêteté Absolue, qualité omniprésente, totale, unifiante et absolue qui s’applique à toutes les conditions, qu’elles soient douloureuses ou agréables, subtiles ou grossières, physiques ou mentales.

C’est une honnêteté que l’on nous encourage à développer et à réaliser par nous-mêmes. Il ne s’agit pas d’imaginer ni de devenir cela ; nous devons simplement nous ouvrir de façon à être honnêtes et vrais par rapport à ce que nous vivons.

Le Dhamma est donc une invitation, il nous accueille, il n’est pas lointain. Il a une qualité de bienveillance et d’ouverture. Il nous dit : « Je t’en prie, approche » et non pas : « Ne fais pas entrer ici ton mental pollué ! »

Ce « ehipassiko, opanayiko » est quelque chose dont nous pouvons tous faire l’expérience, nous en faisons partie ; c’est pourquoi il nous touche et active notre foi.

Nous sommes invités à nous pencher sur le Dhamma et à nous laisser porter par lui. Si nous pouvons approcher cette réflexion de notre coeur, nous nous ouvrons à un grand mouvement de l’esprit. Et puis il y a la foi dans le Sangha. Là se trouve le potentiel pour que l’expérience karmique spécifique, personnelle, que l’on appelle « moi » s’associe aux notions de valeur, de détermination et d’intégrité. Nous sommes invités à trouver notre autorité, à pénétrer dans notre vie humaine unique.

L’éveil de la foi est donc presque miraculeux.

Il nous donne l’occasion de faire l’expérience d’un état de plénitude, d’acceptation. Il nous offre cette forme d’épanouissement. La plupart des religions reconnaissent et évoquent l’esprit du Divin, le Sublime, le Brahma, l’Atman ou le Dieu Tout-puissant mais l’esprit pensant peut se dire : « Mais comment puis-je l’atteindre ? ».

C’est un mouvement de foi. Dans ce but, un rappel stimule la foi et l’énergie et, quand nous éprouvons la stabilité de leur force, nous reconnaissons que la simple aspiration d’être avec le Dhamma est le Dhamma. Elle est déjà cela. Si nous observons ce qui nous a amenés ici, nous pouvons nous demander : qu’est-ce qui nous fait souhaiter nous réunir pour une puja ou nous engager dans la pratique de la méditation ou prendre des voeux de moine ou de nonne ?

Qu’est-ce que c’est ? Nous pourrions nous dire : « J’ai envie de le faire » ou « Je ne me sens pas capable de le faire ». Ces attitudes et ces pensées sont l’interprétation de l’esprit qui part du principe qu’un « moi » régit notre vie. Mais il ne s’agit là que d’un point de vue dû à l’habitude. Nous ne sommes pas obligés de fonctionner toujours à partir de là car ce point de vue ne va pas nous mener bien loin ; il n’est qu’une création psychologique. Qui est né ? Qui meurt ? Qui peut s’Eveiller ? Oui, demandez-vous ce qui vous pousse à l’Eveil.

Cette impulsion est, en elle-même, un aspect de l’Eveil ; elle est un aspect essentiel du Dhamma ; c’est comme le potentiel d’Eveil qui cherche à se manifester.

Participer à une puja est une célébration, une reconnaissance et un contentement de notre aspiration. Nous sortons de notre histoire personnelle, de tout ce que nous croyons être, de nos idées sur ce qui se passera demain. Nous sortons de ce schéma où nous nous recréons une identité en fonction de nos défauts et de nos doutes. L’acte de foi est rafraîchissant, c’est un rappel, littéralement un « réveil » : nous cessons de fonctionner à partir de notre vieux mental habituel.

Un regard neuf

Nous pouvons alors voir les choses ordinaires d’un regard neuf.

Nous prenons conscience de notre corporéité, des sensations et des énergies contenues dans le corps. Nous pouvons considérer l’esprit pensant avec curiosité : comment est-ce que cela fonctionne ? Qui le fait fonctionner ? D’où viennent les pensées et les sensations ? Nous sommes généralement piégés par l’idée que nous sommes cela ou dans cela ou que nous devons arranger les choses, nous en débarrasser, les améliorer… nous aimons ceci mais pas cela, nous hésitons sur la conduite à avoir, essayons d’éviter ceci ou cela… ou bien nous tournons le dos à tout et partons à la chasse aux arcs en ciel.

Tout cela est dû à la croyance en un « moi ». Mais il est possible aussi de simplement observer qu’il y a une sensation, qu’il y a une conscience de la sensation… Alors, qu’est-ce que c’est ? Comment cette observation se produit-elle ? Qu’est-ce qui prend conscience qu’il y a observation ou que des pensées, des humeurs, des sentiments arrivent et qu’ils changent ?

La puja arrive avant tout système de méditation.

Elle nous secoue admirablement. C’est une célébration et un balayage pour établir et éveiller la foi, l’énergie et l’attention.

C’est alors que nous pouvons sentir quel thème de méditation sera le plus approprié, ce qui retiendra notre intérêt, si nous voulons aller plus profond dans l’observation du corps ou traiter une question d’ordre émotionnel.

Dans ce rappel à l’attention, l’esprit peut se porter sur les sensations de fraîcheur ou de chaleur ou encore sur la respiration, tandis que, avec une vision centrée sur le moi, notre forme physique n’est qu’un sac de viande. Quand on croit à la réalité du moi, l’esprit peut se contenter de recycler ses expressions habituelles, ses humeurs et ses sentiments, comme un vieux perroquet fatigué qui s’égosille sur l’épaule.

Mais nous pouvons le faire danser, le rendre actif. Nous pouvons rendre notre esprit vaste comme l’espace. La pensée est là-bas, pas ici, le sentiment est là-bas, il change d’instant en instant. Tout cela n’est qu’une danse de l’instant présent dans l’instant présent. C’est la puja de l’esprit. Pourquoi ne pas entrer dans la danse ?

La foi éveille l'énergie et nous donne l’espace et la perspective

Le Bouddha a été éveillé à partir des cinq khanda. Par exemple, pour ce qui concerne le sens des mots et les souvenirs, il a remarqué la façon dont ils nous touchaient, dont ils changeaient puis disparaissaient, en considérant nos pensées et nos impulsions comme des énergies qui émergent, lentes ou agitées.

Quand nous ne saisissons pas les agrégats, quand nous ne nous y accrochons pas, ils deviennent la base de la réalisation de la nature dansante et momentanée de l’expérience. Quand la foi est présente, elle éveille l’énergie et nous donne l’espace et la perspective à partir desquels travailler au lieu de nous laisser écraser par des habitudes obsessionnelles, des humeurs ou de la paresse.

Nous pouvons déplacer notre attention à la peau, aux os, au dos, à la tête, aux yeux et même à l’émergence d’une conscience de cette observation, une conscience qui se déplace et change en permanence. Nous pouvons porter un regard neuf sur ces choses, voir clairement combien elles sont changeantes et évanescentes. Nous pouvons ensuite retourner aux humeurs et aux énergies qui semblent nous piéger avec la capacité d’y travailler.

La foi et l’énergie nous donnent la possibilité de passer du mode réactif au mode réponse. Le mouvement d’énergie, l’étouffement ou le déséquilibre – que faut-il y apporter dans l’instant ? Nous abordons donc la méditation avec attention et un esprit d’investigation.

Tels sont les deux premiers facteurs d’Eveil ;

les voies qui mènent au Non-conditionné, parce qu’elles nous montrent que les choses changent, que rien n’est soi et que s’attacher aux pensées et aux sentiments est source d’insatisfaction. Ces trois signes nous serviront toujours de guides.

Si nous faisons l’expérience de l’insatisfaction, c’est à cause de l’attachement. D’ailleurs, on ne peut pas saisir les choses. C’est en essayant de nous en emparer qu’apparaît un « moi » frustré. Au contraire, avec le changement, il y a la vibration du ressenti, le mouvement de la pensée, le flux et le reflux des émotions et ainsi de suite. Ensuite vient la question : qu’est-ce qui remarque leur changement et qui peut rester avec cela – avec l’oeil qui voit et l’oreille qui entend – le coeur patient et la foi dans l’esprit ? Cette perspective est indépendante des circonstances et pourtant, en même temps, parfaitement applicable à ces circonstances.

Alors, pour le bien du monde,

nous pouvons pratiquer ces voies de l’esprit à l’intérieur de ce corps et de ce mental, dans le corps, le mental et les six sphères des sens. Quand ce monde dont nous semblons être le centre, ce monde de la conscience, des formes et des changements est passé en revue par l’esprit, quand l’esprit se déplace en lui, c’est un véritable délice, un lieu de réalisation, d’amour et d’infini. Pour y entrer, il y a l’offrande de la puja, une offrande qui embrasse les autres et nous.

Traduit par Jeanne Schut

Source : http://bica-vipassana.blogspot.fr/